La société DailyMotion, deuxième après YouTube sur le marché mondial des plates-formes de stockage et d’échange de vidéos, vient d’être condamnée dans une affaire de contrefaçon. La décision rendue en première instance le 13 juillet 2007 par le TGI de Paris, qui s’appuie sur la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) de juin 2004, est susceptible de marquer un tournant pour la qualification juridique de plusieurs services du web2.0.
Tout d’abord, la décision reconnaît à DailyMotion le statut d’hébergeur de contenus, au sens de l’article 6-I-2 de la LCEN. Elle réfute en cela les arguments des demandeurs, réalisateur, producteur et diffuseur du film rendu disponible en streaming sur la plate-forme par l’un de ses utilisateurs, qui soutenaient que DailyMotion avait la qualité d’éditeur. La nature de cette activité est reconnue sans ambiguïté : pour le tribunal, le simple fait de commercialiser des espaces publicitaires n’entraîne pas la qualité d’éditeur ; d’autre part, DailyMotion exerce par ailleurs l’activité d’éditeur ou de co- éditeur pour la diffusion des films des catalogues Universal et Warner, conformément aux accords passés avec ces sociétés ; enfin, DailyMotion se conforme bien aux obligations que la LCEN impose aux hébergeurs, notamment la conservation des données d’identification de leurs abonnés.
Par conséquent, le tribunal reconnaît à DailyMotion, en tant qu’hébergeur, l’absence d’obligation générale de surveillance des contenus illégaux hébergés, ainsi que de recherche de faits ou circonstances révélant des activités illicites, garantie par la LCEN. Pour autant, la condamnation résulte du fait que le tribunal considère que DailyMotion génère lui-même ou induit ces activités illicites, seules à même d’assurer la rentabilité de l’entreprise.
En effet, la décision précise qu’« il ne peut être sérieusement prétendu que la vocation de l’architecture et les moyens techniques mis en place par la société DailyMotion ne tendaient qu’à permettre à tout un chacun de partager ses vidéos amateur avec ses amis ou la communauté des internautes selon l’option choisie, alors qu’ils visaient à démontrer une capacité à offrir à ladite communauté l’accès à tout type de vidéos sans distinction, laissant le soin aux utilisateurs d’abonder le site dans des conditions telles qu’ils le feraient avec des oeuvres protégées par le droit d’auteur ».
Elle note de plus que « le succès de l’entreprise supposait nécessairement la diffusion d’oeuvres connues du public, seules de nature à accroître l’audience et à assurer corrélativement des recettes publicitaires ».
D’hébergeur n’ayant pas d’obligation générale de surveillance d’activités illicites, DailyMotion devient ainsi considéré comme hébergeur ayant une connaissance générale d’activités illicites, puisqu’il les induit, voire les génère lui-même, en tant que fondement de son modèle économique. Cette qualification juridique est nouvelle, et en tout état de cause n’est pas inscrite dans la LCEN, ni dans la Directive européenne sur le commerce électronique. Elle va bien plus loin que les circonstances jugées, puisqu’elle s’applique à l’ensemble des activités de DailyMotion et, au-delà, à l’ensemble des services marchands dits communautaires du web 2.0. Elle ne peut qu’imposer un contrôle a priori des contenus mis en ligne par ces services, c’est-à- dire en fin de compte une responsabilité éditoriale.
Cette décision pose plusieurs questions, juridiques, mais aussi économiques et sociologiques. Peut-on exercer une responsabilité éditoriale sans être éditeur ? Le modèle économique du « gratuit », en fait fondé sur les recettes publicitaires, est-il acceptable ou induit-il nécessairement la génération d’activités illégales ? Enfin, les usages dit communautaires de telles plates-formes d’échanges encouragent-ils vraiment l’autonomisation, la créativité, la participation, parfois même qualifiée de « démocratique » ou « citoyenne », ou bien ne sont-ils qu’un moyen, certes moderne, de conforter l’individualisme de masse et d’encourager la confusion des domaines public et privé ?
La réponse à ces questions nécessiterait l’ouverture d’une réflexion et d’un débat public d’ampleur, avant toute modification législative. DailyMotion annonce l’utilisation prochaine du système « Audible Magic », qui fonctionne comme un filtrage sur liste noire en empêchant la mise en ligne d’oeuvres audiovisuelles protégées par le droit d’auteur et listées dans une base de données.
Mais la généralisation du contrôle a priori des contenus par les fournisseurs de plates-formes d’hébergement de vidéos n’est pas une solution, pas plus que le filtrage comme panacée en matière de lutte contre les contenus illégaux. Ces plates-formes doivent plutôt revenir à la seule et unique fonction d’hébergeur, dont le modèle économique consiste à générer des revenus au titre de la fourniture d’espace et de services associés pour le stockage d’informations sous la seule responsabilité des auteurs de leur mise en ligne. Le modèle du faux gratuit dénature aussi la répartition des responsabilités et, au final, fait obstacle à la préservation de la liberté d’expression, de communication et d’information.
Pour plus de détails, voir :
• La décision du TGI de Paris du 13 juillet 2007 http://www.juriscom.net/documents/tgiparis20070713.pdf
• Le dossier d’IRIS sur la LCEN http://www.iris.sgdg.org/actions/len/
Source : http://www.iris.sgdg.org/info-debat/comm-dailymotion0707.html