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Cinq ans après l’ouverture à la concurrence des jeux en ligne : la machine est-elle grippée ?

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Cinq ans après l’ouverture à la concurrence du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne, le succès attendu est loin d’être au rendez-vous. Dans un communiqué de presse du 8 juin 2015, l’Association Française du Jeu en Ligne (AFJEL) parle d’un « bilan mitigé » et d’une « situation très fragile » pour l’ensemble de la filière « dont l’avenir est encore incertain ».
Pourtant les enjeux sont considérables : ordre public, sécurité publique et protection de la santé et des mineurs, voici les motivations de la loi n°2010-476 du 12 mai 2010 venue ouvrir à la concurrence les paris sportifs, les paris hippiques et le poker pratiqués sur Internet.
Avant 2010, la politique française des jeux était assise sur un régime ancien de droits exclusifs accordés à la Française des jeux (FDJ), au Pari mutuel urbain (PMU) et aux casinos. La loi précitée instaure un nouveau régime d’agréments d’opérateurs privés placé sous le contrôle de l’Autorité de Régulation des Jeux en Ligne (ARJEL).
Dès la première année, l’ARJEL dénombrait 35 opérateurs de jeux agréés. Cependant, au 31 décembre 2014 ils n’étaient plus que 17. Depuis sa création, l’ARJEL a délivré 62 agréments. Il n’en reste que 31 aujourd’hui.  «  Cette réduction du nombre d’acteurs ne se fait pas selon un schéma usuel de consolidation des acteurs mais majoritairement via un arrêt des activités concernées » constate l’AFJEL.
Les dynamiques d’évolution sont par ailleurs très contrastées selon les filières. Le produit des jeux en ligne a été de 725 millions d’euros en 2014 (en progression de 5,7% par rapport à 2013) mais seuls les paris sportifs sont en expansion tandis que le poker et les paris hippiques sont en décroissance.
Alors pourquoi la machine qui promettait de « gagner gros » s’est-elle grippée ?
 

  1. Les raisons avancées de cet échec

1.1       Une fiscalité rédhibitoire
La fiscalité des jeux de hasard et d’argent en ligne est avancée pour être l’un des facteurs majeurs contribuant à l’échec du développement du secteur.
Hormis le droit fixe dû par les opérateurs de jeux en ligne lors d’une demande d’agrément, d’un renouvellement et au titre de chaque année de validité de l’agrément, la loi de 2010 a institué les prélèvements suivants :
–       trois prélèvements fiscaux sur l’ensemble des paris hippiques et sportifs et sur les jeux de cercle en ligne, ainsi qu’un prélèvement complémentaire sur les paris sportifs ;
–       trois prélèvements sociaux sur les paris hippiques et sportifs et sur les jeux de cercle en ligne.
D’une part on peut constater que la taxation se fait sur les mises, contrairement à ce qui se pratique dans les autres pays européens où elle prend pour base le chiffre d’affaires des opérateurs de jeux en ligne, c’est-à-dire le Produit Brut des Jeux (PJB – chiffre d’affaires réel des opérateurs après déduction des gains des joueurs).
D’autre part, si l’on rapporte la taxation des opérateurs de jeux en ligne en France au PJB, l’AFJEL rapporte qu’elle représente au final plus de 46% de celui-ci.
Pour comprendre à quel point cette fiscalité est démesurée, il suffit de comparer son niveau avec celui de quelques-uns de nos voisins européens : 15% en Angleterre, 25% en Espagne et même 11% en Belgique.
A l’évidence, les opérateurs agréés peinent à trouver un équilibre financier au regard de cette fiscalité écrasante.
Un an après la promulgation de la loi, le ministre du Budget indiquait déjà que la fiscalité applicable aux jeux et aux paris en ligne ne serait pas révisée.
Aujourd’hui la question fiscale reste toujours sans réponse.
 
