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Internet à l’épreuve de l’adage « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà »

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Est-il besoin de rappeler que si internet est un média mondial, il est sujet aux droits nationaux. Ce qui peut être dit dans un pays peut être interdit dans un autre en raison des différences socioculturelles, ou de l’application plus ou moins large qui est faite du principe de la liberté d’expression.

Lorsqu’un éditeur de contenu français veut faire passer un message sur internet, il ne s’adresse pas seulement à la population française, mais il s’adresse au monde entier. L’internaute prend alors le risque d’engager sa responsabilité « mondiale » pour les propos qu’il a pu tenir sur tel ou tel sujet.

La liberté d’expression est-elle universellement reconnue ?

Hélas, on peut regretter que la liberté d’expression ne soit pas mondialement défendue. Qui plus est, chaque pays l’encadre plus ou moins. Les limites ne sont donc pas les mêmes d’un pays à l’autre et ne trouvent pas les mêmes justifications.

Prenons le cas des Etats-Unis. Outre-atlantique, le premier amendement permet de tout dire au motif que cette liberté est absolue. Au contraire, en Chine, il est par exemple interdit de parler du boycott des jeux olympiques. Les contenus qui ont trait à cet événement sont bloqués par les fournisseurs d’accès internet.

Au niveau européen, l’article 10 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales de 1950 la consacre. En raison de son caractère fondamental reconnu par la Cour Européenne des Droits de l’Homme le 7 décembre 1976 dans le célèbre arrêt Handyside c/ Royaume Uni, l’ingérence des autorités publiques n’est autorisée que si elle a été prévue par la loi, ou inspirée par un ou plusieurs buts légitimes et qu’elle est nécessaire dans une société démocratique pour les atteindre. La liberté d’expression n’est donc pas absolue.

Qu’en est-il sur la toile ? Bloquer l’accès entier à un site plutôt que l’accès aux seuls contenus tendancieux est-il proportionné et justifié ?

Depuis quelques mois, l’accès au site YouTube est fréquemment bloqué au regard des contenus jugés litigieux par les autorités de certains pays notamment en Turquie et au Pakistan.

En janvier dernier, c’est le tribunal turc qui avait bloqué l’accès au dit site au motif qu’il contenait des vidéos insultantes pour le fondateur de la République turque Mustafa Kemal Atatürk. Or, selon la législation en vigueur, le fait de tourner en dérision la mémoire du premier Président de la République turque est passible d’une peine de prison. Les autorités thaïlandaises et marocaines ont, elles aussi, à plusieurs reprises, pris des mesures semblables.

Le 24 février dernier, c’est au tour du gouvernement pakistanais de faire injonction aux fournisseurs d’accès internet de bloquer « jusqu’à nouvel ordre » l’accès de ses internautes au site de partage de vidéos YouTube qui présenteraient un caractère blasphématoire et porteraient atteinte à l’islam. Il semblerait par ailleurs que ce site ait déjà fait l’objet d’une interdiction d’accès au motif qu’il publiait les caricatures controversées du prophète Mahomet reproduites par des journaux danois en février 2008.

Les abonnés de l’un des principaux fournisseurs, à savoir Micronet, ont reçu un courriel leur informant de la décision prise par l’Autorité des télécommunications pakistanaise. Ce fournisseur d’accès leur précisait qu’en attendant la levée de cette interdiction et pour permettre le déblocage du site, les utilisateurs pouvaient écrire au site pour réclamer le retrait des vidéos qu’ils auraient jugées choquantes.

Si l’interdiction d’accéder au site n’a duré que deux jours puisque les contenus incriminés ont été supprimés, reste à s’interroger sur la proportionnalité entre la sanction prise par les autorités et la diffusion de telles vidéos. On peut penser que bloquer l’accès aux seuls contenus litigieux aurait suffi.

Ces diverses affaires témoignent de la censure totale que certaines autorités étatiques exercent, même si elle n’est que temporaire via le blocage général de certains sites. Le but étant bien évidemment de faire pression sur les éditeurs de contenus pour qu’ils les retirent. La liberté d’expression n’est pas par conséquent sans limites.

En France, l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 protège la liberté d’expression. Elle s’entend de la libre communication des pensées et des opinions. Elle est hissée au rang des droits les plus précieux de l’homme : parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas prévus par la loi. Ainsi, des propos xénophobes ne peuvent pas être tenus en France.

Le 24 novembre 2006, la cour d’appel de Paris, se fondant sur la loi pour la confiance dans l’économie numérique, a pu juger que les fournisseurs français devaient empêcher l’accès au site révisionniste AAARGH, hébergé à l’étranger. Les organisations antiracistes, qui avaient initié la plainte, ont obtenu gain de cause. La Cour d’appel de Paris leur a imposé une mesure de filtrage. Les fournisseurs ont l’obligation de mettre en œuvre toutes les mesures propres à interrompre l’accès à partir du territoire français au contenu du service de communication en ligne hébergé à l’adresse incriminée.

En définitive, techniquement la censure est opérationnelle et l’accès à certains services est bloqué. Pourtant, les fournisseurs mettent en avant les difficultés qu’ils rencontrent à mettre en place des outils de filtrage efficaces. Etonnant, non ?


 En savoir plus :

Arrêt de la CEDH, Handyside c/ Roysaume Uni du 7 décembre 1976, Série A, n° 24. 830

Arrêt de la Cour d’appel de Paris du 24 novembre 2006

Liens vers un site relatif à cet arrêt

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