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La concurrence déloyale et la publicité trompeuse rattrapent Google Adwords

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Dans un arrêt du 11 mai 2011, la Cour d’Appel de Paris confirme la condamnation de Google pour concurrence déloyale et publicité trompeuse dans le cadre de son activité de commercialisation de liens sponsorisés.

En l’espèce, la Société Cobrason – spécialisée dans la vente de produits Hi-Fi – avait eu la désagréable surprise de voir apparaître en lien commercial le site de l’un de ses principaux concurrents, la Société Home Ciné Solutions en tapant la requête « Cobrason » sur le moteur de recherche Google.fr.

Après un constat d’huissier et une action en référé, la Société Cobrason a assigné devant le Tribunal de commerce de Paris les Sociétés Home Ciné Solutions, Google Inc. et Google France pour concurrence déloyale et publicité trompeuse. Elle obtient 100 000 euros de dommages-intérêts outre les10 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile

La Cour d’Appel confirme ces condamnations acceptant toutefois de mettre hors de cause la Société Google France aux motifs que cette dernière se borne à intervenir en qualité de sous traitant de la Société Irlandaise et qu’elle n’est investie d’aucun titre ni d’aucune licence sur les services Web (Cf. en ce sens, Ord. Ref TGI Paris 28 oct. 2010 Mme C / Google).

Cette condamnation surprenante à plus d’un titre, mérite de s’y plonger plus avant.

Sur la qualification de concurrence déloyale

La Cour constate que « chaque fois qu’un internaute effectuait une recherche avec le mot clé Cobrason dans le moteur de recherche Google, il accédait automatiquement et sans aucune manœuvre ou manipulation technique de sa part, à une page de résultat diffusant une annonce publicitaire renvoyant vers le site de la société Home Ciné Solutions ».

S’agissant de la Société Home Ciné Solutions

Les magistrats considèrent que la Société Home Ciné Solutions, en utilisant la dénomination sociale et le nom de domaine d’un concurrent a nécessairement généré une confusion dans l’esprit de la clientèle potentielle des deux sites et provoqué de ce fait outre un détournement de cette clientèle, une utilisation parasitaire des investissements de la société Cobrason (investissements visant tant le site internet que l’organisation de campagnes publicitaires).

Si cette motivation et la condamnation qui en résulte apparaissent conformes à l’état de la jurisprudence antérieure, tel n’est pas le cas de la position retenue à l’encontre de la Société Google Inc…

S’agissant de la Société Google Inc.

Dans un attendu de principe destiné à s’appliquer à l’ensemble des utilisations du système Adwords, la Cour d’Appel rappelle à la Société Google Inc que celle-ci participe techniquement à générer la confusion fautive dans l’esprit des internautes. Le raisonnement est en effet le suivant : « qu’en proposant le mot-clé “Cobrason” dans le programme Adwords et en faisant ensuite apparaitre sur la page de recherche s’ouvrant à la suite d’un clic sur ledit mot clé, sous l’intitulé “liens commerciaux”, le site d’un concurrent à celui correspondant au mot-clé sélectionné, la société Google Inc a également contribué techniquement à la confusion générée dans l’esprit du public intéressé ; qu’il y a lieu, dès lors, de dire que les sociétés Google Inc et Solutions ont toutes au travers de manquements à la loyauté commerciale spécifiques et propres, contribué à l’entier dommage subi de ce chef par la société Cobrason ».

Rappelons ici qu’au terme d’une guerre procédurale particulièrement longue, Google était parvenu à faire échec aux actions visant son service Adwords par arrêt de la CJUE du 23 mars 2010 (Cf. Affaires C-236-08, C238-08). En effet, la Cour de Justice de l’Union Européenne avait dans cette décision considéré que Google, en tant que simple fournisseur de mots-clés ne faisait pas usage « dans la vie des affaires » de ceux-ci et ne pouvait de ce fait être considéré comme contrefacteur. Le rôle de Google était décrit comme un rôle purement technique limité au stockage et à l’affichage de mots clés utilisés par les annonceurs. Il était de ce fait envisagé de lui appliquer le régime de responsabilité spécial dédié aux intermédiaires techniques tel que prévu à l’article 14 de la directive européenne du 8 juin 2000 sur le Commerce électronique et à l’article 6 de la LCEN qui l’a transposé en France le 21 juin 2004.

En l’espèce, les magistrats retiennent pourtant directement la responsabilité de Google sans appliquer le régime spécial des intermédiaires techniques comme cela est suggéré par la jurisprudence européenne.

