Encourt la censure la dĂ©cision des juges du fond qui, aprĂšs avoir relevĂ© qu’un article de presse comportait des imputations diffamatoires, Ă©carte le fait justificatif de bonne foi alors que l’article incriminĂ©, portant sur un sujet d’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral relatif au traitement judiciaire d’une affaire criminelle ayant eu un retentissement national, ne dĂ©passait pas, au sens de l’article 10 de la Convention europĂ©enne des droits de l’homme, les limites admissibles de la libertĂ© d’expression dans la critique de l’action d’un magistrat. DĂ©cryptage.
M. A., magistrat, a fait citer directement devant le tribunal correctionnel, du chef de diffamation publique envers un fonctionnaire public, M. X., directeur de publication du journal Le Figaro, et M. Y., journaliste, en raison de la publication d’un article consacrĂ© Ă l’affaire dite des disparues de l’Yonne.
Attendu qu’il rĂ©sulte de l’arrĂȘt attaquĂ© et des piĂšces de la procĂ©dure que Jacques A…, magistrat, a fait citer directement devant le tribunal correctionnel, du chef de diffamation publique envers un fonctionnaire public, Christian X…, directeur de publication du journal Le Figaro, et Guillaume Y…, journaliste, en raison de la publication d’un article consacrĂ© Ă l’affaire dite des disparues de l’Yonne, intitulĂ©  » Mis en cause en tant que procureur d’Auxerre, Jacques A… dans la tourmente « , incriminĂ© du fait des trois passages suivants :
 » Aujourd’hui, l’ancien procureur d’Auxerre assure qu’il a conclu au suicide de Christian Z… pour des motifs irrĂ©prochables. Mais l’attitude de Jacques A… en ces circonstances est d’autant plus troublante qu’elle s’ajoute Ă une liste d’erreurs ou de fautes dĂ©jĂ longue. «Â
 » En 1996, quand les proches des victimes portent plainte, Jacques A…  » retrouve  » le rapport de Z… sur les disparues aprĂšs qu’on ait perdu sa trace pendant douze ans « .
 » MutĂ© pour manquement Ă l’honneur de Paris Ă Versailles, il a vu cette sanction annulĂ©e par le Conseil d’Etat en janvier dernier. « S’agissant des disparues de l’Yonne, j’ai Ă©tĂ© exempt de tout reproche », insiste-t-il.
Pourtant la question est clairement posée : Et si le procureur avait obéi à des motifs sans rapport avec le droit ?  » ;
Attendu que les juges du premier degré ont relaxé les prévenus ; que la partie civile et le ministÚre public ont relevé appel du jugement ;
Dans un arrĂȘt du 9 juillet 2008, rendu sur renvoi aprĂšs cassation, la cour d’appel de Rouen a condamnĂ© M. X. et M. Y. pour diffamation publique envers un fonctionnaire public. La Cour de cassation casse lâarrĂȘt le 12 mai 2009.
