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Le bonheur des nez aura été de courte durée

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L’article L 112-1 du Code de la Propriété intellectuelle (CPI) protège une œuvre de l’esprit quel qu’en soit le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination.

Le Code vient compléter cette disposition en dressant une liste non exhaustive des œuvres protégeables par le droit d’auteur à l’article L 112-2 CPI.

Or dans cette liste ne figure aucune œuvre perceptible par l’odorat et la question de la protection des parfums par le droit d’auteur est sujet à maintes controverses.

Il est vrai que ce type d’oeuvre se trouve au confluent du savoir faire, de la technique et de la création ; par conséquent sa qualification peut engendrer certaines discussions quant à son admission dans le cercle fermé des œuvres de l’esprit protégées par le droit d’auteur

A l’exception de quelques décisions rendues par les juges du fond, la Cour de Cassation semble être réticente à admettre l’accès des parfums à la protection par le droit d’auteur.

Quant à la doctrine elle reste divisée sur ce point. Pour certains, la fragrance d’un parfum ne peut être protégée car ne constitue par une forme extérieure arbitraire, mais un simple produit industriel relevant de la protection du droit des brevets.

La Cour de Cassation a récemment abondé dans ce sens en décidant, dans un arrêt du 13 juin 2006, que « la fragrance d’un parfum, qui procède de la simple mise en œuvre d’un savoir faire, ne constitue pas au sens des textes précités, la création d’une forme d’expression pouvant bénéficier de la protection des œuvres de l’esprit par le droit d’auteur. »

En l’espèce, un nez souhaitait que l’on reconnaisse que ses créations soient protégées pour pouvoir obtenir, au titre du droit d’auteur, une gratification auprès de la société pour laquelle elle avait crée plusieurs parfums.

Pour rejeter cette qualification la Cour de Cassation argue d’une part, que la fragrance ne constitue pas « la création d’une forme d’expression pouvant bénéficier de la protection des œuvres de l’esprit » et, d’autre part, qu’elle « procède de la simple mise en œuvre d’un savoir faire »

1. La fragrance : une forme d’expression exclue de la protection

En l’espèce, la Cour conditionne la protection d’une œuvre à sa forme d’expression qui, normalement devrait être indifférente au vu de l’article L 112-1 CPI qui précise que toutes les œuvres sont protégeables « quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination. »

Cela signifierait que certaines formes d’expression sont protégées mais pas d’autres.

En réalité la Cour insinue que l’œuvre, dans sa forme d’expression, doit être perceptible par les sens.

Or d’une part, la Cour n’aurait pas du se fonder la dessus pour exclure la protection dans la mesure où la condition de la forme d’expression est indifférente et, d’autre part l’odeur, la senteur perçue par l’homme est bien une forme d’expression d’une œuvre de l’esprit. En effet l’expression du parfum est perçue par le grand public, non pas dans sa formule chimique, mais dans le bouquet olfactif qu’il dégage.

La véritable question était de savoir si cette fragrance était ou non originale.

Comme l’a justement soutenu la Cour d’appel de Paris, dans un arrêt en date du 25 janvier 2006, « un parfum est susceptible de constituer une œuvre de l’esprit protégeable […] dès lors que, révélant l’apport créatif de son auteur, il est original. »
C’est ici que se situe en réalité le cœur du problème : les parfums créés par la demanderesse sont ils originaux ?

L’œuvre originale est traditionnellement définie comme la création intellectuelle reflétant la personnalité de son auteur

L’originalité d’une fragrance réside dans l’apport créatif du parfumeur, qui se traduit dans la composition olfactive du parfum, peu important qu’elle soit différemment perçue, à l’instar des œuvres littérales ou musicales.

Pour J.M. BRUGUIERE l’originalité est à rechercher dans les notes de cœur du parfum qui constituent son thème principal. En effet, le métier de nez est le même, mais chaque nez met une part de sa personnalité et de son âme dans chacun des parfums qu’il crée.

Il faut donc rechercher l’originalité dans l’architecture olfactive du parfum et non dans le processus de fabrication de celui-ci comme semble l’affirmer la Cour de Cassation dans le présent arrêt en arguant que la fragrance résulte de la simple mise en œuvre d’un savoir faire.

Mais l’élaboration d’un parfum constitue-t-elle une activité créatrice, et donc susceptible d’originalité, ou la mise en oeuvre d’un savoir-faire ?

2. Activité créatrice ou simple savoir-faire…

Au soutien de sa prétention la Cour de cassation ajoute que la fragrance « procède d’une simple mis en œuvre d’un savoir faire » et ne peut donc accéder à la protection par le droit d’auteur.

Inévitablement le savoir faire ne peut être protégé en tant que tel par le droit d’auteur, mais il ne peut non plus interdire toute protection dès lors que sa mise en œuvre « se concrétise par une forme originale »

L’exécution personnelle dans la création artistique nécessite toujours une part de savoir faire. Mais en réalité la démarche du créateur, en matière de fragrance, est de même nature que dans le domaine des œuvres photographiques ou musicales.

En effet quelle que soit la profession considérée, il existe toujours une part de savoir-faire dans la réalisation d’une œuvre. Le plus important est de déterminer les parts respectives du savoir faire pur et de l’expression de la personnalité de l’auteur. Cette dernière doit avoir une part prépondérante dans la création envisagée pour être considérée comme originale et bénéficier de la protection par le droit d’auteur.

En refusant une quelconque protection aux créateurs de parfums la Cour de Cassation relance le débat sur la protection des fragrances par le droit des brevets

Cependant cette solution est jugée sévèrement par les professionnels à plusieurs égards :

la protection par le brevet ne porte que sur la formule du parfum et non sur la senteur, seule forme perceptible par le public auprès duquel l’œuvre est diffusée ;

par la publication de la demande de brevet la formule chimique du parfum sera portée à la connaissance de tous, ce qui facilitera le travail du futur contrefacteur dans la réalisation de son délit de contrefaçon ;

enfin la durée de protection est réduite à 20 ans, à la différence du droit d’auteur qui offre une protection de 70 ans. Au-delà de cette durée, la création tombera dans le domaine public et pourra librement être reproduite.

Cet arrêt met donc un coup de massue aux espoirs des créateurs de parfums qui avaient, depuis peu, goûtés aux joies de la reconnaissance de leurs créations en tant qu’œuvres de l’esprit.

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