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Écrasement de ligne : les opérateurs Free et Orange condamnés

ecrasement de ligne

Par Stéphane ASTIER, Avocat à la Cour et Aurélien BAMDÉ, Juriste

Dans un arrêt du 13 mai 2015, la Cour d’Appel de Limoges condamne FREE et ORANGE suite à un écrasement de ligne. La responsabilité délictuelle de FREE, à l’origine de l’écrasement de ligne est engagée tandis que ORANGE voit sa responsabilité contractuelle recherchée pour retard dans l’exécution de ses obligations.

En l’espèce, une société d’expertise comptable a rencontré en novembre 2011, une brusque déconnexion des services de téléphonie, fax et internet qu’elle avait souscrits auprès de l’opérateur Orange. Après enquête, il s’avère que cette déconnexion résultait d’une opération de dégroupage réalisée par un opérateur concurrent, la société Free. Cette opération n’avait cependant nullement été sollicitée par le titulaire de la ligne.

Pour rappel, chaque utilisateur du réseau téléphonique – sur lequel repose la technologie ADSL – est relié au système par ce que l’on appelle une boucle locale. Elle est située entre la prise téléphonique de l’abonné final et un répartiteur. Aussi, le dégroupage est une opération consistant, pour un opérateur, à raccorder une boucle locale à son propre réseau, de sorte que l’utilisateur final n’est plus relié au réseau historique, soit celui initialement exploité par France Télécom.

Outre le respect des exigences techniques que requiert l’opération de dégroupage, elle suppose également la satisfaction de conditions juridiques au premier rang desquels on trouve l’approbation de l’utilisateur final. Un changement d’opérateur ne saurait, en effet, se faire sans que le titulaire de la ligne y ait consenti.

Tel n’était pas le cas dans le litige qu’avait à connaître la Cour d’appel de Limoges. D’où la démarche de la société victime de l’écrasement de ligne qui décide d’agir en responsabilité délictuelle à l’encontre de l’auteur du dégroupage, la société Free. Dans le même temps, elle entreprend d’engager la responsabilité contractuelle de son opérateur, la société Orange, auquel elle reproche d’avoir, d’une part, tardé à rétablir la ligne et, d’autre part, profité de cet incident pour augmenter unilatéralement le prix de son abonnement.

Déboutée de ses deux principales demandes par le Tribunal de commerce de Limoges dans un jugement du 12 février 2014, la société d’expertise obtient finalement gain de cause en appel.

Les juges du second degré estiment, en premier lieu, que la société Free, opérateur dit écraseur, a commis une faute en ne s’apercevant pas de l’existence d’une discordance entre le numéro de ligne communiqué par le client à l’origine de la demande de dégroupage et l’adresse postale à laquelle il était associé.

En second lieu, la Cour d’appel considère que l’intervention de la société Orange, opérateur dit écrasé, pour rétablir la ligne de son client, a été effectuée dans un délai déraisonnable (dix-sept jours), alors qu’elle s’était engagée, à travers la voix de la Fédération Française des Télécoms dont elle est membre, à traiter, sous 7 jours ouvrés, les demandes de ses clients victimes d’un écrasement de ligne. De surcroît les juges du second degré relèvent que la société orange a commis une faute en augmentant unilatéralement le prix du forfait souscrit par son client après la résolution de l’incident.

Au total, pour indemniser la société victime de l’écrasement de ligne, l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Limoges retient que, tant l’opérateur dit « écraseur », que l’opérateur dit « écrasé » n’ont pas satisfait à leurs obligations respectives. Aussi, cela justifie-t-il l’engagement de la responsabilité délictuelle du premier (I) et de la responsabilité contractuelle du second (II).

I) La responsabilité délictuelle de l’opérateur écraseur

Les juges de la Cour d’appel de Limoges considèrent que, lorsque la société Free a procédé à l’opération de dégroupage, elle disposait de toutes les informations nécessaires à la détection d’une discordance entre le numéro de ligne communiqué par son client et l’adresse postale à laquelle ce numéro était associé.

Partant, en ne vérifiant pas ces informations, elle a manqué à son obligation générale de diligence. Est-ce à dire que si elle ne les avait pas eues en sa possession, elle aurait été fondée à s’exonérer de sa responsabilité ?

C’est ce que laissent entendre les juges limougeauds. Ils affirment en ce sens que la société Free « ne justifie pas, par la pièce qu’elle invoque, que son client lui a fourni un numéro et une adresse erronés et qu’il s’agit là de la cause de la situation litigieuse ».

Cela signifie donc que si elle le justifiait, elle serait fondée à s’exonérer de sa responsabilité. Sur quel fondement ? En l’espèce, il lui faudrait invoquer la survenance du fait d’un tiers.

Cette cause d’exonération suppose toutefois que la conduite du tiers revête les caractères de la force majeure. Or il est fort peu probable que la société Free soit en mesure de démontrer que la transmission par son client d’informations erronées constituait un évènement irrésistible et imprévisible.

Aussi, il y a fort à parier que, quand bien même cette dernière serait parvenue à établir qu’elle ne disposait pas des informations lui permettant de détecter la discordance entre le numéro de ligne et l’adresse postale à laquelle elle était associée, elle n’aurait pas rempli les conditions d’exonération de sa responsabilité.

L’opérateur dit écraseur pourra dès lors difficilement échapper à sa responsabilité.

II) La responsabilité contractuelle de l’opérateur écrasé

La Cour d’appel de Limoges retient deux fautes à l’endroit de l’opérateur dit écrasé, la société Orange : d’une part, elle ne serait pas intervenue dans un délai raisonnable pour résoudre l’incident dont a été victime sa cliente, d’autre part, elle aurait augmenté le prix de l’abonnement de cette dernière, suite audit incident, de façon injustifiée.

S’agissant du premier reproche formulé à l’encontre de la société Orange, les juges du second degré se fondent, pour retenir une faute, sur un accord conclu entre la Fédération française des télécoms et les opérateurs de télécommunications lesquels se sont engagés, dans le cadre de cet accord et sur demande de l’ARCEP, à rétablir la ligne objet d’un écrasement fortuit sous 7 jours. Ainsi c’est une obligation quantifiée et de résultat que la Cour d’appel de Limoges met à la charge de l’opérateur écrasé. Il ne peut, en conséquence, s’exonérer de sa responsabilité que s’il démontre qu’il est intervenu dans le délai prescrit.

Cette décision implique, en outre, pour le créancier de l’obligation qu’il n’aura pas à prouver l’existence d’une faute. Elle est caractérisée du seul fait de l’inexécution contractuelle.

Si, manifestement, un délai de 7 jours peut apparaître relativement court, ce délai a été fixé en considération de l’importance du préjudice qu’est susceptible d’occasionner à un particulier, et plus encore à une entreprise, une privation des services de communication électronique.

Concernant l’augmentation du prix de l’abonnement de la société victime de l’écrasement de ligne, là encore, les juges du fond estiment que la société Orange a commis une faute dans la mesure où cette augmentation n’avait nullement été consentie par sa cliente. Or conformément à l’article 1134 du Code civil, tout avenant porté au contrat doit résulter d’un accord, ce qui n’est par définition pas le cas, lorsqu’il est le fruit d’une décision unilatérale.

Aussi, la Cour d’appel de Limoges n’avait-elle d’autre choix que de retenir la responsabilité de la société Orange.

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