Sur le deuxiĂšme moyen de cassation, pris de la violation de l’article 10 de la Convention europĂ©enne des droits de l’homme, des articles 23, 29, alinĂ©a 1, 31, 42, 43, 53 de la loi du 29 juillet 1881, 388, 591 et 593 du code de procĂ©dure pĂ©nale, dĂ©faut de motifs, manque de base lĂ©gale ;
 » en ce que l’arrĂȘt infirmatif attaquĂ© a dĂ©clarĂ© Christian X… et Guillaume Y… coupables, le premier en qualitĂ© d’auteur principal, le second en qualitĂ© de complice, du dĂ©lit de diffamation publique envers un fonctionnaire public et les a respectivement condamnĂ©s Ă une amende de 4 500 euros ;
 » aux motifs que sur le premier passage incriminĂ© ; qu’ainsi que le soutient l’avocat de la partie civile dans ses Ă©critures, le fait d’imputer Ă Jacques A… des erreurs ou des fautes et d’y voir prĂ©tendument un Ă©lĂ©ment troublant de l’attitude de ce magistrat dans cette affaire judiciaire devenue trĂšs mĂ©diatisĂ©e, tend Ă montrer, dans l’esprit du lecteur, par ailleurs informĂ© du rĂ©sultat de l’autopsie du corps de Christian Z…, que le comportement de ce magistrat, dont il est rappelĂ© que son caractĂšre peut soulever des rĂ©serves, a rĂ©vĂ©lĂ© une volontĂ© de ne pas faire aboutir la vĂ©ritĂ© sur la mort du gendarme Christian Z… et « les disparues de l’Yonne » ; que cette allĂ©gation, formulĂ©e par ces propos sous forme d’insinuation, impute incontestablement Ă ce magistrat une absence de probitĂ© professionnelle et un manquement Ă ses devoirs dans l’exercice de ses fonctions, et ce, d’autant plus que le journaliste, dans la poursuite de son article, ne laisse plus aucun doute dans l’esprit du lecteur en devenant Ă cet Ă©gard affirmatif lorsqu’il Ă©crit, aprĂšs avoir Ă©noncĂ© ce qu’il considĂšre ĂȘtre « des fautes ou des erreurs » que c’est donc en dĂ©pit de la constante opposition du procureur que les investigations aboutiront Ă l’arrestation d’Emile B… en dĂ©cembre 2000, et qu’il termine cet article par la question : « et si le Procureur avait obĂ©i Ă des motifs sans rapport avec le droit », le journaliste, par ce propos interrogatif ne faisant que rĂ©affirmer implicitement la volontĂ© de ce magistrat de faire obstruction Ă la vĂ©ritĂ© ; que ce premier passage, imputant Ă Jacques A… une absence de probitĂ© et un manquement dĂ©libĂ©rĂ© Ă ses devoirs dans l’exercice de ses fonctions de magistrat, constitue l’imputation d’un fait attentatoire Ă l’honneur et Ă la considĂ©ration de ce dernier ; que, s’agissant des deuxiĂšme et troisiĂšme passages incriminĂ©s, les propos tenus, qui ne peuvent ĂȘtre examinĂ©s qu’au regard de l’ensemble de l’article, notamment des propos prĂ©cĂ©dents, et de son contexte, ne font que conforter, dans l’esprit du lecteur, l’idĂ©e que Jacques A… a voulu empĂȘcher que la vĂ©ritĂ© soit faite sur l’affaire dite « des disparues de l’Yonne » ; qu’ainsi, en Ă©crivant les propos suivants : « en 1996, quand les proches de la victime portent plainte, Jacques A… « retrouve » le rapport de Christian Z… sur les disparues aprĂšs qu’on eut perdu sa trace pendant douze ans », Guillaume Y… en associant dĂ©libĂ©rĂ©ment la plainte des proches des victimes au verbe « retrouver » mis entre guillemets et au temps Ă©coulĂ© depuis la remise du rapport en 1984, ainsi que le soutient la partie civile, a laissĂ© entendre et n’a pu que rĂ©pandre, dans l’esprit du lecteur, l’idĂ©e que seules ces plaintes dĂ©posĂ©es dans un contexte mĂ©diatisĂ© avaient contraint Jacques A… Ă ressortir le rapport du gendarme Christian Z…, les guillemets placĂ©s autour du verbe « retrouver », qu’aucun Ă©lĂ©ment de style n’imposait dans l’article et qu’aucune explication tirĂ©e d’un usage identique dans le rapport du conseil supĂ©rieur de la magistrature ne saurait justifier, ne faisant, de surcroĂźt, que laisser entendre que ce rapport, pendant ces douze annĂ©es n’aurait peut-ĂȘtre pas Ă©tĂ© Ă©garĂ©, une idĂ©e que Guillaume Y… avait dĂ©jĂ Ă©mise dans un article publiĂ© dans le quotidien du Figaro en date du 18 mars 2002, produit aux dĂ©bats et intitulĂ© « disparues de l’Yonne : quatre magistrats en accusation », dans lequel il affirmait, dĂšs son introduction que « sans l’opiniĂątretĂ© des familles des victimes, l’attitude de ces quatre magistrats aurait assurĂ© l’impunitĂ© Ă Emile B… » ; que ces propos, induisant que l’opiniĂątretĂ© des proches des victimes avait contraint le procureur Ă ressortir le rapport du gendarme Christian Z…, tout en insinuant qu’il n’Ă©tait pas Ă©vident que ce rapport ait Ă©tĂ© Ă©garĂ©, et imputant Ă ce magistrat, par voie de consĂ©quence, un manquement grave aux devoirs de sa charge, n’ont pu dans l’esprit du lecteur que conforter l’idĂ©e que Jacques A… avait fait obstruction Ă la manifestation de la vĂ©ritĂ© sur les « disparues de l’Yonne » et constituent l’imputation d’un fait attentatoire Ă l’honneur et Ă la considĂ©ration de ce dernier ; que de mĂȘme, en terminant son article par les propos incriminĂ©s suivants : « mutĂ© pour manquement Ă l’honneur » de Paris Ă Versailles, il a vu cette sanction annulĂ©e par le conseil d’Etat en janvier dernier ; « s’agissant des disparues de l’Yonne, j’ai Ă©tĂ© exempt de tout reproche », insiste-t-il ; pourtant la question est clairement posĂ©e : et si le procureur avait obĂ©i Ă des motifs sans rapport avec le droit ? », Guillaume Y…, par la question posĂ©e, outre le fait qu’elle accrĂ©dite l’idĂ©e que Jacques A… aurait refusĂ© de voir aboutir la vĂ©ritĂ©, a laissĂ© entendre que ce magistrat, ce faisant, aurait obĂ©i Ă des motifs dĂ©pourvus de tout lien avec le droit et donc avec sa fonction de procureur et ne pouvant dĂšs lors qu’ĂȘtre en relation avec le caractĂšre troublant de son attitude dans cette affaire, laissant libre cours Ă l’imagination du lecteur pour se faire une idĂ©e de ces motifs, certes restĂ©s mystĂ©rieux dans cet article, mais Ă coup sĂ»r contraires Ă l’Ă©thique professionnelle du magistrat, motifs que Guillaume Y… dans le passĂ© avait Ă©voquĂ© dans un article paru dans le quotidien du Figaro du 12 mars 2002, produit aux dĂ©bats et intitulĂ© « disparues de l’Yonne ; enquĂȘte sur une « corruption » des magistrats ; qu’affirmer sous forme d’insinuation que Jacques A…, en tant que procureur de la RĂ©publique, a refusĂ© de faire aboutir la vĂ©ritĂ© sur « les disparues de l’Yonne » pour des motifs dĂ©pourvus de tout lien avec le droit et donc avec sa fonction et ne pouvant, en raison de l’attitude troublante dans cette affaire que ce mĂȘme journaliste a cru devoir dĂ©noncer, qu’ĂȘtre contraire Ă l’Ă©thique professionnelle du magistrat constitue l’imputation d’un fait attentatoire Ă l’honneur et Ă la considĂ©ration de ce dernier ; qu’ainsi, les trois passages poursuivis, publiĂ©s dans le journal Le Figaro, en date des 3 / 4 avril 2004, loin de reflĂ©ter une opinion ou un jugement de valeur sur l’attitude de Jacques A… ainsi que le font plaider les 2 prĂ©venus et la sociĂ©tĂ© civilement responsable, constituent l’imputation de manquements dĂ©libĂ©rĂ©s aux devoirs de sa charge, attentatoires Ă l’honneur et Ă la considĂ©ration de Jacques A…, et ils caractĂ©risent une diffamation publique Ă l’Ă©gard d’un fonctionnaire public, un dĂ©lit prĂ©vu et rĂ©primĂ© par les articles 29, alinĂ©a 1, et 31, alinĂ©a 1, de la loi du 29 juillet 1881 ;
