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Victimes de vente one-shot : Que faire ? Comprendre les mécanismes d’un fléau du net pour mieux le combattre – Épisode 2

vente one shot

Les multiples dérives nées de la pratique dites des ventes « one shot » de sites internet ont pris en quelques années une telle ampleur que l’on peut parler aujourd’hui d’un vrai fléau contaminant la Toile et son économie.

Artisans, professions libérales, PME sont concernées et se retrouvent trop souvent isolées devant les Tribunaux pour tenter de faire valoir leurs droits à l’occasion de nombreuses procédures judiciaires. Leur question principale est la suivante : Comment sortir d’un contrat avec engagement de 48 mois qui s’avère totalement inadapté à mes besoins, un contrat sans rapport avec le discours du commercial venu me démarcher, un contrat prohibitif renvoyant à des prestations bien souvent inexistantes ?

Dès 2011, nous avions depuis cette tribune, alerté les justiciables sur la pratique déviante des ventes « one shot » ainsi que sur la recrudescence de contentieux (Cf. https://www.haas-avocats.com/actualite-juridique/ventes-one-shot-tourmente-judiciaire/).

Quatre ans ont passé et si la question reste la même il faudra se tourner vers la jurisprudence pour identifier des solutions efficaces…

Si la pratique des « ventes one shot » a grandi dans l’ombre, elle est aujourd’hui bien identifiée. On note une certaine prise de conscience, tant de la DGCCRF(1) , que du pouvoir politique(2) , largement relayée par la presse et les réseaux sociaux(3)(4) s’agissant des dérives de cette pratique, dérives régulièrement rencontrées sur le marché des Agences Web.

En dépit de cette prise de conscience dans l’opinion publique, force est de constater que les seules solutions concrètes sont venues de la voie judiciaire.

Dans le flot jurisprudentiel sont en effet progressivement apparues de nouvelles solutions, favorables aux victimes. D’abord enclins à assurer la protection de la force obligatoire de contrats conclus entre professionnels, les Tribunaux ont en effet évolué dans leur analyse de ce type de conventions.
Sur quels points ? Et à quels titres ?

I. Décryptage du montage contractuel des « ventes one shot »

La force de ces ventes « one shot » réside incontestablement dans le montage contractuel échafaudé par les prestataires informatiques et les sociétés de financement qui leur sont associées.

Ce procédé est simple : Le prestataire « vend » à un client artisan ou à une TPE/PME qui souhaite se développer sur la Toile, un site internet, sans lui laisser le temps de réflexion, et en ne donnant aucun élément décrivant ses prestations.

Il fait alors signer à ce client, profane en matière d’informatique, un contrat de très longue durée (24, 48 ou même 60 mois) en faisant état d’une offre commerciale exceptionnelle…
La plupart du temps, le prestataire ne prend pas la peine de s’exécuter, dès lors qu’il est assuré d’être payé, grâce au mécanisme de location financière. En effet, aussitôt le contrat signé, les créances nées de ce dernier sont cédées par le prestataire informatique à un bailleur.

Ainsi, le prestataire s’assure, moyennant le partage des mensualités, qu’il sera payé chaque mois, sans avoir à se soucier de la mise eu œuvre ou du suivi de ses prestations. Dans certains cas, l’Agence Web va même jusqu’à faire signer au client le Procès verbal de recette du site avant sa présentation afin de palier à tout risque de contestation ultérieur et de refermer un piège bien huilé.

Le client est dès lors a priori prisonnier de son engagement contractuel pour de longs mois et pour des montants cumulés particulièrement excessifs. Mécontent des prestations, réalisant trop tard la duperie dont il a été victime, le Client cherche à rompre cet engagement. La seule porte de sortie proposée est alors le paiement de toutes les mensualités prévues au contrat, soit des dizaines de milliers d’euros.

Mais cette simplicité apparente est à la hauteur de la complexité juridique qui l’accompagne, et qui réside en fait sur deux principes.

