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La guerre du référencement aura bien lieu

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L’arrêt rendu le 2 février 2011 par la Cour d’appel de Paris est le point d’orgue du revirement de jurisprudence opéré ces derniers mois par les juridictions françaises (et notamment parisiennes) dans les contentieux relatifs au référencement payant de sites Web utilisant des marques, dénominations sociales et autres signes distinctifs appartenant à des concurrents pour assurer une visibilité optimale à sa boutique en ligne.

Il est déjà loin le temps où les tribunaux condamnaient systématiquement les société Google et les annonceurs faisant appel au service de référencement Adwords® pour contrefaçon de marques, atteinte à la dénomination sociale, parasitisme économique, voire publicité mensongère.

C’est la CJUE qui, saisie de questions préjudicielles, a amorcé ce revirement par ses arrêts du 23 mars 2010, en estimant que les sociétés Google ne font pas un usage à titre de marques lorsqu’elles proposent à des annonceurs de réserver ces marques via son système de régie publicitaire Adwords® .

Ces arrêts qui ont eu pour conséquence première de voir la responsabilité des sociétés Google mise hors de cause dans les affaires pendantes devant les Tribunaux conduisent aujourd’hui la Cour d’appel de Paris à opérer un spectaculaire revirement de jurisprudence concernant la mise en jeu de la responsabilité des annonceurs.

Cet arrêt de la Cour d’appel de Paris marque incontestablement un tournant dans les réponses apportées par les Tribunaux aux titulaires de marques utilisées par des concurrents dans le cadre de services de référencement payant ; puisque la prise de position prise par la Cour est diamétralement opposée à sa jurisprudence antérieure, au moins sur trois points précis :

1. La charge de la preuve renversée

En premier lieu, la cour d’appel de Paris semble revenir sur son arrêt du 19 mai 2010 en matière de preuve de l’usage fait des marques dans le système de référencement Adwords® (Décision disponible sur le site legalis.net).

En l’espèce, un des défendeurs contestait avoir réservé pour mot clé l’association des termes AUTO et IES pour générer des annonces sur la requête « Auto-IES ». Il soutenait au contraire avoir simplement acheté le terme AUTO en « requête large », de sorte que son lien commercial aurait pu apparaître en réponse à toutes les requêtes contenant ce terme et par là-même à la requête « AUTO-IES ».

La Cour d’appel ne retient pas l’argument et renverse la charge de la preuve en soutenant que ce défendeur n’apporte pas la preuve contraire de ce que son référencement serait dû à la réservation de la marque AUTO IES.

Ce premier revirement apparaît être critiquable dans la mesure où cela conduit, à notre sens, à un renversement de la charge de la preuve contraire aux règles de la procédure civile. Comme l’avait retenu la même Cour dans son arrêt du 19 mai 2010, le fait qu’une annonce soit générée lorsque l’internaute cherche une marque composée d’un élément banal (en l’espèce, le terme « AUTO ») ne suffit pas à démontrer la faute commise par l’annonceur. En effet, les fonctionnalités qui lui sont offertes par l’outil Google Adwords® lui permettent de se voir référencer pour toute requête intégrant le terme « AUTO », y compris associé comme à une dénomination suggérant la marque d’un tiers (en l’espèce « IES »).

Présumer cette faute est lourde de conséquence pour l’annonceur qui n’aura pas forcément les connaissances techniques et juridiques requises pour avoir le réflexe de procéder à un référencement négatif de ses annonces en prenant soin pour chaque terme descriptif sélectionné d’indiquer à la société Google Adwords® qu’il ne souhaite pas être référencé pour des requêtes associant le dit terme à un autre terme tout aussi banal ou distinctif, dès lors qu’un tiers pourrait revendiquer des droits sur cette association de termes descriptifs ou évocateurs des produits et services ou de leur qualité.