 » alors, d’une part, que la simple expression d’une opinion ou d’un jugement de valeur autorisĂ©e par le libre droit de critique ne peut ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme diffamatoire en ce qu’elle ne saurait constituer un fait matĂ©riel prĂ©cis, susceptible de faire l’objet d’un dĂ©bat sur la preuve de sa vĂ©ritĂ© ; qu’en l’espĂšce, il ne peut ĂȘtre reprochĂ© Ă un journaliste de considĂ©rer comme « troublante » l’attitude de Jacques A… Ă l’occasion des rĂ©sultats de l’autopsie du gendarme Christian Z… remettant en cause, plus de sept ans plus tard, la thĂšse du suicide qu’il avait pourtant retenue en tant que procureur de la RĂ©publique sans avoir ordonnĂ© la moindre autopsie ou expertise, ni de juger que ce dernier avait dĂ©jĂ commis des « fautes ou erreurs », dans la mesure oĂč ces allĂ©gations ne sont que l’expression de son opinion, conforme au droit de libre critique sur la maniĂšre de servir d’un magistrat Ă l’occasion de l’exercice de ses fonctions ; qu’en condamnant nĂ©anmoins les prĂ©venus du chef de diffamation publique, aprĂšs avoir induit de cette opinion que les prĂ©venus imputaient en rĂ©alitĂ© « implicitement » Ă Jacques A… la volontĂ© de faire obstruction Ă la vĂ©ritĂ©, la cour d’appel a non seulement dĂ©naturĂ© les propos incriminĂ©s mais violĂ© les textes visĂ©s au moyen ;
 » alors, d’autre part, que, pour juger du caractĂšre diffamatoire ou non des passages de l’article incriminĂ©s, la cour d’appel ne pouvait, sans excĂ©der ses pouvoirs, prendre en considĂ©ration des faits dĂ©veloppĂ©s dans l’article et non visĂ©s par la citation, et qui, comme tels, n’ont pu faire l’objet d’un dĂ©bat contradictoire ; qu’en effet, la prise en considĂ©ration d’Ă©lĂ©ments extrinsĂšques de nature Ă donner Ă l’expression incriminĂ©e son vĂ©ritable sens, ne peut avoir pour effet d’Ă©tendre les poursuites Ă des faits non visĂ©s Ă la prĂ©vention sur lesquels les prĂ©venus n’ont pas Ă©tĂ© en mesure d’apporter la preuve de leur vĂ©ritĂ© ; qu’en l’espĂšce, Jacques A… n’ayant pas poursuivi les passages de l’article reprenant de maniĂšre prĂ©cise certains agissements contestĂ©s pour ne pas s’exposer Ă l’offre de preuve, la cour d’appel ne pouvait, sans excĂ©der ses pouvoirs, emprunter Ă ces faits leur prĂ©cision pour pouvoir condamner au titre de la diffamation, le simple jugement de valeur exprimĂ© par le journaliste dans le passage incriminĂ© ;
 » alors, encore, que, seule l’allĂ©gation ou l’imputation d’un fait qui porte atteinte Ă l’honneur et Ă la considĂ©ration de la personne auquel le fait est imputĂ© est diffamatoire ; qu’en l’espĂšce, la simple imputation faite Ă Jacques A… d’avoir « retrouvĂ© » le rapport Christian Z… en 1996 suite Ă la plainte des proches des victimes ne porte en rien atteinte Ă son honneur dĂšs lors qu’elle constitue une simple prĂ©caution de style renvoyant directement aux guillemets utilisĂ©s dans le rapport du CSM citĂ© Ă la suite du passage incriminĂ©, et justifiĂ©e par le fait que les conditions dans lesquelles le rapport Christian Z… a Ă©tĂ© retrouvĂ© par Jacques A… n’ont jamais pu ĂȘtre Ă©lucidĂ©es, comme le dĂ©montraient explicitement les prĂ©venus dans leurs conclusions sur le fondement du rapport de l’IGSJ, de l’audition de Jacques A… devant la formation disciplinaire du CSM, des conclusions des rapporteurs