Ainsi est-il surprenant de la part des juges d’appel, de ne pas avoir recherché l’existence d’une notification préalable de contenu illicite tel qu’exigé par l’article 6 de la LCEN (Cf. sur ce point Cass Com 17 février 2011) et de ne pas avoir soumis l’engagement de la responsabilité de Google à la démonstration d’une absence de réponse rapide à cette notification.

Le refus d’appliquer le régime de responsabilité assoupli des intermédiaires techniques à Google résulte de la motivation des premiers juges qui avait considéré qu’en « organisant la rédaction des annonces, en décidant de leur présentation, de leur emplacement, ensuite, en mettant à la disposition des annonceurs des outils informatiques destinés à modifier la rédaction de ces annonces ou la sélection des mots clés qui permettront de faire apparaître ces annonces lors de l’interrogation du moteur de recherche et, enfin, en incitant les annonceurs à augmenter la redevance publicitaire coût par clic maximum pour améliorer la position de l’annonce », le service de régie publicitaire Google Adwords ne pouvait pas bénéficier des dispositions de l’article 43-8 de la loi du 30 septembre 1986, modifiée par l’article 6 de la LCEN.

Reste à savoir si cette appréciation du statut de la régie publicitaire Google, contraire à l’arrêt précité de la CJUE, tiendra à l’occasion d’un probable pourvoi devant la Cour de Cassation… 

Sur la qualification de publicité trompeuse

La Cour retient également la qualification de publicité trompeuse issue de l’article L121-1 du Code de la consommation. Ce texte permet en effet de sanctionner notamment les pratiques créant un risque de confusion avec d’autres biens ou services, une marque ou le nom commercial d’un concurrent.

En l’espèce, les magistrats observent que les faits litigieux sont également constitutifs « d’une publicité « trompeuse” au sens de l’article L 121-1 précité dès lors que l’internaute, client potentiel, ne peut qu’être porté à croire à l’existence d’un lien commercial particulier entre les sites des [parties] au travers, entre autres, d’une possible identité des produits offerts à la vente ».

La demanderesse fait ici coup double puisque le risque de confusion généré dans l’esprit des internautes par l’utilisation fautive du système Adwords va ouvrir à lui seul deux sources d’indemnités : d’une part la concurrence déloyale et parasitaire et, d’autre part la publicité trompeuse.

Sur le calcul du préjudice

Bien que classique dans sa démonstration, la justification du préjudice lié à la concurrence déloyale n’en demeure pas moins pertinente. En effet, selon la Cour, la condamnation de 50.000 euros se justifie par le calcul suivant : 1257 internautes ont cliqué sur l’annonce durant les six mois d’utilisation fautive du système Adwords. Le panier moyen d’un client de la demanderesse est de 700 euros (chiffre certifié par le commissaire aux comptes de la société). Il est enfin appliqué un taux de transformation de 5% des personnes ayant eu recours au lien commercial pour un manque à gagner arrondi à 50.000 euros.

La Cour, se contentera à l’instar des premiers juges de doubler ce montant sur le fondement de la publicité trompeuse en usant de leur pouvoir souverain d’appréciation portant ainsi la condamnation totale à un montant de 100 000 euros.

L’intérêt de cette décision réside à n’en pas douter dans la condamnation solidaire de la Société Google Inc au titre de l’utilisation de sa régie Adwords.

En effet, à la lecture de cet arrêt, il est possible de se demander si les magistrats français n’entendent pas faire de la résistance en s’opposant frontalement à l’application d’un régime de responsabilité assoupli antérieurement accordé au célèbre moteur de recherche par le juge européen.

En effet, contrairement à l’arrêt de la CJUE du 23 mars 2010, la Cour d’Appel de Paris revient sur la qualification du rôle de Google dans l’utilisation du système Adwords. Simple rôle technique induisant le statut d’hébergeur pour la justice Européenne, ou au contraire rôle actif impliquant le statut d’éditeur et un régime de responsabilité de droit commun ?

Il est fort probable que la Cour de Cassation soit amenée à nouveau à trancher cette question…

On le voit une fois de plus, l’appréciation du régime de responsabilité induit par l’exploitation d’un site internet ou de services spécifiques proposés par ce site n’est pas sans incidence dans l’appréciation et la gestion des risques liés à cette exploitation.

Au regard de la jurisprudence européenne antérieure, la réaction rapide de Google pour supprimer le lien litigieux aurait suffit à lui permettre de se dégager de toute responsabilité et ce, en application du statut favorable d’hébergeur. A l’inverse, en lui reconnaissant le statut d’éditeur – avec un rôle actif – cette décision française permet d’obtenir une condamnation solidaire de Google qui voit ainsi sérieusement renforcée l’insécurité juridique induit par son service Adwords.

Affaire à suivre…

Source :

Arrêt de la Cour d’Appel de Paris du 11 mai 2011

 

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