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Les syndicats et l'utilisation de la messagerie électronique de l’entreprise

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L’utilisation de la messagerie électronique de l’entreprise par les syndicats selon le tribunal administratif de Besançon : une remise en question de la jurisprudence traditionnelle ?

Le 19 décembre 2006, le tribunal administratif de Besançon a rendu un jugement très intéressant par les questions qu’il soulève, et par les réponses qu’il apporte à ces questions.[1]

 Les faits soumis à l’appréciation du tribunal étaient simples.

 Le jeudi 12 février 2004 Elisabeth M., adjointe administrative de la ville de Lons-le-Saunier et responsable syndicale de la CGT adressa par la messagerie intranet et Internet de la commune un message à une vingtaine d’agents municipaux pour les inviter à participer à une manifestation syndicale (distribution et lecture d’un tract syndical) lors de l’inauguration d’un théâtre à Lons-le-saunier pour protester contre la politique menée par la municipalité. Jugeant que Elisabeth M. avait commis une faute en faisant de la messagerie un usage interdit par la « charte Internet » adopté par la municipalité – usage à des « fins personnelles » -, la municipalité sanctionna disciplinairement  Elisabeth M. par un blâme. Elisabeth M. saisit alors le tribunal administratif d’une demande d’annulation du blâme, demande que le tribunal accueillit favorablement dans son jugement du 19 décembre 2006. 

Par ce jugement, le tribunal remet en cause la jurisprudence actuelle sur l’utilisation par les syndicats de la messagerie électronique de l’entreprise, jurisprudence qui subordonne à l’accord de l’employeur cette utilisation, et permet donc de sanctionner disciplinairement tout usage non autorisé.

 Pour comprendre l’aspect novateur du jugement du tribunal administratif de Besançon, il nous faut donc rappeler les fondements juridiques de la jurisprudence actuelle (Première partie) avant d’examiner l’argumentation par laquelle le tribunal administratif de Besançon réfute cette jurisprudence (Deuxième partie)

 

Première partie : L’interprétation de l’article L. 412-8 du Code du Travail.

 La distribution de tracts dans l’entreprise est réglementée par l’article L. 412-8 du Code du Travail, qui fut modifié par la loi du 4 mai 2004.

 
I. L’article L. 412-8 du Code du travail face à l’électronique avant la loi du 4 mai 2004

Avant la loi du 4 mai 2004, l’article L. 412-8 était ainsi rédigé :

« L’affichage des communications syndicales s’effectue librement sur des panneaux réservés à cet usage et distincts de ceux qui sont affectés aux communications des délégués du personnel et du comité d’entreprise.
   Un exemplaire de ces communications syndicales est transmis au chef d’entreprise, simultanément à l’affichage.
   Les panneaux sont mis à la disposition de chaque section syndicale suivant des modalités fixées par accord avec le chef d’entreprise.
   Les publications et tracts de nature syndicale peuvent être librement diffusés aux travailleurs de l’entreprise dans l’enceinte de celle-ci aux heures d’entrée et de sortie du travail.
   Le contenu de ces affiches, publications et tracts est librement déterminé par l’organisation syndicale, sous réserve de l’application des dispositions relatives à la presse.
   Dans les entreprises de travail temporaire, les communications syndicales portées sur le panneau d’affichage doivent être remises aux salariés temporaires en mission ou adressées par voie postale, aux frais de l’entrepreneur de travail temporaire, au moins une fois par mois. »