du CSM, et de l’avis motivĂ© du CSM ; qu’en l’Ă©tat de ces incertitudes non contestĂ©es, objectivement rapportĂ©es par le journaliste par l’usage de guillemets, la cour d’appel ne pouvait se contenter de les Ă©carter au motif hypothĂ©tique que les guillemets laisseraient entendre que « ce rapport pendant ces douze annĂ©es n’aurait peut-ĂȘtre pas Ă©tĂ© Ă©garĂ© » ; qu’en fondant ainsi la condamnation pour diffamation sur d’hypothĂ©tiques insinuations, dĂ©pourvues de tout fondement objectif, la cour d’appel n’a pas lĂ©galement justifiĂ© sa dĂ©cision au regard des textes susvisĂ©s ;
 » alors, enfin, que, pour constituer une diffamation, l’imputation qui porte atteinte Ă l’honneur ou Ă la considĂ©ration de la victime doit se prĂ©senter sous forme d’une articulation prĂ©cise de faits de nature Ă ĂȘtre sans difficultĂ© l’objet d’une preuve ou d’un dĂ©bat contradictoire ; que tel n’est pas le cas de l’interrogation, formulĂ©e par le prĂ©venu Ă la fin de son article « et si le procureur avait obĂ©i Ă des motifs sans rapport avec le droit ? » comme le constate d’ailleurs elle-mĂȘme la dĂ©cision attaquĂ©e en relevant que ces propos laissaient « libre cours Ă l’imagination du lecteur pour se faire une idĂ©e de ces motifs, certes restĂ©s mystĂ©rieux dans cet article » ; qu’en s’abstenant de prendre en considĂ©ration le caractĂšre vague et indĂ©terminĂ© de ce propos interrogatif pour dĂ©clarer les prĂ©venus coupables de diffamation publique sur le seul fondement de son caractĂšre attentatoire Ă l’honneur et Ă la considĂ©ration de la partie civile, la cour d’appel n’a pas tirĂ© les consĂ©quences lĂ©gales de ses propres constatations et privĂ© sa dĂ©cision de base lĂ©gale  » ;
Attendu que les Ă©nonciations de l’arrĂȘt attaquĂ© et l’examen des piĂšces de la procĂ©dure mettent la Cour de cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel, par des motifs exempts d’insuffisance comme de contradiction, et rĂ©pondant aux chefs pĂ©remptoires des conclusions dont elle Ă©tait saisie, a exactement apprĂ©ciĂ© le sens et la portĂ©e des propos incriminĂ©s et a, Ă bon droit, retenu qu’ils comportaient des imputations diffamatoires visant Jacques A… en sa qualitĂ© de magistrat ;
Mais sur le troisiĂšme moyen de cassation, pris de la violation de l’article 10 de la Convention europĂ©enne des droits de l’homme et des libertĂ©s fondamentales, des articles, 23, 29, alinĂ©a 1, 31, alinĂ©a 1, de la loi du 29 juillet 1881, 591 et 593 du code de procĂ©dure pĂ©nale, dĂ©faut de motifs, dĂ©faut de rĂ©ponse Ă conclusions, manque de base lĂ©gale ;
 » en ce que l’arrĂȘt infirmatif attaquĂ© a dĂ©clarĂ© Christian X… coupable du dĂ©lit de diffamation publique envers un fonctionnaire public et Guillaume Y… coupable de complicitĂ© de ce dĂ©lit, en rejetant l’exception de bonne foi ;
 » aux motifs que, dans les conclusions dĂ©veloppĂ©es par Guillaume Y…, il est sollicitĂ© subsidiairement une relaxe au motif que le journaliste a Ă©tĂ© de bonne foi en Ă©crivant cet article, qu’il a en effet dĂ©livrĂ© de bonne foi, dans un contexte particulier, une opinion admissible et mesurĂ©e au regard de l’Ă©moi et de la polĂ©mique suscitĂ©e par les rĂ©sultats de l’autopsie et des conditions dans lesquelles la thĂšse du suicide avait, Ă l’Ă©poque, Ă©tĂ© retenue par Jacques A… ; que ceci Ă©tant, pour bĂ©nĂ©ficier de la bonne foi invoquĂ©e, qui a un caractĂšre justificatif tant Ă l’Ă©gard de l’auteur des propos qu’Ă celui du directeur de publication, Guillaume Y… doit rapporter la preuve qu’en Ă©crivant cet