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L’Affaire Leclerc : un appel à une évolution des circuits de distribution de médicaments

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Un arrêt de la Cour d’Appel de Colmar en date du 7 mai 2008 évoque une affaire qui, au-delà de la liberté d’expression et des limites à la qualification de publicité trompeuse qui étaient en cause, appelle une évolution du circuit de distribution des médicaments dans la lignée de la position européenne relativement aux réglementations restrictives des professions libérales.
Le groupe Leclerc est à l’origine d’une campagne de communication dans la presse écrite, sur un site internet et par voie audiovisuelle axée sur l’augmentation des prix des médicaments.
Ce message est destiné à obtenir le droit de vendre des médicaments non remboursés dans les parapharmacies de ses centres commerciaux avec l’allégation que la concurrence serait susceptible de favoriser une baisse des prix des médicaments non remboursés lesquels ont connu des hausses spectaculaires de 36 % en moyenne en 2006.
Le slogan : « Avec l’augmentation du prix des médicaments, soigner un rhume sera bientôt un luxe » est illustré par un buste support de bijoux orné par une parure faite de pilules et de gélules. Michel-Edouard Leclerc affirme qu’il pourrait vendre 25% moins cher les médicaments non-remboursables si ce marché lui était ouvert.
Considérant qu’il s’agit d’une publicité tombant sous le coup de l’article L. 121-1 du Code de la consommation sanctionnant les publicités trompeuses et à titre subsidiaire un dénigrement de l’ensemble des pharmaciens d’officine présentés comme responsables de la hausse des prix de certaines spécialités pharmaceutique, le groupement SAS Univers Pharmacie et deux syndicats de pharmaciens propriétaires d’officines introduisent une action en référé en vue de faire interdire la poursuite de cette campagne publicitaire.
L’Ordonnance du TGI de Colmar le 21 avril 2008 prononce l’interdiction, sous astreinte, de la publicité litigieuse. La SA Galec (groupements d’achat des centres E. Leclerc) relève appel de cette ordonnance sur le fondement de l’article 10 de la Convention Européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales qui protège la liberté d’expression.La Cour d’Appel de Colmar se propose alors de rechercher dans quelle mesure cette campagne de communication qui assimile les gélules et autres pilules de médicaments à des objets de luxe constitue un trouble manifestement illicite pour les sociétés de pharmacie.
Elle y répond par le rejet à la fois de l’action en publicité trompeuse et celle fondée sur l’article 1382 et 1383 du Code civil pour dénigrement. En effet, d’une part la Cour de Colmar relève que les dispositions relatives à la publicité trompeuse ne s’appliquaient qu’aux pratiques commerciales, et spécialement aux publicités que dans la mesure où elles visent à promouvoir la vente d’un bien ou d’un service effectivement proposés sur le marché pour en déduire que ces dispositions ne s’appliquent pas à la campagne initiée par Leclerc en l’absence de produits effectivement proposés aux clients des grandes surfaces et elle indique que « l’allégation d’une hausse des médicaments qui ne sont plus remboursés est corroborée par la Commission des comptes de la sécurité sociale. ».
D’autre part, la Cour considère que l’image d’une parure faite de pilules et de gélules est d’une ironie un peu agressive mais ne dépasse pas manifestement les limites de ce qui est permis en matière d’expression humoristique.
Cet arrêt est, à première vue, intéressant d’un double point de vue, non seulement car il rappelle les éléments constitutifs d’une publicité trompeuse mais aussi car il réaffirme l’importance de la liberté d’expression.
A ce double apport s’ajoute un troisième que la promotion effectuée par Leclerc met en exergue, celle de l’ « appel » à une évolution des circuits de distribution pour les médicaments non soumis à prescription médicale.
Cette évolution peut se faire par deux moyens : par Internet et par des acteurs autres que des officines pharmaceutiques.
En France la vente des spécialités pharmaceutiques de médication officinale est réservée aux pharmaciens d’officine lesquels bénéficient d’un monopole de compétence qui selon l’article L. 4211-1 du Code de Santé Publique leur réserve la distribution au détail de l’ensemble des médicaments, fabriqués dans une officine ou selon un processus industriel.
L’article L. 5125-1 CSP définit l’officine comme l’établissement affecté à la préparation et la dispensation des médicaments ou autres produits de santé. Ainsi, la vente de médicaments sur Internet, comme leur achat, est illégale. La vente de médicaments en dehors des officines est passible des sanctions pénales prévues par l’article L. 4223-1 du code de la santé publique.
Cette interdiction n’est pas partagée dans l’ensemble de l’Europe. En Belgique, l’arrêté royal du 9 février 2009 autorise la vente par Internet des médicaments non soumis à prescription médicale mais uniquement quand elle se produit par l’intermédiaire d’un pharmacien reconnu en Belgique.
De même, la télémédecine prévue dans le Projet de loi portant réforme de l’hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires est une forme de pratique médicale à distance utilisant les technologies de l’information et il est prévu qu’elle permette d’établir un diagnostique, d’assurer un suivi pour les patients à risque ou encore de prescrire des produits.
Ainsi l’on ne peut s’empêcher de mettre en parallèle cette disposition avec une possible distribution des médicaments non soumis à prescription médicale par réseau Internet.
S’agissant du monopole de compétence des pharmaciens d’officine, il semble qu’il puisse être menacé au niveau européen. En effet, une Communication de la Commission Européenne relative à la concurrence dans le secteur des professions libérales a exposé la stratégie des institutions communautaires pour le développement du marché intérieur des services.
Ce Rapport pointe du doigt les réglementations restrictives des professions libérales et notamment les restrictions d’accès et les tâches réservés.
Ainsi, la Commission a pu considérer dans son point 48 que « Dans la plupart des États membres, les professions libérales font l’objet de restrictions quantitatives à l’entrée (installation). Elles peuvent se traduire par une durée d’études minimum, (…) Souvent ces restrictions s’accompagnent de droits réservés pour l’offre de certains services. »
La campagne initiée par Leclerc n’est donc pas un hasard. Elle doit s’envisager comme un écho de ces évolutions au niveau européen qui pourraient tendre vers une plus grande libéralisation du marché des médicaments distribués sans ordonnance et ouvrir la voie à leur commercialisation hors des circuits traditionnels de distribution.

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