Le Code du travail n’évoquait nulle part les messages électroniques, aussi, raisonnant par analogie, les tribunaux estimèrent que lesdits messages pouvaient être assimilés à des « tracts électroniques » qui devaient être traités comme des tracts traditionnels (en papier).
Ainsi, la question pour les syndicats de distribuer des « tracts électroniques » fut tranchée dès 2002 par la Cour d’appel de Paris[2].
En l’espèce, le secrétaire national de la branche « serviciel » de la fédération des services CFDT avait adressé, depuis un ordinateur dont dispose la fédération, un message syndical à l’ensemble des salariés de la société Dauphin Communication, lesquels disposaient d’une messagerie électronique sur leur poste de travail. La Cour, sur le fondement de l’article L. 412-8 du Code du travail qui réglemente strictement la communication syndicale (« les publications et tracts de nature syndicale peuvent être librement diffusés aux travailleurs de l’entreprise dans l’enceinte de celle-ci aux heures d’entrée et de sortie du personnel ») décida qu’en l’espèce la diffusion d’un message électronique de nature syndicale envoyé à ses salariés sur la messagerie électronique de l’entreprise constituait , par le fait que la messagerie de professionnelle n’était pas par hypothèse, utilisable que pendant les heures de travail et non « aux heures d’entrée et de sortie du travail », une transgression évidente des conditions posées par l’article L. 412-8 du Code du travail et par l’intrusion ainsi réalisée au cours du temps de travail causait à l’employeur un trouble manifestement illicite.

Le 31 mai 2002, la Cour d’appel de Paris  a encore statué dans le même sens[3], en précisant que : 

« En l’absence d’accords d’entreprise, la diffusion à destination des salariés d’une entreprise de messages électroniques de nature syndicale sur leur poste de travail constitue une transgression évidente des conditions posées par l’article L. 412-8 du code du travail dès lors que la messagerie professionnelle n’est utilisable que pendant les heures de travail. »

La Cour affirma également qu’écrire dans « l’objet » du message « nous vous prions d’ouvrir cet e-mail au début ou à la fin de votre temps de travail » ne légitimait pas pour autant le message.[4]

Sur ce point, on peut juger contraire à la loi sur le secret postal le récent jugement du Conseil des Prud’Hommes de Montbéliard qui a jugé justifié la mise à pied disciplinaire d’une déléguée syndicale ayant correspondu par messagerie électronique avec une ancienne salariée de son entreprise ayant été l’objet d’un licenciement économique, alors que l’entreprise avait averti ses salariés que leur messagerie électronique était sous surveillance.[5]

Le  Tribunal de grande instance de Nanterre  eut aussi à se prononcer le 31 mai 2002 sur la problématique de l’utilisation de l’intranet par un syndicat CGT. Non signataire d’une « charte Internet » portant sur les conditions d’accès et d’utilisation de l’intranet par les syndicats, ce dernier pouvait-il alors exiger d’utiliser le réseau de l’entreprise pour ses tracts électroniques ?

Le tribunal estima que la CGT pouvait bénéficier de l’accès au réseau indépendamment de son absence de signature. Néanmoins, il ajouta que cette possibilité ne signifie pas pour autant que les syndicats non signataires doivent s’affranchir des règles et principes fixés pour les syndicats signataires. Le tribunal a donc estimé que la CGT d
evait, comme les signataires, appliquer la charte « telle qu’elle est, jusque dans les contraintes convenues en contrepartie des droits reconnus dans le souci légitime de la préservation des intérêts de chacune des parties à l’accord ».

En affirmant qu’une « charte Internet » propre à une entreprise pouvait organiser l’accès des syndicats à la messagerie électronique, le tribunal affirmait aussi que cela impliquait d’une part que la charte pouvait limiter les droits d’utilisation des syndicats, et d’autre part qu’en l’absence de charte les syndicats n’avaient pas droit à cette utilisation.

Face à l’interprétation stricte, et sévère pour les syndicats, donnée par la jurisprudence de l’article L. 412-8, le législateur entreprit de réformer ce dernier, mais fort timidement.