A. L’irresponsabilité du bailleur face aux inexécutions contractuelles

Le client, rapidement confronté au caractère inadapté du site internet qui lui a été « vendu »doit payer chaque mois le bailleur qui n’est pas responsable de la défaillance du prestataire. Cette irresponsabilité de principe, repose elle-même généralement sur deux fondements :

– Le premier : les clauses d’irresponsabilité.

Le bailleur, en se faisant seulement céder les créances nées du contrat de prestation informatique, n’est pas responsable de l’exécution de ce contrat.

En effet, par la location financière, le bailleur décompose le contrat :

– Il laisse au prestataire la charge de l’exécution des prestations

– Il ne se fait transférer que certaines obligations de la convention :

o La créance de prix
o La propriété du bien/service, dont jouit le client.

Dès lors, alors qu’une inexécution contractuelle peut légalement fonder l’arrêt des paiements (c’est l’exception d’inexécution), en l’espèce le client sera privé de cette alternative, puisque seul le prestataire informatique est responsable de l’exécution du contrat informatique.

En effet Le bailleur ne s’est pas fait céder le contrat, mais seulement les créances qui en résultaient. Aussi n’est-il pas responsable de l’exécution du contrat de prestation informatique.

Par conséquent, le client devra en toutes hypothèses lui payer les mensualités, sans jamais pouvoir lui opposer d’exception d’inexécution.

– Le deuxième : la prétendue indépendance des contrats

Les conditions générales de vente et/ou de location, adossées aux bons de commande informatique par les Agences Web familières de ce type de vente comportent souvent des clauses d’indépendance.

Ces clauses organisent fictivement l’indépendance des contrats de prestation informatique d’une part et de location financière d’autre part.

Par conséquent, et puisque les contrats sont indépendants, le client ne devrait pouvoir opposer au bailleur l’inexécution du contrat de prestation informatique, au titre duquel il doit payer les mensualités.

Réciproquement, s’il lui est toujours possible d’agir contre le prestataire informatique, compte tenu de sa mauvaise exécution, il ne pourra pas cesser de payer ses mensualités.
Le client démuni n’a alors plus qu’une seule solution : remettre en cause la cession de créance opérée par la location financière.

B. L’opposabilité de la cession des créances nées du contrat de prestation informatique

Dans la plupart des cas, le client n’a jamais été vraiment averti de la cession des dettes qu’il a au titre du contrat de prestation informatique au bailleur. Aussi, et sachant que c’est justement cette cession qui lui vaut d’être impuissant face à l’inexécution du contrat de prestation informatique, celui-ci peut souhaiter vouloir la remettre en question.

Pour cela, il doit fournir des éléments justifiant l’inopposabilité de cette cession à son égard.

Toutefois, alors que toute cession de créance doit respecter les dispositions de l’article 1690 du Code civil, concernant ces opérations, la cession sera la plupart du temps prévue dans les Conditions Générales du prestataire en prévoyant le consentement par avance du client.

II. Quel est le talon d’Achille des ventes « One shot » ?

Avant toute chose, il est nécessaire de préciser que si l’approche jurisprudentielle concernant les ventes « one-shot » a évolué, aucune décision majeure de Cour de Cassation n’est encore intervenue sur ce domaine précis. Dès lors, la ligne jurisprudentielle n’est pas parfaitement fixée.

Plusieurs axes pertinents de réflexion méritent toutefois une attention particulière.

A. L’interdépendance des contrats de prestation informatique et de location financière.

Le principe est posé par une éminente jurisprudence de la Cour de Cassation du 17 mai 2013 : les contrats concomitants ou successifs qui s’inscrivent dans une opération incluant une location financière sont interdépendants. La Cour précise que seront réputées non écrites les clauses des contrats inconciliables avec cette interdépendance(5).

Par conséquent, remettre en cause le premier contrat de prestation informatique dans le cadre de ventes « one shot » ébranlera automatiquement le contrat de location financière du fait de leur interdépendance.