article, il a poursuivi un but lĂ©gitime, n’a dĂ©montrĂ© aucune animositĂ© personnelle Ă l’Ă©gard de Jacques A…, a procĂ©dĂ© Ă une enquĂȘte ou un travail sĂ©rieux et fait preuve de prudence et de mesure dans l’expression de ses propos ; qu’en l’espĂšce, la teneur de l’article dĂ©montre incontestablement que Guillaume Y…, en dĂ©pit de l’annulation de la sanction disciplinaire prononcĂ©e par le garde des Sceaux, est restĂ© convaincu de la responsabilitĂ© et de l’implication de Jacques A… dans le retard apportĂ© au traitement de l’affaire dite « des disparues de l’Yonne », persistant Ă le soupçonner d’avoir voulu Ă©touffer cette affaire ; que l’annulation de cette sanction, quel qu’en fĂ»t le motif, aurait dĂ» l’inciter Ă la plus grande prudence sur le rĂŽle qu’il imputait jusqu’alors Ă Jacques A… dans l’affaire dite des « disparues de l’Yonne », Guillaume Y…, par cet article, a dĂ©libĂ©rĂ©ment continuĂ© Ă entretenir dans l’opinion publique le doute et Ă nourrir les soupçons sur la probitĂ© de ce magistrat en des termes rĂ©vĂ©lateurs d’un acharnement Ă son Ă©gard, sans qu’il puisse trouver, contrairement Ă ce qu’il fait plaider, une justification de ce comportement dans les rĂ©sultats de l’autopsie du gendarme Christian Z…, dont l’annonce dans la presse ne nĂ©cessitait pas que Jacques A… soit Ă nouveau dĂ©signĂ© Ă la vindicte publique ; qu’ainsi, en Ă©numĂ©rant une liste des prĂ©tendues « fautes ou erreurs » prĂ©sentĂ©es comme rĂ©vĂ©latrices de l’attitude troublante de Jacques A… dans cette affaire pour en conclure que c’est en dĂ©pit de sa constante opposition que les investigations ont abouti Ă l’arrestation d’Emile B… et en laissant entendre sans preuve, sur la base de sa seule conviction, immĂ©diatement aprĂšs le rappel de l’annulation de la sanction disciplinaire comme pour en supprimer l’effet dans l’opinion, que des raisons suspicieuses, sans rapport avec le droit, et donc nĂ©cessairement contraires Ă l’Ă©thique professionnelle et Ă la probitĂ©, avaient pu conduire ce magistrat Ă faillir dans sa mission de procureur de la RĂ©publique, Guillaume Y… a incontestablement fait preuve dans la rĂ©daction de son article d’une animositĂ© personnelle Ă l’Ă©gard de Jacques A… et d’un manque de sĂ©rieux, d’objectivitĂ© et de prudence exclusifs de toute bonne foi ; qu’en consĂ©quence, la cour, infirmant le jugement dĂ©fĂ©rĂ© de la 17e chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris, dĂ©clare Christian X…, le directeur de la publication du journal Le Figaro au temps de la parution de cet article dans le quotidien des 3 et 4 avril 2004, et Guillaume Y…, le rĂ©dacteur de cet article, coupables le premier en qualitĂ© d’auteur principal, le second en qualitĂ© de complice, du dĂ©lit de diffamation publique envers un fonctionnaire public, prĂ©vu et rĂ©primĂ© par les articles 29, alinĂ©a 1, et 31, alinĂ©a 1, de la loi du 29 juillet 1881 ;
 » alors, d’une part, que seules les expressions malveillantes profĂ©rĂ©es pour caractĂ©riser les imputations diffamatoires sont exclusives de la bonne foi ; qu’aprĂšs avoir elle-mĂȘme relevĂ© que les expressions retenues comme diffamatoires avaient Ă©tĂ© reproduites par le journaliste avec circonspection comme en tĂ©moignent l’usage de « guillemets », de « propos interrogatifs » « laissant libre cours Ă l’imagination du lecteur », ainsi que la reproduction des arguments de la partie civile, la cour d’appel ne pouvait se borner Ă affirmer que Guillaume Y… avait incontestablement fait preuve dans la rĂ©daction de son article d’une animositĂ© personnelle, sans pour autant relever la moindre expression malveillante, rĂ©vĂ©latrice d’une telle animositĂ© ; qu’en excluant l’exception de bonne foi, sans mĂȘme avoir recherchĂ© Ă dĂ©finir des Ă©lĂ©ments objectifs permettant d’induire des propos de Guillaume Y… une quelconque animositĂ©, la cour d’appel n’a pas tirĂ© les consĂ©quences lĂ©gales de ses propres constatations et privĂ© sa dĂ©cision de base lĂ©gale ;
