Dans un jugement du 6 décembre 2010, le Tribunal de Grande Instance de Nancy déboute deux quotidiens régionaux de leurs demandes visant à voir condamner un journal de presse en ligne pour contrefaçon et concurrence déloyale suite à la mise en ligne par ce dernier de résumés et de liens hypertextes renvoyant l’internaute aux articles cités et résumés.
En l’espèce, il était reproché au site internet d’avoir mis en place le système suivant : une page présentait une liste chronologique d’articles publiés sur des sites tiers dont les deux quotidiens régionaux. Chaque article était accompagné d’un texte court de présentation suivi d’un lien présenté de la manière suivante « lire la suite ». En cliquant sur ce lien, l’internaute est dans un premier temps redirigé sur une page du site attaqué où figure le titre de l’article, sa source, sa date et son heure de publication ainsi que les premières lignes de l’article ou un court résumé. Un nouveau lien indique « Lire ici l’article dans son intégralité sur ». En cliquant sur ce dernier lien l’internaute arrive dans un second temps sur une nouvelle page comportant deux frames ou cadres.
Pour les deux quotidiens régionaux, ce système était constitutif de contrefaçon dans la mesure où était reproduit sans leur consentement leurs créations originales. En effet, l’article L.122-4 du Code de la propriété Intellectuelle dispose que « Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l’adaptation ou la transformation, l’arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque. »
Les demanderesses reprochaient également au site attaqué de créer la confusion dans l’esprit des internautes considérant que le système de double cadre conduisait le lecteur à se méprendre sur l’origine de l’article consulté.
Dans le cadre d’une motivation énergique et détaillée le Tribunal de Grande Instance de Nancy rejette ces demandes et procède au passage à quelques mises au point sur lesquelles il est intéressant de revenir.
Sur la contrefaçon
L’exception de revue de presse est rejetée
L’article L.122-4 précité permet de sanctionner les représentations ou reproductions totales ou partielles d’écrits sur le terrain de la contrefaçon. Toutefois, il existe en droit plusieurs exceptions aux droits patrimoniaux de l’auteur.
La revue de presse fait parti de ces exceptions et est invoquée à ce titre en défense par le site attaqué. Le Tribunal décide ne pas suivre ce raisonnement au motif que les conditions ne sont pas remplies. Il est en effet observé que le site attaqué se contente de publier des articles relatifs à des sujets différents, sans que ces articles ne révèlent une pluralité d’avis sur un même thème ou une comparaison d’opinions.
A cette occasion est rappelée la notion de revue de presse qui se définit « comme la présentation conjointe et par voie comparative de divers commentaires émanant de journalistes différents et concernant un même thème ou un même événement ». Cette exception aux droits d’auteur s’appuie en effet sur le principe suivant lequel l’information du public suppose que ledit public ait accès à l’information contenue dans les œuvres journalistiques. La revue de presse, qui participe à cette information, doit toutefois se présenter en un rapport de l’information d’actualité sous sa forme journalistique et mettre en perspective cette actualité grâce à l’opinion de plusieurs auteurs. Il convient également de préciser que la mise en œuvre d’une revue de presse doit nécessairement s’accompagner d’un strict respect des droits moraux de l’auteur dont le commentaire est reproduit en mentionnant notamment son nom, sa qualité et la source. A l’instar de la courte citation, encore faut-il que l’élément reproduit ou représenté, ne vise pas ou n’ait pas pour effet, de dénaturer l’article original ou de donner une idée fausse de celui-ci.
L’exception de courte citation retenue
Après une vérification détaillée du fonctionnement du site attaqué, le Tribunal retient l’exception de courte citation. Les premièrs juges observent en effet que le site attaqué :
- a pour objet de remplir une mission d’information et de pluralisme de la presse
- mentionne bien la source (nom du site de publication), les dates et heures de parutions,
- se compose de premières lignes ou d’un court résume de l’article visé
- prévoit un encadré permettant aux internautes de publier des commentaires.
Ces critères de conformité à l’exception de courte citation s’accompagnent d’une vérification de la nature du lien hypertexte employé. A ce titre, le Tribunal constate que le lien « lire ici l’article en intégralité sur… » renvoie, non sur la page d’accueil des sites quotidiens régionaux, mais directement sur la page de l’article concerné.
Ce contrôle s’appuie sur les conditions fixées à l’article L.122-5 du Code de la Propriété Intellectuelle qui dispose que :
» lorsque l’œuvre à été divulguée, l’auteur ne peut interdire (…)3° sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l’auteur et sa source :
a) les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifiques ou d’information de l’œuvre à laquelle elles sont incorporées ; b) les revues de presse. » ;
Rappelant que l’usage d’un lien profond n’est pas par principe prohibé, le Tribunal décide de rejeter la demande relative à la contrefaçon. Est ainsi décidé que « nonobstant la persistance de l’adresse URL du site D. dans la barre d’adresses du navigateur internet et l’utilisation de frame, (…), il apparaît que la défenderesse ne communique pas elle-même les articles en litige au public mais met uniquement à disposition de ce dernier les liens lui permettant de visionner les sites XX.fr et YY.com sur lesquels s’effectue la représentation »
Sur la concurrence déloyale
Après avoir observé que les demandes ne concernaient pas des faits distincts comme cela est exigé par la jurisprudence, les premiers juges considèrent que la mise en place du lien profond conduisant l’internaute sur les pages des sites ; « le risque de confusion (…) apparaît (…) parfaitement inexistant en la cause où l’internaute ne peut sérieusement se méprendre sur l’origine de l’article consulté ».
Il ressort d’une analyse à contrario de cette motivation et des vérifications opérées par le Tribunal dans cette décision, que la solution aurait pu être tout autre si le lien avait renvoyé l’internaute sur une page autre que celle du site source, ou s’il permettait d’accéder gratuitement à des contenus normalement payant. La concurrence déloyale aurait également pu être retenue si le système mis en place avait eu un effet sur le référencement.
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Cette décision est l’occasion de rappeler l’un des risques majeurs encourus lors de la publication de contenus en ligne ; à savoir le risque de contrefaçon lorsque ces contenus trouvent leur origine sur un site internet appartenant à des tiers.
Il existe en effet aujourd’hui de nombreux moyens techniques permettant de scanner la Toile à la recherche de contenus reprenant totalement ou partiellement des écrits, des photographies, ou encore des vidéos.
Or, en cas de reproduction sans autorisation formalisée par un contrat de licence ou de cession de droits, le « copieur » s’expose à des actions en réparation fondées sur la contrefaçon ou encore sur la concurrence déloyale. C’est ainsi par exemple que la Société Kalypso a été condamnée le 24 septembre 2008 à 10.000 euros de dommages-intérêts pour avoir reproduit les conditions générales du site vente privée…
En matière de presse, la décision commentée rappelle qu’il existe des exceptions aux droits patrimoniaux des auteurs permettant de faire référence sur un site internet à des écrits publiés par des tiers. Il convient toutefois de prendre garde à de telles mises en place qui sont soumises à conditions.
Source :
Le jugement du 6 décembre 2010 du Tribunal de grande instance de Nancy disponible sur le site legalis.net.