 
II. L’article L. 412-8 du Code du travail face à l’électronique après la loi du 4 mai 2004

 À la suite de différents contentieux initiés, soit par les entreprises pour faire cesser une communication syndicale électronique considérée comme illégale, soit par les organisations syndicales elles-même pour faire reconnaître le droit d’utiliser le réseau de l’entreprise, la loi du 4 mai 2004 a introduit un nouvel alinéa à l’article L.412-8 du Code du travail qui dispose :

« un accord d’entreprise peut autoriser la mise à disposition des publications et tracts de nature syndicale, soit sur un site syndical mis en place sur l’intranet de l’entreprise, soit par diffusion sur la messagerie électronique de l’entreprise. Dans ce dernier cas, cette diffusion doit être compatible avec les exigences de bon fonctionnement du réseau informatique de l’entreprise et ne pas entraver l’accomplissement du travail. L’accord d’entreprise définit les modalités de cette mise à disposition ou de ce mode de diffusion, en précisant notamment les conditions d’accès des organisations syndicales et les règles techniques visant à préserver la liberté de choix des salariés d’accepter ou de refuser un message ».

 Puis une circulaire du 22 septembre 2004 précisait que les outils informatiques sont les vecteurs des nouveaux modes de communication dans l’entreprise. Ils permettent ainsi de toucher tous les salariés, et notamment ceux qui se trouvent dans des situations atypiques (expatriés, télétravail, mise à disposition) et ne sont pas destinataires de l’information syndicale donnée dans les locaux même de l’entreprise.

La question de savoir si l’employeur devait signer un accord d’entreprise en la matière fut évidemment posée, et une première réponse donnée par une ordonnance de référé du TGI de Nanterre du 26 octobre 2004.[6]

En l’espèce, une société éditeur de logiciel a fait citer en référé après autorisation du président, deux délégués syndicaux d’appartenance CFDT afin que le tribunal leur ordonne directement de cesser toute diffusion de « communication syndicale en direction des collaborateurs de la société » par le biais de la messagerie professionnelle, et ce sous astreinte, compte tenu de l’inexistence d’un accord d’entreprise.

En droit, le tribunal a retenu la position de la société, en remarquant que :

« Force est de constater qu’en l’application de l’article L.412-8 du Code du Travail les publications et les tracts de nature syndicale ne peuvent être diffusés ni sur un site syndical mis en place sur l’intranet de l’entreprise ni sur la messagerie électronique de l’entreprise, sauf accord d’entreprise ».

 Le tribunal a donc interdit au syndicat, « sous peine d’une astreinte de 100 € par infraction constatée » de faire sa communication syndicale par le biais de la messagerie professionnelle. Il ne s’est pas contenté de constater simplement l’absence d’accord d’entreprise pour en déduire que la communication était illicite. Il a pris soin de relever que la désignation des délégués syndicaux datait du 29 mars 2004, et que dès le mois de juin 2004, les deux délégués syndicaux ont utilisé l’intranet de la société pour mettre à disposition des salariés des comptes rendus « officieux » des réunions du comité d’entreprise.

Il a ensuite retenu que sur demande du chef d’entreprise, le répertoire avait été supprimé en août 2004, mais que les délégués syndicaux avaient laissé sur le réseau un lien intitulé « délégation syndicale CFDT »ce qui avait contrait ces derniers à’intervenir pour faire supprimer ce lien.

Le tribunal constate néanmoins qu’en date du 16 septembre 2004, a été diffusé à nouveau, à l’ensemble du personnel, un message identifié sous le label « CFDT », ainsi que la première page de l’assignation. Toutefois, il déplore dans son ordonnance, l’inexistence d’un accord encadrant « une communication syndicale moderne » !

La Cour de cassation a quant à elle, et sans surprise, considéré en janvier 2005[7],  que :

 « la diffusion de tracts et de publications syndicales sur la messagerie électronique que l’employeur met à la disposition des salariés n’est possible qu’à la condition, soit d’être autorisée par l’employeur, soit d’être organisée par voie d’accord d’entreprise ».

 

Deuxième partie : La réfutation de l’interprétation traditionnelle de l’article L. 412-8 du Code du Travail par le jugement du tribunal administratif de Besançon.

 On peut évidemment s’étonner de voir confronté un jugement d’un tribunal administratif à un article du Code du Travail puisque le droit du travail ne relève pas du droit administratif, et que les droits et devoirs d’un fonctionnaire ne sont pas nécessairement les mêmes que ceux d’un salarié .