 » alors, d’autre part, que le caractĂšre diffamatoire d’un propos doit ĂȘtre apprĂ©ciĂ© au jour oĂč ce propos est tenu ; qu’en l’espĂšce, en imputant au prĂ©venu un manque de prudence exclusif de sa bonne foi, au seul motif que la sanction disciplinaire prononcĂ©e par le Garde des Sceaux Ă l’encontre de Jacques A… avait Ă©tĂ© annulĂ©e le 12 janvier 2004 par le Conseil d’Etat, alors, d’une part, que cette dĂ©cision du Conseil d’Etat Ă©tait parfaitement mentionnĂ©e par le prĂ©venu dans l’article incriminĂ© sans commentaire, ni critique de sa part, et que, d’autre part, les faits Ă©voquĂ©s par le journaliste dans son article du 3 avril 2004 n’Ă©taient pas identiques et couvraient une pĂ©riode diffĂ©rente de celle retenue par le Conseil d’Etat, la cour d’appel a statuĂ© par un motif inopĂ©rant, privant de ce fait sa dĂ©cision de base lĂ©gale ;
 » alors, au demeurant, que dans le domaine de dĂ©bat d’idĂ©es, portant sur les opinions et doctrines relatives aux rĂŽle et au fonctionnement des institutions de l’Etat, et plus particuliĂšrement de l’institution judiciaire et des dĂ©positaires de l’autoritĂ© publique que sont les magistrats, le fait justificatif de la bonne foi, propre Ă la diffamation, n’est pas nĂ©cessairement subordonnĂ© Ă la prudence dans l’expression de la pensĂ©e ; qu’en l’espĂšce, dans une affaire que le garde des Sceaux avait lui-mĂȘme qualifiĂ©e « des plus graves qu’ait eu Ă connaĂźtre la justice », il Ă©tait parfaitement admissible, dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique, de considĂ©rer que les prises de position d’un procureur qui a refusĂ© toute enquĂȘte pendant huit ans Ă©taient erronĂ©es ou fautives sans que l’on puisse reprocher au journaliste un manque de prudence dans l’expression de sa pensĂ©e ; qu’en opposant au journaliste son manque de prudence pour l’exclure du bĂ©nĂ©fice de la bonne foi alors mĂȘme que les jugements portĂ©s par ce dernier sur l’attitude de Jacques A…, procureur de la RĂ©publique dans l’affaire des disparues de l’Yonne Ă©taient relatives au fonctionnement de l’institution judiciaire, la cour d’appel a mĂ©connu les textes et principes visĂ©s au moyen ;
 » alors, encore, qu’il rĂ©sulte de la jurisprudence de la Cour europĂ©enne des droits de l’homme rendue sur le fondement de l’article 10 de la Convention europĂ©enne des droits de l’homme dĂ©finissant la libertĂ© d’expression comme l’un des fondements essentiels d’une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique, que les limites de la critique admissible sont plus larges pour des fonctionnaires agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles que pour les simples particuliers ; qu’en l’espĂšce, au regard tant du contexte de l’affaire « des disparues de l’Yonne » dans lesquels les propos litigieux s’inscrivaient, relevant de l’actualitĂ© la plus brĂ»lante, que de la question d’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral relative au fonctionnement du systĂšme de justice pĂ©nale posĂ©e par l’article incriminĂ©, la condamnation des prĂ©venus pour diffamation ne pouvait passer pour proportionnĂ©e et nĂ©cessaire dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique au sens de l’article 10 de la Convention ; qu’en estimant le contraire, la cour d’appel n’a pas lĂ©galement justifiĂ© sa dĂ©cision et violĂ© l’article susvisĂ© ;