1.2       La mutualisation des paris hippiques (PMU / Betclic)
Le segment des paris hippiques en ligne connait un blocage particulier à son développement.
Malgré la libéralisation intervenue il y a 5 ans, le PMU garde une grande longueur d’avance sur ses nouveaux concurrents. L’AFJEL indique en effet que le PMU a pu conserver une position ultra-dominante avec plus de 80% de part de marché.
Comment expliquer une telle situation ? La loi du 12 mai 2010 a ouvert à la concurrence les jeux d’argent et de hasard en ligne, dont les paris hippiques en ligne, mais a maintenu le monopole du PMU sur les paris hippiques « en dur », c’est-à-dire les paris pris dans ses points de vente physiques (bar-tabac, maisons de la presse…).
Actuellement, le PMU mutualise les mises enregistrées en ligne et celles enregistrées « en dur ». Cette pratique conduit à proposer aux clients :
–       une offre plus sécurisante (plus grande stabilité des cotes liées au nombre de mises) ;
–       une offre plus attractive (espérance de gains plus importants).
Dans ce contexte, la société Betclic Everest Group a été amenée à déposer une plainte auprès de l’Autorité de la concurrence considérant que, ce faisant, le PMU menaçait l’existence de ses concurrents.
En réponse à ces préoccupations de concurrence, le PMU a présenté un certain nombre d’engagements comme l’y invite l’article L. 464-2 du Code de commerce.
En particulier, le PMU  s’est engagé à séparer les mises enregistrées « en dur » des mises enregistrées en ligne (sur le site Pmu.fr).
Par une décision du 25 février 2014, l’Autorité a accepté et rendu obligatoire ces engagements. Le PMU doit donc parvenir à la séparation de ses activités de paris hippiques en ligne et « en dur » pour le 30 septembre 2015 au plus tard.
 
1.3       La concurrence des sites illégaux
L’écart constaté aujourd’hui entre l’offre légale et l’offre illégale explique en partie le fait que cette dernière n’a pas été enrayée.
En juin 2013, l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) a publié les résultats d’une enquête relative aux jeux d’argent et de hasard sur Internet en France en 2012. L’un des objectifs était d’essayer d’évaluer dans quelle mesure les pratiques de jeux en ligne, préexistantes avant la loi de 2010, s’étaient recentrées sur l’offre légale de jeux.
Les conclusions de l’enquête sont sans appel puisqu’elle révèle que plus de 45% des joueurs en ligne jouent sur une offre illégale (19,1% des joueurs jouent sur une offre exclusivement illégale et 26,5% sur une offre mixte).
Le poker est par ailleurs « significativement cité comme étant pratiqué sur des sites illégaux ».
Les pratiques sur les sites illégaux se concentrent essentiellement sur des jeux de casinos, machines à sous en ligne et autres jeux non offerts sur l’offre légale.
En effet la loi de 2010 est loin de constituer une ouverture totale à la concurrence. Seules certaines activités de jeux d’argent et de hasard en ligne ont été libéralisées et l’offre reste bridée :
–              Bien qu’autorisés dans la majorité des pays européens, les jeux de casinos en ligne (hors poker) telles que les loteries et les machines à sous sont absents de la loi de 2010.  Le directeur général et fondateur du groupe ZEturf indique qu’ « il s’ouvre une trentaine de sites de casino par jour, l’immense majorité sont en réalité des sites qui rouvrent ». L’activité illégale est ainsi très forte dans ce secteur.
–              Concernant le poker en ligne, il s’agit du segment qui a connu la plus forte dynamique depuis 2010, mais depuis 3 ans, il est en régression constante constate l’AFJEL. L’une des raisons a trait à la fiscalité déjà évoquée mais il faut également noter l’isolement des joueurs français.
La loi de 2010 a en effet cloisonné le marché français du poker en ligne : « seuls sont autorisés les jeux de cercles entre joueurs jouant via des sites d’opérateurs titulaires de l’agrément […] ».
L’objectif était de permettre une meilleure identification des joueurs. Néanmoins l’attractivité du poker repose en grande partie sur sa dimension internationale et le volume des liquidités proposées.
Dans un communiqué de presse de l’ARJEL du 27 avril 2015, le secrétaire d’Etat chargé du Budget a annoncé un certain nombre de mesures sur le jeu en ligne qui seront présentées dans le cadre du projet de loi relatif au numérique. L’une des dispositions envisagée permettrait le partage des liquidités européennes sur les tables de poker dans le cadre d’accords spécifiques entre l’ARJEL et d’autres autorités de régulation de l’Union Européenne
Concrètement il s’agit d’offrir la possibilité aux opérateurs agréés en France d’ouvrir leurs tables de poker à des joueurs inscrits auprès d’opérateurs opérant légalement dans un autre Etat membre de l’UE.
 