2. L’utilisation d’une marque comme mot clé dans le système de référencement Adwords®  n’est pas fautif en soi

La CJUE a dit pour droit que :

« le titulaire d’une marque est habilité à interdire à un annonceur de faire, à partir d’un mot clé identique à ladite marque que cet annonceur a sans le consentement dudit titulaire sélectionné dans le cadre d’un service de référencement sur Internet, de la publicité pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels ladite marque est enregistrée, lorsque ladite publicité ne permet pas ou permet seulement difficilement à l’internaute moyen de savoir si les produits ou les services visés par l’annonce proviennent du titulaire de la marque ou d’une entreprise économiquement liée à celui-ci ou, au contraire, d’un tiers » (Voir les arrêts sur le portail juridique de l’UE disponible sur le site eur-lex.europa.eu).

La Cour d’appel en déduit que le choix d’un signe identique à une marque en tant que mot-clé appelé à déclencher l’affichage d’un lien commercial pointant vers un site internet, s’il constitue manifestement un usage de la marque dans la vie des affaires, n’est pas illicite dès lors qu’il n’y a pas atteinte à la fonction essentielle de la marque qui est de garantir l’identité d’origine des produits et services qu’elle est destinée à distinguer.

Or, en l’espèce, la Cour d’appel considère que les annonces litigieuses ne portent pas atteinte à la fonction d’indication d’origine de la marque sélectionnée à titre de mot clé dès lors que les annonces générées ne suggèrent aucun lien économique entre l’annonceur et le titulaire de la marque.

Au cas d’espèce elle juge que « le fait que les liens commerciaux soient affichés en même temps que la marque introduite en tant que critère de la recherche demeure exposée dans la lucarne située en partie haute de l’écran n’est pas de nature, à lui seul, à induire en erreur l’internaute en le portant à croire que les produits ou services promus proviennent du titulaire de la marque ou d’une entreprise économiquement liée à celui-ci ».

La cour d’appel déboute en conséquence le titulaire de la marque de ses demandes au titre de la contrefaçon de marque.

3. L’absence de concurrence déloyale et parasitaire dans l’utilisation de signes distinctifs de concurrents pour optimiser son référencement

Tenant le même raisonnement que celui conduisant au débouté de la demande de contrefaçon de marque, la Cour d’appel considère que la réservation d’un nom commercial ou d’une dénomination sociale à titre de mots clés dans le système de référencement Adwords® ne caractérise pas un acte de concurrence déloyale et/ou de parasitisme économique ; dès lors que cet usage n’engendre pas un risque de confusion dans l’esprit des internautes sur l’origine des produits ou services et sur l’identité du site Web pour lequel l’annonce est générée.

Faut-il généraliser cette solution au point d’affirmer que l’usage de toute marque est désormais totalement libre dans le système de référencement Adwords® , dès lors que le corps de l’annonce marquera clairement l’absence de tout lien entre le titulaire de la marque utilisée aux fins de référencement et l’éditeur du site de l’annonceur ?

Il nous semble que les Tribunaux devront atténuer cette solution pour préserver la valeur des marques et le droit de propriété de leur titulaire contre toute utilisation abusive.

Les règles à fixer en matière de référencement sont essentielles à l’heure où le développement des boutiques virtuelles connaît son essor et où la visibilité sur le Web constitue un enjeu concurrentiel majeur.

Si comme le rappelle la Cour, il peut paraître légitime, dans l’exercice du libre jeu de la concurrence, de proposer des alternatives aux internautes à la recherche de telle ou telle marque, il n’en demeure pas moins que des limites doivent être fixées dans l’utilisation de la marque appartenant à autrui, notamment lorsque cette marque jouit d’une certaine notoriété et/ou renommée.

Les titulaires de marques sont prévenus : La guerre du référencement aura bien lieu !

Plus que jamais, ils doivent donc être actifs contre les atteintes portées à leurs droits, au risque de détenir des titres de propriété sur des actifs incorporels dénués de toute valeur…

Source :

A propos de CA Paris, 2 février 2011, disponible sur le site legalis.net.

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