L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 26 octobre 2011 dans une affaire opposant la société DYPTIQUE à la société HENNESSY mérite de s’y attarder quelques instants.
Classiquement, la société DYPTIQUE, titulaire de la marque française éponyme déposée en 1981 pour désigner différents produits relevant des classes 3, 14, 18, 21, 24 et 25 et exploitée, semble-t-il, pour désigner différents produits relevant de la classe 3, a intenté une action en nullité de l’enregistrement d’une marque identique déposée par la société DYPTIQUE pour désigner des boissons alcooliques en classe 33.
Confrontée au principe de spécialité du droit des marques (principe permettant aux titulaires de marques de ne s’opposer à des dépôts de marques identiques ou similaires que dans le cas où ces dépôts sont effectués pour des produits ou services également similaires), la société DYPTIQUE fondait son action sur l’atteinte à sa marque renommée en application de l’article L 713-5 du Code de la propriété intellectuelle et sur l’atteinte à sa marque antérieure en application de l’article L 711-4 du Code de la propriété intellectuelle et de l’article L 3323-3 du code de la santé publique.
Le TGI de Paris la débouta de l’ensemble de ses demandes et prononça la déchéance partielle de ses droits faute d’usage sérieux pour d’autres produits que ceux susmentionnés.
Le principe de spécialité des marques mis à mal par le Code de la santé publique.
Si la Cour d’appel confirme le jugement en tous points, il l’infirme en ce qu’il a débouté la société DIPTYQUE de ses demandes fondées sur les dispositions de l’article L.3323-3 du code de la santé publique.
La Cour suit ainsi le raisonnement de l’appelante reposant entièrement sur son intérêt à sauvegarder sa liberté d’usage publicitaire de sa marque pour l’avenir. Selon elle, l’absence d’annulation de l’enregistrement d’une marque identique à la sienne pour désigner des produits alcooliques lui interdirait toute publicité ou propagande pour ses propres produits couverts par le même signe « puisque celle-ci tomberait nécessairement dans le champ des prohibitions imposées par la législation antialcoolique » (sic).
En effet, sauf les cas de publicité expressément autorisés par les dispositions de l’article L.3323-2 du code de la santé publique, la publicité en faveur des boissons alcooliques est prohibée.
Or, selon l’article L.3323-2 du code de la santé publique, « est considérée comme propagande ou publicité indirecte la propagande ou publicité en faveur d’un organisme, d’un service, d’une activité, d’un produit ou d’un article autre qu’une boisson alcoolique qui, par son graphisme, sa présentation, l’utilisation d’une dénomination, d’une marque, d’un emblème publicitaire ou d’un autre signe distinctif, rappelle une boisson alcoolique. Toutefois, ces dispositions ne sont pas applicables à la propagande ou la publicité en faveur d’un produit autre qu’une boisson alcoolique qui a été mis sur le marché avant le 1er janvier 1990 par une entreprise juridiquement ou financièrement distincte de toute entreprise qui fabrique, importe ou commercialise une boisson alcoolique ».
La cour en déduit que « le dépôt de la marque « Diptyque » par la société Hennessy est de nature à paralyser l’usage que la société Diptyque fait de sa marque dès lors qu’elle ne peut plus exercer pleinement son droit de propriété sur le signe Diptyque ; qu’il en résulte une perte d’efficacité de la marque antérieure constitutive d’une atteinte aux droits de marque dont jouissait la société Diptyque avant le dépôt de la marque litigieuse, laquelle sera en conséquence annulée par application de l’article 711-4 du code de la propriété intellectuelle ».
Décryptage : maîtriser juridiquement ses recherches d’antériorités
Les enseignements de cet arrêt sont doubles :
– Les personnes souhaitant déposer des marques en classe 33 pour désigner des boissons alcooliques doivent prendre soin, dans le cadre de leurs recherches d’antériorités, de vérifier que le signe qu’il souhaite déposer n’est pas d’ores et déjà déposé à l’identique ; peu importent les classes visées;
– A contrario, les personnes souhaitant déposer des marques pour tous autres produits et/ou services que des boissons alcooliques, doivent s’assurer qu’une marque identique n’a pas été déposée pour désigner des boissons alcooliques ; sauf à encourir le risque de voir leurs campagnes de publicité ultérieures attaquées pour propagande indirecte prohibée de boissons alcooliques.
La sécurisation d’une marque passe en premier lieu par une recherche d’antériorités maîtrisée juridiquement. L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 26 octobre 2011 en est une nouvelle illustration.
A propos de CA Paris, 26 octobre 2011, RG n°09/23375