Reste donc à étudier les différents points sur lesquels peuvent être remis en cause les contrats de prestation informatique, à partir desquels certaines agences web proposent des sites internet « clés en main ».

B. La remise en cause des contrats de prestation informatique.

A la vue de la jurisprudence récente et de notre première synthèse en la matière(6) , plusieurs arguments juridiques sont susceptibles de fonder une annulation d’un contrat de vente « One shot », et donc d’annuler simultanément le contrat de location financière attaché.

La démonstration de l’existence de manœuvres dolosives de la part du prestataire informatique.

Le dol est sanctionné par l’article 1116 du Code civil, et pourra être retenu dès lors qu’il est démontré que des pressions ou contraintes ont été exercées pour déterminer la signature du contrat par le client.

Il s’agit d’un des fondements qui a été le plus souvent retenu dans les dernières jurisprudences. A ce titre, les manœuvres dolosives peuvent prendre de multiples formes. Ainsi peut-il s’agir :

– d’un représentant faisant signer des contrats sans que le prix ne soit mentionné, ainsi qu’un PV de conformité, en s’affranchissant du refus de livraison de ladite cliente : (CA Lyon Ch.3ème 15/06/2012 n° 11/01560) ;
– De la recherche d’une signature d’un contrat de location portant sur des biens déjà loués, en invoquant faussement que ce nouveau contrat annulait et remplaçait l’ancien, qu’un ancien bailleur n’aurait plus voulu financer (CA Orléans Ch.comm 26/01/2012 n°10/02673) ;
– D’un manque de loyauté dans la fourniture d’information sur la nature même des engagements pris (CA Lyon, 1ère Ch.civ. 27/02/2014, n°13/02520) (vente d’un nouveau site internet alors que le client souhaitait une amélioration de celui dont il disposait déjà) ;
– De la signature d’un contrat de licence en sus du contrat de mise à disposition d’un site internet, en invoquant la prétendue gratuité de cette licence (CA Lyon 1ère Ch.civ 9/10/2014, n° 12/04577).

Nullité du contrat pour absence de cause

La cause du contrat est traditionnellement entendue comme le but recherché par les parties contractantes. Il s’agit, selon l’article 1108 du Code Civil, d’une des quatre conditions essentielles de validité du contrat, aux côtés de l’objet du contrat, du consentement des parties, et de leur capacité à contracter.

Peu ainsi être considéré comme dépourvu de cause un contrat de prestation informatique dont un grand nombre de clauses consistent à décharger le bailleur de tout rôle ou responsabilité dans la fourniture de prestations dues au consommateur, notamment au titre du fonctionnement du site, alors que ce dernier continue à payer. Ces clauses sont annulées car considérées comme étant abusives selon l’article R. 132-1-5° du Code de Consommation. Leur annulation entraîne la nullité de l’entier contrat, pour insuffisance de cause. (CA Toulouse Ch. 3 Sect1 16/09/2014, n°660/14 ; 13/06268) ;

Résiliation ou résolution pour inexécution ou manquement à l’obligation de délivrance :

Certains contrats peuvent être résiliés judiciairement, pour inexécution, au motif de l’article 1184 du Code Civil. Pour cela, il importe que le client victime demande au juge la résolution du contrat pour inexécution des obligations de la partie adverse. Il peut alors baser sa demande de résolution sur un manquement à l’obligation de délivrance d’un site conforme (CA Lyon 1ère Ch.civ, 6/03/2014) ; ou pour inexécution pure et simple (CA Toulouse 3ème Ch. Sect.1 17/06/2014 n°13/00496 ; CA Paris 5ème Ch. 13/11/2014, n°13/05321 ; Cass.com 26/11/2013, n°12-25.191)

Annulation du contrat au motif d’un déséquilibre significatif :

S’il est particulièrement difficile, pour un professionnel, de s’affranchir du joug d’une vente one shot, le consommateur bénéficie lui d’une plus grande protection.