 » alors, en tout Ă©tat de cause, que l’arrĂȘt attaquĂ© a laissĂ© sans rĂ©ponse le chef pĂ©remptoire des conclusions des prĂ©venus faisant valoir qu’en vertu de la jurisprudence europĂ©enne des droits de l’homme rendue sur le fondement de l’article 10 de la Convention garantissant la libertĂ© d’expression, les limites de la critique admissible sont plus larges Ă l’Ă©gard des administrations et autorise une critique particuliĂšrement vigoureuse ; qu’Ă ce titre, les prĂ©venus revendiquaient le droit de disposer d’une libertĂ© de ton plus importante, au regard non seulement du contexte de la publication litigieuse, mais encore d’un sujet d’intĂ©rĂȘt public majeur ayant suscitĂ© une polĂ©mique et un questionnement sans prĂ©cĂ©dent, s’agissant du fonctionnement du systĂšme de la justice pĂ©nale ; qu’en se bornant, pourtant, Ă condamner les prĂ©venus du chef de diffamation publique envers un fonctionnaire public en s’abstenant de toute rĂ©ponse Ă cet argument fondamental des conclusions des prĂ©venus de nature Ă lĂ©gitimer les propos incriminĂ©s au nom du respect de la libertĂ© d’expression, la cour d’appel a derechef privĂ© sa dĂ©cision de toute base lĂ©gale au regard des textes visĂ©s au moyen « ;
La Haute juridiction judiciaire estime que la cour d’appel a mĂ©connu l’article 10 de la Convention europĂ©enne des droits de l’homme en se dĂ©terminant comme elle l’a fait, alors que l’article incriminĂ©, portant sur un sujet d’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral relatif au traitement judiciaire d’une affaire criminelle ayant eu un retentissement national, ne dĂ©passait pas les limites admissibles de la libertĂ© d’expression dans la critique de l’action d’un magistrat.
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Vu l’article 10 de la Convention europĂ©enne des droits de l’homme ;
Attendu que la libertĂ© d’expression ne peut ĂȘtre soumise Ă des ingĂ©rences que dans les cas oĂč celles-ci constituent des mesures nĂ©cessaires au regard du paragraphe 2 de l’article 10 prĂ©citĂ© ;
Attendu qu’aprĂšs avoir relevĂ©, Ă juste titre, le caractĂšre diffamatoire de certains propos dĂ©noncĂ©s par la partie civile, l’arrĂȘt, pour refuser le bĂ©nĂ©fice de la bonne foi aux prĂ©venus, prononce par les motifs repris au moyen ;
Mais attendu qu’en se dĂ©terminant ainsi, alors que l’article incriminĂ©, portant sur un sujet d’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral relatif au traitement judiciaire d’une affaire criminelle ayant eu un retentissement national, ne dĂ©passait pas les limites admissibles de la libertĂ© d’expression dans la critique de l’action d’un magistrat, la cour d’appel a mĂ©connu les texte et principe susvisĂ©s ;
D’oĂč il suit que la cassation est encourue ; que n’impliquant pas qu’il soit Ă nouveau statuĂ© sur le fond, elle aura lieu sans renvoi, ainsi que le permet l’article L. 411-13 du code de l’organisation judiciaire ;
Par ces motifs ;
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrĂȘt susvisĂ© de la cour d’appel de Rouen en date du 9 juillet 2008 ;
Références :
– Cour de cassation, chambre criminelle, 12 mai 2009 (pourvoi n° 08-85.732) – cassation sans renvoi de cour d’appel de Rouen, 9 juillet 2008 – voir le document
– Convention EDH – voir le document