Créé par un décret, la base policière de renseignements, Edvige prévoit de centraliser des données personnelles relatives aux individus susceptibles dès 13 ans de porter atteinte à l’ordre public, mais aussi aux hommes et aux femmes impliqués dans la vie politique, associative, syndicale ou religieuse de notre pays. Soit pratiquement la France entière, ou pas loin. Les protestations s’amplifient. Décryptage.
Edvige : un fichier pas comme les autres
Le décret n° 2008-632 du 27 juin 2008, paru le 1er juillet 2008 porte création d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « EDVIGE » pour Exploitation Documentaire et Valorisation de l’Information Générale policier. En effet, le fichier Edvige permet de ficher les personnes « ayant sollicité, exercé ou exerçant un mandat politique, syndical ou économique ou qui jouent un rôle institutionnel, économique, social ou religieux significatif » et celles qui « en raison de leur activité individuelle ou collective, sont susceptibles de porter atteinte à l’ordre public ». Il sera possible d’y faire figurer des informations sur les situations patrimoniales, fiscales, relationnelles, médicales ou sexuelles, des personnes fichées.
Cet « exquis » acronyme recouvre en fait un fichier informatique rassemblant des données sur deux catégories de population :
En premier lieu, les « personnalités », tous ceux et celles qui peuvent jouer un rôle public dans des domaines aussi variés que la politique, l’économie, le social, la religion, le monde associatif ou les médias
En second lieu, les « fauteurs de troubles », c’est-à-dire les individus ou groupes « susceptibles de porter atteinte à l’ordre public », y compris les mineurs et ce dès l’âge de 13 ans.
En outre, il doit, également, servir aux enquêtes administratives demandées pour les candidats à certains métiers, notamment dans la fonction publique et dans le secteur de la sécurité.
Notons que c’est sur décision de la police que les données personnelles contenues dans le fichier Edvige sont collectées, et elles sont nombreuses : état civil, profession, adresses, téléphone, mail, signes particuliers, photos, comportement, titres d’identité, immatriculation des véhicules, informations fiscales et patrimoniales, déplacements, antécédents judiciaires, environnement personnel…
Ce fichier sera géré par la sous-direction de l’information générale (SDIG, rattachée à la Direction centrale de la sécurité publique).
En pratique, les fiches elles-mêmes pourront être créées et consultées par les quelques 1600 policiers assermentés de la SDIG.
La base du fichier est constituée des fameuses petites fiches des ex-Renseignements généraux (RG), à l’exception toutefois de celles qui concernent le terrorisme et l’espionnage : celles-ci sont versées au fichier secret Cristina, qui est géré par la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI, fusion de la DST et d’une partie des RG).
Selon le ministère de l’Intérieur, Edvige n’est jamais que l’ancien fichier des RG adapté aux évolutions de la société.
Pourtant, jusqu’à présent, les mineurs ne pouvaient être répertoriés que dans des bases de données recensant des infractions commises (comme le Stic de la police), des auteurs d’infractions (comme le Fijais en matière sexuelle) ou des empreintes (fichiers des empreintes digitales ou des empreintes génétiques). En effet, les données des Renseignements Généraux (RG) ne pouvaient concerner que les majeurs.
Un seuil est donc franchi avec le fichier Edvige, qui s’élargit aux informations récoltées dans le cadre du renseignement en « milieu ouvert », et autorise le fichage des mineurs dès l’âge de 13 ans. Cette base de données a été voulue par le ministère de l’Intérieur pour répondre aux « mutations affectant la délinquance juvénile », directement inspirée des récents phénomènes de violence urbaine.
Ainsi, selon le décret, le fichier Edvige, contiendra des « données à caractère personnel » concernant « des personnes physiques âgées de 13 ans et plus » avec notamment l’état civil, les adresses physiques, numéros de téléphone et adresses électroniques, ainsi que les « signes physiques particuliers et objectifs, photographies et comportement ». Les informations collectées sont notamment «relatives aux individus, groupes, organisations et personnes morales qui, en raison de leur activité individuelle ou collective, sont susceptibles de porter atteinte à l’ordre public». Remarquons, ici, que la notion « d’atteinte à l’ordre public », paraît toujours très floue aux défenseurs des droits de l’homme qui craignent, la constitution d’un méga fichier et agitent le spectre de « Big Brother ».
Au-delà du rapprochement fortuit entre ces différentes catégories de population à surveiller, c’est la nature même des informations collectées qui est inquiétante. Elle touche ainsi à « l’environnement des personnes, notamment à celles entretenant ou ayant entretenu des relations directes et non fortuites avec elles ».
Plusieurs associations, syndicats, personnalités politiques estiment qu’avec ce type de fichier la démocratie rentre dans une zone grise ouvrant la voie à toutes sortes d’excès et craignent un « flicage » injustifié des mineurs, des militants ou des minorités sexuelles pouvant ouvrir la porte à de multiples abus. La mise en place de ce fichier a même été qualifiée d' »embastillement électronique ».
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Edvige à l’épreuve du Conseil d’Etat, par Gérard Haas
Article du JDD