Ainsi l’article L.132-1 du Code de la Consommation lui offre de réputer non écrite toute les clauses « qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ».

L’annulation de ces clauses peut alors entraîner la nullité du contrat dans son entier (CA Versailles Ch.1ère 4/02/2014 ; CA Pau Ch. 1ère 20/05/2014, n°12/02690), en invoquant le cas échéant une absence de cause subséquente (CA Toulouse Ch. 3 Sect1 16/09/2014, n°660/14 ; 13/06268).

Nullité pour défaut d’objet :

Point central de la récente jurisprudence, certaines décisions ont annulé le contrat de prestation informatique pour défaut d’objet.

Si ce fondement est –très- rarement retenu, c’est parce qu’il implique que les documents remis au client soient si obscurs ou elliptiques qu’ils conduisent à l’indétermination de l’objet du contrat par le client…

A ce titre, la Cour d’Appel de Rennes, le 10 décembre 2013(7) , a rendu un arrêt particulièrement intéressant, justifiant cette nullité au motif que le contrat de licence d’exploitation indiquait un objet sommaire et pré-rédigé, de sorte que l’opacité des documents contractuels « ne permettait pas à un juriste de déterminer l’objet réel de la prestation promise en contrepartie des mensualités convenues ».

La Cour d’Appel de Metz, en chambre des urgences, le 1er Juillet 2014(8) s’est elle aussi engouffrée dans la brèche. Elle a justifié l’annulation du contrat conclu pour absence d’objet au motif que les obligations du prestataire contenues dans le contrat portant création, hébergement et maintenance du site internet n’étaient pas clairement définies. En l’espèce le bon de commande ne détaillait effectivement pas les caractéristiques graphiques et techniques du site internet, ainsi que les délais et modalités de sa réalisation et de sa mise en ligne. Cette absence d’objet allait même jusqu’à entraîner la nullité du PV de réception du site signé le même jour que le contrat au motif qu’il ne pouvait pas concrètement valoir approbation du travail de réalisation du site.

Les victimes des pratiques déviantes nées des ventes « one shot » ne sont donc pas démunies et disposent de plusieurs voies juridiques pour tenter d’obtenir en justice l’annulation ou la résolution de leur contrat et l’indemnisation de leur préjudice.

Si les nombreuses jurisprudences intervenues à ce jour concernent des litiges portés au civil, les agence Web usant ce type de pratique devront également s’attendre à une multiplication des plaintes pénales. En effet, dès lors qu’il y a tromperie, le délit de pratique commerciale trompeuse visé à l’article L.121-1 du code de la consommation n’est pas loin…

Affaire à suivre…

Depuis plusieurs années, le Cabinet HAAS Société d’Avocats a eu à plusieurs reprises l’occasion de prendre position pour sensibiliser les cibles des ventes « ones shot » sur la recrudescence de contentieux destinés à sanctionner les déviances de cette technique commerciale.
Vous souhaitez en savoir plus ? Cliquer ICI.

1- DGCCRF – Guide du vendeur e-commerce -http://www.economie.gouv.fr/files/directions_services/dgccrf/documentation/publications/depliants/guide_ecommerce_mai2013.pdf
2- http://www.senat.fr/questions/base/2013/qSEQ130707460.html
3- https://www.facebook.com/pages/Interdisons-les-ventes-One-Shot/564828083579035
4- http://www.petitions24.net/contre_la_vente_one_shot_de_sites_internet
5- Cour de Cassation arrêts n°275 et 276 de la Chambre mixte du 17 mai 2013
6- https://www.haas-avocats.com/actualite-juridique/ventes-one-shot-tourmente-judiciaire/
7- CA Versailles Ch. 12 Section1 06/05/2010 n°0807930
8- CA Metz, Ch. Des Urgences, 01/07/2014, n°14/00376, 12/02124
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