Dans un jugement du 13 septembre 2011, le Tribunal de commerce de Paris condamnait la Société Pixmania pour rupture brutale et abusive de contrat et prononçait à cette occasion une condamnation à près de 1,5 million d’euros sur le fondement de l’article L.442-6 5° du Code de commerce.
C’est l’occasion de revenir sur l’une des sources majeures de contentieux parasitant le e-commerce.
Les faits de l’espèce sont somme toute assez classiques. Nous sommes en présence de deux partenaires commerciaux : l’un en position de force, la Société Pixmania, et l’autre en position de faiblesse du fait d’un état de dépendance économique allégué : la Société Dimitech, état de dépendance non retenu par le Tribunal.
Entre mai 2009 et septembre 2010, la Société Dimitech proposait à la vente ses produits sur la place de marché de la Société Pixmania, étant précisé qu’aucun accord écrit n’avait été formalisé entre les parties pour encadrer cette relation continue et en constante progression.
La situation fut régularisée d’une manière tout à fait particulière par la Société Pixmania… Cette dernière, qui suspectait son partenaire de ne plus être solvable déploya dès septembre 2010 une stratégie d’éviction dont le caractère abusif résulte, selon le Tribunal des démarches successives suivantes :
- En septembre 2010, lettre jugée comminatoire à la Société Dimitech l’intimant de signer des CGV antidatée sous peine d’augmentation des tarifs
- Rupture sans préavis du contrat en décembre 2010 (par désactivation du compte) ; rupture confirmée 5 jours plus tard par courrier pour manquement « grave et irréparable » de la Société Dimitech à ses obligations, notamment pour des évaluations clients inférieures à 90% de taux de satisfaction.
Le Tribunal, après avoir observé que la Société Dimitech demandait deux fois réparation du même préjudice sur le fondement de la responsabilité contractuelle (Rupture abusive – articles 1134 et suivants du Code civil) et de la responsabilité délictuelle (Rupture Brutale – Article L.442-6 5° du Code de commerce) décide de condamner la Société Pixmania sur ce second fondement, considérant que le contrat liant les parties « prévoyait les conditions de résiliation à caractère léonin, que la clause dont Pixmania a fait application (taux de satisfaction) est indéterminable, que l’application qui en a été faite n’est pas justifiée et que les conditions d’application sont abusives ».
Que faut-il retenir de cette décision ?
Une décision paradoxale sur un plan juridique…
Cette décision peut apparaître paradoxale sur un strict plan juridique dans la mesure où le Tribunal décide de sanctionner la Société Pixmania sur le terrain de la responsabilité délictuelle tout en appliquant à cette responsabilité un système de calcul de préjudice dont une part substantielle résulte du régime de la responsabilité contractuelle.
En effet, au visa de l’article L.442-6 5° du Code de commerce, le Tribunal décide d’accorder à la Société Dimitech la somme de un million d’euros pour perte de chance (échec d’une levée importante de fonds liée à la rupture du contrat) en sus de l’indemnisation logique de la perte de marge brute durant le préavis non réalisé.
A suivre le Tribunal de Paris, la rupture brutale de relations commerciales établies génère donc un préjudice composé :
- De la perte de marge brute calculée durant le préavis non effectué
- De la perte de chance calculée au cas par cas au regard des gains manqués par la partie évincée.
Bien que prononcé au visa de l’article L.442-6 5°du Code de commerce, on retrouve bien ici le régime de la responsabilité contractuelle de l’article 1149 du Code civil qui précise que : « Les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu’il a faite et du gain dont il a été privé (…) ».
C’est sans doute la raison pour laquelle le Tribunal intègre cette perte de chance dans une partie étrangement intitulée étrangement « Sur l’image de marque ».
…Qui n’en demeure pas moins motivée sur un plan factuel…
Le Tribunal, par une démarche empirique s’emploie dans cette décision à analyser dans le détail les différentes hypothèses de résiliation prévues dans les Conditions Générales de la Société Pixmania. Cette analyse résulte du choix tactique de la Société Pixmania qui tente de justifier sa rupture immédiate sans préavis par un taux de satisfaction client trop bas.
Or, pour le Tribunal, « si un taux de satisfaction insuffisant peut être éventuellement considéré comme un manquement grave, c’est abusivement que Pixmania le qualifie de manquement non réparable » pour tenter de justifier une rupture sans préavis.
La rupture est également jugée abusive en ce que :
- La clause visant le taux de satisfaction est léonine, imprécise et indéterminable ;
- Il n’est aucunement démontré que Dimitech n’ait pas donné suite aux réclamations de ses clients ;
- La mise en œuvre du formalisme contractuelle visant la résiliation n’a pas été respectée par la Société Pixmania ;
- La société Pixmania a masqué sa réelle motivation de rupture qui tenait à un risque d’insolvabilité de Dimitech ;
- La rupture a été accompagnée de pressions, de menaces et de mensonges…
Autant d’élément qui ont conduit les premiers juges à considérer que « Pixmania a fait preuve, en prenant cette décision le 9 décembre 2010, dans les semaines qui précèdent Noël, pendant la période de plus forte activité de l’année, d’une audace, d’un manque de loyauté et de respect des usages en affaires, qu’il convient de sanctionner en allouant à Dimitech des dommages et intérêts en réparation du préjudice qui sera évalué ci-après ».
En conclusion
Encadrer les relations contractuelles avec ses partenaires suppose de prendre garde à la rédaction de clauses précises pour éviter un déséquilibre significatifs entre les parties. Depuis 2008 et la modification du Code de commerce, cela vaut pour tout type de contrat et avec tout type de cocontractant (consommateur ou professionnel).
Outre l’importance de définir un encadrement contractuel équilibré et sécurisé, une attention toute particulière devra être portée sur les hypothèses de sorties de contrat et ses conséquences.
Rappelons en effet que la « rupture » au sens de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce s’interprète largement en jurisprudence de telle sorte que pourront être aussi bien sanctionnées les ruptures « partielles » que « totales » de relations commerciales établies lorsque celles-ci s’effectuent de manière brutale ou… abusive. La réduction du courant d’affaires, le déréférencement de produits sans préavis sont des exemples. Il en va de même pour la suppression de remises jusque là systématiquement consenties (Cf. TC Avignon, 25 juin 1999.), ou encore pour la modification de conditions tarifaires (Cf. CA Versailles, 6 mars 2003, ou encore CA Nîmes, 2e ch., sect. B., 15 sept. 2005, SARL d’exploitation chouett bureau c/ SA Spicer France : Juris-Data n° 2005-295034).
Ce jugement du Tribunal de Commerce de Paris démontre l’importance pour une entreprise de d’encadrer ses relations commerciales et de gérer en amont cas de rupture.