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Action syndicale : attention à l'usage des messageries électroniques de l’entreprise

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En matière de cybersurveillance, l’action syndicale est non seulement dans le collimateur de l’employeur mais aussi de la justice. A cet égard, l’arrêt de la Cour d’appel administrative de Nancy du 2 août 2007 en est un exemple frappant. Explications.
Le jeudi 12 février 2004, Elisabeth M., adjointe administrative de la ville de Lons-le-Saunier et responsable syndicale de la CGT adressa par la messagerie intranet et Internet de la commune un message à une vingtaine d’agents municipaux pour les inviter à participer à une manifestation syndicale (distribution et lecture d’un tract syndical) lors de l’inauguration d’un théâtre à Lons-le-saunier pour protester contre la politique menée par la municipalité. Jugeant que Elisabeth M. avait commis une faute en faisant de la messagerie un usage interdit par la « charte Internet » adopté par la municipalité – usage à des « fins personnelles » -, la municipalité sanctionna disciplinairement  Elisabeth M. par un blâme.
Elisabeth M. saisit alors le tribunal administratif d’une demande d’annulation du blâme, demande que le tribunal accueillit favorablement dans son jugement du 19 décembre 2006. Pour annuler le blâme infligé à Elisabeth M., le tribunal avait réfuté la traditionnelle jurisprudence (citée dans notre précédent article)  interdisant à tout salarié, y compris les représentants syndicaux, d’utiliser la messagerie électronique de l’entreprise sans autorisation de l’employeur. Cette jurisprudence s’appuyait notamment sur une interprétation restrictive de l’article L. 412-8 du Code du Travail dans sa rédaction d’avant la loi du 4 mai 2004, interprétation que les ajouts apportés à l’article L. 412-8 prévoyant la possibilité de la conclusion d’un accord d’entreprise sur l’utilisation par les syndicats de la messagerie électronique de l’entreprise  ne modifient en rien.
Rappel des faits
Le tribunal de Besançon, dans un jugement du  19 décembre 2006, avait considéré que dès lors que les messages envoyés par Elisabeth M. avaient un « caractère purement syndical », ils ne relevaient pas de l’interdiction faite par le maire d’utiliser la messagerie électronique de la commune « à des fins personnelles ».  Il se fondait sur le principe constitutionnel de la liberté syndicale, également reconnu par la Convention européenne des droits de l’homme,  ainsi que les article L. 411-1 et suivants du Code du Travail, et 8 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires. Il affirmait que « le droit syndical constitue une liberté fondamentale dont l’exercice doit être protégé, et que nul ne peut apporter à cette liberté fondamentale des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. » Dès lors, le maire pouvait interdire l’utilisation de la messagerie électronique « à des fins personnelles » mais non lorsque cette utilisation rentrait dans le cadre d’une activité syndicale.

Le tribunal distinguait donc nettement l’activité « personnelle » de l’activité « syndicale ».

