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Haro sur le fichier Edvige

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On s’oriente avec Edvige, vers une récolte policière d’informations très variées qui suscite des craintes légitimes. Outre les informations collectées sur les personnes susceptibles de porter atteinte à l’ordre public, y seront aussi centralisées des données sur celles ayant sollicité, ou exercé un mandat politique, syndical ou économique ou qui joue un rôle institutionnel, économique, social ou religieux significatif.
On tend alors à amalgamer des individus représentant un risque potentiel pour l’État et ceux dont l’activité s’avère indispensable à son bon fonctionnement, dans un cadre démocratique. Cette logique, sous tendue par des impératifs d’accumulation de renseignements extrêmement divers, va induire de facto une extension considérable du fichage pouvant à terme concerner des millions de citoyens.
Le projet a, d’ailleurs, été déjà modifié après plusieurs remarques venues, notamment, de la Commission nationale informatique et liberté (Cnil) qui a obtenu que le décret créant Edvige soit publié au Journal officiel, ce qui rend possible un débat public et citoyen et un contrôle effectif sur ce fichier. De même, aucune interconnexion avec les autres fichiers existants (Stic, casier judiciaire, etc.) ne sera autorisée. D’autres restrictions ont été ajoutées au projet initial. Ainsi, l’enregistrement des déplacements et du comportement des personnalités publiques a été abandonné. Enfin, les données sur l’orientation sexuelle ou la santé ne seront plus enregistrées que de manière exceptionnelle.
Le fichage des mineurs dès 13 ans a suscité les réserves de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), qui a émis un avis le 16 juin2008, dans lequel elle «tient à préciser que le traitement de telles données appelle l’adoption de garanties renforcées» et doit par conséquent «être encadré de façon à lui conserver un caractère exceptionnel et une durée de conservation spécifique». Entendu par la Cnil, le ministère de l’Intérieur a justifié ce fichage «par les mutations affectant la délinquance juvénile», notamment dans les phénomènes dits de «violences urbaines», et fait valoir que l’âge de 13 ans correspondait à celui de la responsabilité pénale. Ce à quoi la Commission a répliqué que cette majorité pénale «ne saurait servir de référence» puisque le fichier ne vise qu’à «l’information générale du gouvernement». Mais, elle a quand même obtenu que la conservation des données n’excédent pas cinq ans.
Le fichier Edvige porte aussi atteinte aux principes de liberté politique définis par la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH). En particulier, la base de données, en ce qu’elle ficherait des citoyens ne présentant pas de risque pour la sécurité publique, irait à l’encontre du principe de respect de la vie privée. La création du fichier Edvige est donc contraire à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme relatif au respect de la vie privée et de la vie familiale.
L’enregistrement de données fiscales et patrimoniales, ou encore concernant l’environnement de la personne, est à mon sens incompatible avec la liberté politique indispensable au fonctionnement démocratique. Rappelons la condamnation que vient de prononcer la Cour européenne des Droits de l’Homme contre la Suède au sujet du type d’informations personnelles consignées dans son fichier de Sûreté (affaire Segersted-Wiberg et autres contre Suède, arrêt du 6 juin 2006). On peut, en particulier, pointer l’inadéquation entre la nature des informations sensibles enregistrées dans le fichier Edvige et sa finalité déclarée. Son existence étant officiellement légitimée par la collecte d’informations dont doivent pouvoir disposer les représentants du gouvernement en vue de faciliter « l’exercice de leurs responsabilités ».
En outre, le texte se dresse comme une barrière à l’exercice d’une fonction politique : les informations recueillies s’affichent incompatibles avec la liberté politique indispensable au fonctionnement démocratique. En effet le fichage des élus et des responsables politiques portent gravement atteinte aux libertés publiques et ne peut en toute hypothèse constitué un fichier instauré par décret, mais par la loi.
Par ailleurs, le fait de ficher des militants politiques, syndicaux ou associatifs est de toute façon quelque chose de très inquiétant, qui  revient à intimider tous les opposants, Il nous semble qu’il existe ici une disproportion entre l’objectif affiché, celui du maintien de l’ordre public, et l’atteinte à la liberté, notamment à la vie privée.
Le soupçon préventif suffit à justifier le fichage. Cette logique policière est celle d’une société qui a fini par considérer une partie de sa jeunesse, notamment dans les quartiers populaires, comme une menace. Elle est d’ailleurs à l’œuvre depuis quelques années et elle a abouti au rabotage systématique des spécificités du droit des mineurs.
Ce fichier, nous dit-on, permettra aux pouvoirs publics de préserver la sécurité.
Mais en quoi la santé et la vie sexuelle troublent-elles l’ordre public ?
Ne faudrait-il pas au contraire, face au développement des nouvelles technologies, se montrer encore plus exigeant au sujet des critères pris en compte par les services de police ?
Enfin, Edvige risque-t-il pas d’inciter les policiers à travailler de manière condamnable : pour établir leurs fiches sur la santé ou la vie sexuelle, ils seront obligés de violer soit le secret médical, soit la vie privée.
Lire aussi :
Edvige : un fichier pas comme les autres, par Gérard Haas
Edvige à l’épreuve du Conseil d’Etat, par Gérard Haas
L’avis de la Cnil
L’article du Point

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