A propos de Cass. 1ère Civ. 4 février 2015, pourvois n°13-16263 et 13-19455
Les deux arrêts rendus par la 1ère Chambre de la Cour de Cassation le 4 février 2015 marquent un nouveau pas dans la sévérité de l’interprétation faite de l’article 53 de la Loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 qui prévoit que la citation (l’assignation au civil) doit, à peine de nullité, préciser et qualifier le fait incriminé et énoncer le texte de loi applicable.
En effet, la 1ère Chambre de la Cour de cassation n’a pas toujours eu une position aussi tranchée que celle prise dans ces deux arrêts et il semble que cette dernière tire toutes les conséquences de l’arrêt rendu le 15 février par l’Assemblée plénière de la Cour de Cassation.
Cet arrêt, qui mettait fin à des divergences d’interprétation de l’article 53 précité entre la Chambre criminelle et la 1ère Chambre civile de la haute juridiction avait jugé « nulle une assignation retenant pour le même fait la double qualification d’injure et de diffamation», au motif que ce cumul de qualification est « de nature à créer pour les défenderesses une incertitude préjudiciable à leur défense » (sic) (cf. à propos de Cass. Ass. Plen., 15 février 2013, Pourvoi n°11-14637).
Cet arrêt était justifié par le fait que le formalisme imposé par l’article 53 de la loi sur la liberté de la presse doit permettre au défendeur de connaître précisément les faits qui lui sont reprochés et leur qualification ; et ce afin de pouvoir choisir les moyens de sa défense, lesquels ne sont pas identiques en matière de diffamation et d’injure puisque l’article 55 permet d’apporter la preuve de la vérité des faits diffamatoires dans le délai de dix jours prévu par la loi, alors que pareil moyen de défense n’existe pas en matière d’injure.
Les deux arrêts du 4 février vont plus loin.
Dans la première affaire, une personne a assigné en référé un tiers qui avait ouvert un site Internet en son nom pour y reproduire sa photographie accompagnée de commentaires désobligeants ; et ce sur le fondement de la diffamation et de l’atteinte à son droit à l’image.
La Cour de cassation censure la Cour d’appel de Paris qui a condamné le tiers poursuivi au motif qu’ « est nulle une assignation qui retient pour les mêmes faits une double qualification fondée sur la loi du 29 juillet 1881 et sur l’article 9 du Code civil ».
Dans la seconde affaire, un particulier a cette fois-ci assigné un journal et son directeur de publication pour diffamation et atteinte à sa présomption d’innocence après avoir constaté la publication de différents articles l’accusant notamment de tenir une comptabilité bidon et de valider des faux.
De la même manière, la Cour de Cassation censure l’arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence et juge qu’une assignation qui retient pour les mêmes faits une double qualification fondée sur la loi du 29 juillet 1881 et sur l’article 9-1 du Code civil est nulle.
La solution semble donc désormais totale : un même fait ne peut être poursuivi cumulativement ou alternativement sous la double qualification d’un délit de presse et d’une autre qualification, que ce soit un autre délit de presse ou bien encore un autre fondement juridique tel que l’atteinte à la vie privée, au droit à l’image ou à la présomption d’innocence.
Défendre son e-réputation sur Internet nécessite donc de faire des choix cruciaux en matière de qualification juridique sous peine de voir ses actions anéanties dès leur lancement par la nullité de l’assignation.