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DIP : la confirmation du critère de l’accessibilité du site Internet

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Non, ce n’est pas la première fois que l’article 5§3 du Règlement Bruxelles I pose des problèmes d’interprétation, loin de là ! C’est encore une fois sur ce fondement, en particulier sur la notion de « lieu où le dommage est subi », que la Cour de cassation a interrogé la Cour Européenne de Justice de l’Union Européenne (ci-après la CJUE) et a repris littéralement sa réponse dans un arrêt en date du 22 janvier 2014.

En l’espèce, une société autrichienne avait fabriqué des compacts disques (CD) reproduisant les œuvres d’un compositeur, Monsieur X, résident toulousain. Ces CDs ont été commercialisés par des sociétés britanniques A ou B par le biais de plusieurs sites internet accessibles depuis le domicile français de Monsieur P.

Ce dernier a donc intenté une action en contrefaçon de ses droits d’auteur par devant le Tribunal de grande instance de Toulouse à l’encontre de la société autrichienne. Suite à l’appel formé par la société autrichienne, les juges de second degré ont exclu la compétence des juridictions françaises au motif que le domicile du défendeur était situé en Autriche et que le lieu de réalisation du dommage était le lieu de pressage des CDs, à savoir en Autriche. La Cour d’appel a donc fait une interprétation stricte de l’article 5§3 du Règlement Bruxelles I en considérant que le lieu de matérialisation du dommage ne pouvait se situer en France, et pour cause la société autrichienne n’était pas l’éditrice des sites Internet à l’origine de la vente des CDs.

Persévérant, Monsieur P s’est pourvu en cassation en vue d’obtenir la compétence des juridictions françaises.

Les juges de la Cour de cassation ont profité de ce pourvoi pour solliciter l’avis de la CJUE et ainsi :

– tester la jurisprudence établie par sa chambre commerciale selon laquelle les juridictions françaises sont compétentes dès lors que les actes commis l’ont été par l’intermédiaire d’un site Internet accessible en France et destiné à un public français (Cass. Com. 13 juillet 2010) ;
– inciter la CJUE à prendre position sur l’existence d’une éventuelle distinction à opérer entre le lieu du dommage subi en cas de violation du droit de reproduction de l’auteur et le lieu du dommage subi en cas de violation du droit de distribution .

Afin de comprendre parfaitement l’origine de cette question, rappelons qu’en matière délictuelle, le demandeur à l’action bénéficie d’une option de saisine des juridictions, à savoir celle du lieu du domicile du défendeur ou celle du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de ce produire (article 5 §3 du Règlement dit Bruxelles I).

Si la première option est simple à comprendre, la seconde a fait l’objet de nombreux développements jurisprudentiels.

Dans ses arrêts « Mines de Potasse d’Alsace » du 30 novembre 1976 et « Fiona Shevill » du 7 mars 1995, la CJUE indiquait que lorsque les lieux du fait générateur et du ou des dommages subis sont différents, le demandeur peut alors choisir de porter son action :

– soit devant la juridiction du lieu du fait générateur (à savoir le lieu où les actes ont été commis) pour obtenir la réparation intégrale de son dommage,
– soit devant celle de chacun des lieux de matérialisation du dommage, afin d’obtenir réparation du seul dommage subi localement.

Bien évidemment, avec l’arrivée du Web la question s’est complexifiée puisqu’en cas d’agissements litigieux par l’intermédiaire de sites Internet, le dommage peut se réaliser dans le monde entier.

C’est dans ce contexte que la Cour de cassation avait retenu, comme évoqué ci-dessus, le critère du « site destiné à un public français » pour fonder la compétence des juridictions françaises.

Ce critère semblait avoir été rejeté par la CJUE qui, dans un arrêt du 25 octobre 2011, lui avait préféré celui du « centre des intérêts de la victime ». Précisons toutefois qu’il s’agissait, en l’espèce d’une atteinte aux droits de la personnalité et non à des droits patrimoniaux d’auteur.

Ce critère semblait adapté pour des atteintes aux droits de la personnalité puisqu’une personne dont le droit à l’image est violé, aura tout intérêt à faire cesser et réparer son préjudice dans le pays où il est connu et peut être reconnu, donc localement.