La lutte contre les sites illégaux est au cœur des missions de l’ARJEL. Celles-ci devraient être renforcées dans le cadre du projet de loi sur le numérique via une procédure simplifiée pour  gagner en efficacité et en productivité dans sa lutte contre l’offre non régulée.
 

  1. Un bilan économiquement mitigé mais socialement encourageant

Le bilan compte aussi des aspects positifs dans sa dimension sociale.
A travers la volonté de proposer une offre régulée, protection des joueurs et lutte contre l’addiction faisaient partie des enjeux essentiels de la loi.
L’AFJEL relève que cette ouverture a permis de faire reculer les risques d’addiction ou de jeu excessif grâce aux outils mis en place par les opérateurs permettant aux joueurs de pratiquer un jeu récréatif en toute sécurité – exemple autolimitations obligatoires à l’inscription du joueur.

Source : Communiqué de presse de l’AFJEL du 8 juin 2015
Les initiatives se multiplient. Parmi elles citons l’ouverture en mai dernier du site internet evalujeu.fr dédié à l’auto-évaluation. Le site destiné à lutter contre les pratiques addictives préserve l’anonymat des internautes et délivre des conseils pour mettre fin à la dépendance.
Mais pour l’AFJEL la meilleure façon de lutter contre l’addiction et de protéger les publics vulnérables, c’est d’élargir le périmètre des jeux en ligne régulés à l’ensemble des jeux de hasard  afin de ne pas permettre à tout un pan de l’activité de se développer illégalement sans aucune protection ni sécurité pour les personnes.
L’offre légale est aujourd’hui majoritaire sur les secteurs qu’elle couvre, pour lesquels aucun phénomène d’accroissement problématique d’addiction n’est à déplorer. Cependant nul doute que les diverses enquêtes menées mettent en exergue qu’un plan de revoyure est indispensable et en particulier pour endiguer durablement le développement des sites illégaux.
Le gouvernement souhaite que le vecteur de ces améliorations soit le projet de loi sur le numérique. A suivre…
(#ecommerce, #avocat, #internet, #ecommercesitemarchand)
Sources
–       Loi n°2010-476 du 12 mai 2010 relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne
–       Article L. 464-2 du Code de commerce
–       Communiqué de presse de l’AFJEL du 8 juin 2015 – 2010-2015 : bilan des 5 premières années de l’ouverture à la concurrence des jeux en ligne
–       Communiqué de presse de l’ARJEL du 27 avril 2015 – Visite de M. Christian ECKERT, Secrétaire d’Etat chargé du Budget à l’ARJEL
–       Communiqué de l’Autorité de la concurrence du 25 février 2014 – Paris hippiques en ligne
–       « Les jeux d’argent et de hasard en France en 2014 », Les notes de l’Observatoire des jeux, n°6, avril 2015
–        « Les jeux d’argent et de hasard sur Internet en France en 2012 », Tendances, juin 2013
–       Article « Jeux en ligne : cinq ans après l’ouverture, une fragilité inquiétante », Les Echos, 8 juin 2015
–       « Concurrence et paris hippiques en ligne », Contrats Concurrence Consommation n°5, Mai 2014, alerte 29
–       « Concurrence sur le marché des paris en ligne : quels sont les mérites du PMU ? », Communication Commerce électronique n°12, Décembre 2013, commentaire par Valérie PIRONON
–       « Paris en ligne », Communication Commerce électronique n°7, Juillet 2010, commentaire par Eric A. CAPRIOLI
–       « Loi sur l’ouverture à la concurrence et la régulation des jeux en ligne : présentation générale des mesures fiscales », Droit fiscal n°22, 3 juin 2010, comm. 340
–       www.arjel.fr
–       www.afjel.fr
–      

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