Constatant par ailleurs que le message incriminé ne contenait « aucune expression injurieuse ou diffamatoire », qu’il n’attaquait aucune personne physique à titre personnel, que  sa  diffusion n’a entraîné « aucune incidence perturbatrice ou dommageable sur le fonctionnement des services publics de la ville de Lons-Le-Saunier », qu’il ne comportait « aucune incitation à des actes contraires à l’ordre public »,  qu’il ne présentait pas « un caractère pornographique, raciste ou illicite et n’était pas susceptible de porter atteinte à l’intégrité ou à la sensibilité d’un autre internaute ou à l’image de la ville de Lons-Le-Saunier », le tribunal en concluait logiquement à l’illégalité du blâme infligé à Elisabeth M.
Tout le raisonnement du tribunal tenait donc à la nature « syndicale » et non « personnelle » du message litigieux. Pour le tribunal il n’était pas douteux que les activités syndicales relevaient de la vie « professionnelle » du salarié, et non de sa vie « personnelle », alors que le maire de Lons le Saunier professait l’opinion contraire puisqu’il soutînt dans ses conclusions d’appel que, entre autres fautes disciplinaires, « Elisabeth M. a enfreint la règle d’utilisation de la messagerie électronique qui ne pouvait être que professionnelle ».
Le  recours de la commune
Cependant, devant la Cour d’appel, la Commune de Lons le Saunier invoqua un nouveau motif pour le blâme litigieux : « le contenu du message adressé par Elisabeth M. portait sur des thèmes sans rapport avec les intérêts qu’elle défendait par son action syndicale… »
Avec ce nouvel argument, la Commune de Lons le Saunier déplaçait le problème juridique posé à la Cour d’appel : elle ne prétendait plus seulement que le message relevait des activités « personnelles » de Elisabeth M., mais aussi qu’il ne relevait pas de son action « syndicale ».
La Cour d’appel ne fut pas insensible à l’argument, qui lui permettait de faire l’impasse sur la distinction entre nature « personnelle » ou nature « professionnelle » de l’activité syndicale, dès lors que le message ne relevait plus de l’activité syndicale de Elisabeth M. Si le message n’est pas de nature syndicale, il est forcément fautif, car il ne rentre plus dans le cadre de l’activité professionnelle du fonctionnaire.
C’est pourquoi la Cour d’appel de Nancy dans son arrêt du 2 août 2007 ne se prononça pas sur la nature professionnelle ou personnelle de l’envoi du message. Examinant son contenu, elle jugea que dans le message litigieux Elisabeth M. « s’en prend, en termes virulents et polémiques, à la politique conduite au niveau national dans les domaines éducatifs et sociaux et qu’il n’existe dans ce document … aucune revendication à proprement parler syndicale. » Le maire ayant interdit par note de service du 18 novembre 2003 l’usage d’Internet à des fins politiques, comme il « pouvait légalement le faire » selon la Cour, la Cour en conclut que le blâme est justifié, et annule le jugement du Tribunal administratif de Besançon.
La Cour estime donc que la nature du message est politique et non syndicale.
Cette argumentation de la Cour pose une question  fondamentale : quelles sont les limites de l’action syndicale, et comment doit-on distinguer ce qui relève du politique et ce qui relève du syndical.
Comment distinguer le politique du syndical ?
En principe, les syndicats ne doivent pas « faire de politique ». C’est l’interprétation traditionnelle que donne la jurisprudence de l’article L. 411-1 du Code du Travail, aux termes duquel « Les syndicats professionnels ont exclusivement pour objet l’étude et la défense des droits ainsi que des intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu’individuels, des personnes visées par leurs statuts. »
Le texte ne dit pas expressément que l’action politique – présenter des candidats aux élections politiques, manifester contre un dirigeant étranger en visite en France, réclamer la démission d’un ministre etc. – est interdite aux syndicats comme moyen de défense « des intérêts matériels et moraux de personnes visées par leurs statuts », mais la jurisprudence estime que la notion même de syndicat est exclusive de l’action politique.
On eut un exemple spectaculaire de cette jurisprudence avec la dissolution par voie de justice d’un syndicat créé dans la police par le parti politique Front National : la Cour de cassation estima, à la lecture des statuts de ce syndicat, qu’il poursuivait des objectifs politiques, et qu’il devait donc être dissous : « Par application combinée des articles 1131 du Code civil, 411-1 et L. 411-2 du Code du travail, un syndicat professionnel ne peut pas être fondé sur une cause ou en vue d’un objet illicite. Il en résulte qu’il ne peut poursuivre des objectifs essentiellement politiques ni agir contrairement aux dispositions de l’article L. 122-45 du Code du travail et aux principes de non-discrimination contenus dans la Constitution, les textes à valeur constitutionnelle et les engagements internationaux auxquels la France est partie. L’arrêt attaqué retient souverainement que le Front national de la police n’est que l’instrument d’un parti politique, qui est à l’origine de sa création, et dont il sert exclusivement les intérêts et les objectifs en prônant des distinctions fondées sur la race, la couleur, l’ascendance, l’origine nationale ou ethnique. »
Cependant, la pratique syndicale en France est loin d’exclure toute action à connotation politique.
On n’ignore pas que certains syndicats de salariés ont eu, et ont parfois encore, des liens étroits avec des partis politiques de gauche, qu’il en est de même pour certains syndicats patronaux par rapport à des partis de droite.  Et que l’institution judiciaire n’a jamais trouvé rien à y redire.
De même, la doctrine comme la jurisprudence admettent depuis toujours que la défense des intérêts matériels et moraux des salariés passe parfois par des actions destinées à influencer le législateur ou le gouvernement (grèves, manifestations, pétitions etc.), car ces intérêts ne se limitent pas à la législation du travail ; tout ce qui touche à la protection sociale des salariés et de leurs familles (maladie, chômage, retraite, formation) concerne aussi les syndicats. Dès lors qu’un syndicat fait pression sur un organe politique (parlement, gouvernement) on peut dire que son action revêt indiscutablement un caractère politique mais qu’elle n’en reste pas moins légitime pour autant.
On ne comprend donc pas pourquoi la Cour d’appel administrative de Nancy, allant à contre-courant de ces principes bien établis, a estimé que le message envoyé par Elisabeth M. avait « des fins politiques », et était donc blâmable, alors qu’elle reconnaît dans son arrêt que Elisabeth M. dans son message « s’en prend … à la politique conduite au niveau national dans les domaines éducatifs et sociaux… « .
Les domaines éducatifs et sociaux concernent évidemment les intérêts matériels et moraux, individuels et collectifs, des fonctionnaires défendus par Elisabeth M., et l’on comprend que cette dernière ait dans son message, ainsi que le relève la Cour, « invité certains de ses collègues à un rassemblement le 14 février 2004 afin de manifester lors de la venue de personnalités publiques et politiques locales pour l’inauguration d’un nouveau théâtre. » L’organisation d’une manifestation publique est bien un des moyens d’action traditionnels des syndicats.
Pour donner raison à la commune de Lons le Saunier la Cour semble s’être fondé sur l’absence dans le message incriminé de toute « revendication à proprement syndicale », comme si toute action syndicale devait nécessairement comporter une revendication précise, type augmentation de salaire, paiement d’heures supplémentaires etc. L’action syndicale passe aussi par des protestations publiques : en appelant à une manifestation lors de l’inauguration d’un théâtre par des hommes politiques, Elisabeth M. entendait évidemment montrer que les manifestants protestaient contre la politique sociale et éducative menée par ces hommes politiques, ce qui pouvait éventuellement aboutir à une modification de cette politique.

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