Il en va différemment en matière de droit d’auteur où le préjudice d’une contrefaçon peut être ressenti dans le monde entier et non pas uniquement dans le pays où l’auteur a ses intérêts.

La CJUE a répondu à la question de la Cour de cassation le 3 Octobre 2013 et énoncé que pour fonder la compétence des juridictions d’un Etat membre, il suffit que les droits patrimoniaux sur une œuvre soient protégés dans l’Etat membre dont les juridictions sont saisies et que le dommage risque de se matérialiser dans le ressort de la juridiction saisie. En conséquence, les juridictions françaises sont compétentes mais uniquement pour le dommage subi en France !

Naturellement, la Cour de cassation a suivi les recommandations de la CJUE et se fondant sur l’accessibilité du site internet proposant les CDs litigieux à la vente en France, a estimé les juridictions françaises compétentes pour la réparation du dommage subi uniquement en France.

Si cette solution semble paraitre sensée de prime abord elle n’est pas dénuée de toutes critiques.

Tout d’abord, la Cour de cassation et la CJUE opère un raccourci en permettant l’auteur d’assigner directement la société autrichienne devant les juridictions françaises pour des actes qu’elle n’a pas commis mais auxquelles elle aurait indirectement contribués. En effet, la vente des CDs litigieux n’aurait pu avoir lieu sans leur fabrication.

En réalité, la CJUE n’a pas voulu distinguer le lieu de matérialisation du dommage selon qu’il s’agisse d’une atteinte au droit de reproduction (prétendument commise par la société autrichienne) ou d’une atteinte au droit de diffusion (prétendument commise par les sociétés britanniques).

On peut penser, à l’instar de la Cour d’appel, que l’auteur aurait dû assigner la société autrichienne en Autriche pour atteinte à son droit de reproduction, et les sociétés britanniques en France puisqu’elles éditent les sites Internet diffusant les CDs argués de contrefaçon.

En procédant de la sorte, la CJUE et la Cour de cassation font une nouvelle foi une interprétation des textes en faveur des auteurs en leur permettant d’assigner une des personnes appartenant à la chaine de la contrefaçon devant une juridiction de son choix lorsque celle-ci a été commise sur Internet.

La limite est que si l’auteur n’assigne pas dans le pays où le fait générateur a été commis, il ne pourra obtenir réparation que du préjudice subi localement, en l’espèce en France.

Il s’agit bien ici de permettre une meilleure accessibilité du droit au procès à chacun. Toutefois, ce raccourci n’est en réalité pas forcément à l’avantage de l’auteur qui de toute évidence devra, pour obtenir réparation du préjudice subi en France, demander la communication des chiffres des ventes de CDs litigieux réalisés en France aux sociétés britanniques et non à la société autrichienne qui ne les a naturellement pas en sa possession !

Ainsi, ne pas obliger l’auteur à attraire ces deux sociétés britanniques n’est pas forcément synonyme d’aide dans sa démarche en réparation du préjudice subi.

Enfin, le retour en force du critère « d’accessibilité du site internet » pose également des questions relatives à la réparation du préjudice. Va-t-on pouvoir assigner la société autrichienne dans des pays de l’Union européenne où les sociétés britanniques ne livrent pas de CDs dès lors que les sites Internet sont accessibles ?

Rendre les juridictions compétentes n’est pas forcément signe de bonne justice.

En cas d’incompétence, l’auteur aurait été fixé dès le début du procès. Il gagne du temps et de l’argent en limitant les frais d’avocats. En acceptant que les juridictions soient compétentes, il est fort probable qu’après un procès long et couteux, l’auteur se voit débouté de ses demandes pour absence de preuve du préjudice subi dans le pays où il demande réparation localement.

C’est pourquoi, la Cour de cassation usait du critère du « site destiné à un public français » et qu’il conviendra de surveiller sa jurisprudence pour savoir si elle maintiendra ce critère ou non.

En tout état de cause, l’auteur devra s’entourer de conseils rompus à cette jurisprudence afin d’optimiser ses chances d’obtenir réparation de son entier préjudice.

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