Il n’est cependant pas rare que les tribunaux administratifs prennent des décisions applicables dans le monde du travail salarié, en matière de règlement intérieur par exemple (validité ou non des clauses restrictives des droits fondamentaux des salariés).

Le problème posé au tribunal administratif de Besançon relève de l’exercice d’un droit fondamental, celui de la liberté syndicale, et, exception faite pour les membres de l’armée, ce problème se pose dans les mêmes termes pour un agent de l’administration et un salarié du privé. C’est pourquoi le raisonnement tenu par le tribunal administratif de Besançon pourrait parfaitement être tenu par un conseil des prud’hommes, un tribunal d’instance ou un tribunal de grande instance.

Nous étudierons donc en premier lieu les arguments avancés par le tribunal pour annuler le blâme infligé à Elisabeth M. avant d’examiner les conséquences pratiques possibles de la décision du tribunal.

 

I – L’argumentation du tribunal 

 Le tribunal rappelle tout d’abord les fondements du droit d’action des syndicats.

Il invoque d’abord des textes à valeur constitutionnelle : le Préambule de la Constitution du 4 octobre 1958, qui reconnaît à toute personne le droit de « défendre ses droits et intérêts par l’action syndicale » ainsi que l’article 11 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme de des libertés fondamentales qui stipule que «Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts. L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécess
aires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. Le présent article n’interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l’administration de l’Etat. »

Il aurait pu ajouter à ces deux textes l’article 11 de la Charte communautaire des droits sociaux des travailleurs (de l’Union européenne) de 1989 :« Les employeurs et les travailleurs de la Communauté européenne ont le droit de s ‘associer librement en vue de constituer les organisations professionnelles ou syndicales de leur choix pour la défense de leurs intérêts économiques et sociaux. »

Le tribunal ne manque pas non plus d’invoquer les articles L. 411 du Code du Travail et 8 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, qui garantissent le droit d’action syndicale aussi bien aux salariés qu’aux fonctionnaires.

Il en conclut fort justement que « le droit syndical constitue une liberté fondamentale dont l’exercice doit être protégé, et que nul ne peut apporter à cette liberté fondamentale des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. »

Le tribunal examine alors quelles « restrictions » à ce droit fondamental le maire de Lons-Le-Saunier pouvait édicter quant à l’utilisation des messageries Internet et Intranet de la commune par les agents administratifs.

Il ne conteste pas que le maire pouvait interdire cette utilisation « à des fins personnelles », mais c’est dans l’interprétation de cette notion de « fins personnelles » que l’opinion du tribunal diffère de celle du maire : dès lors que le message a « un caractère purement syndical », affirme le tribunal, il ne peut être assimilé à un message « purement personnel ».  Et c’est là tout l’intérêt du jugement.

La jurisprudence traditionnelle considère en effet que tout message qui n’est pas directement lié à l’activité professionnelle du salarié, c’est à dire à l’exécution de la mission que lui a confié l’employeur, relève des activités « personnelles » du salarié. Peu importe la nature du message dès lors qu’il ne concerne pas directement le «travail » du salarié, l’exécution des instructions de l’employeur. Dans les activités « personnelles » du salarié, il y a celles qui relèvent de sa vie privée, mais aussi celles qui concernent ses activités politiques, associatives… et syndicales ! Tout ce qui n’est pas « le travail » proprement dit du salarié est présumé être « personnel ».

Le tribunal fait au contraire nettement la distinction entre ce qui est « activité personnelle » et ce qui est « activité syndicale ».

On ne peut que l’approuver, car il est vrai que l’activité syndicale au sein d’une entreprise ne relève évidemment de la vie privée, ou personnelle, de ses acteurs, mais bien de leur vie professionnelle. Si un salarié peut être sanctionné disciplinairement pour une action syndicale fautive (injure, diffamation de l’employeur au cours de négociations, etc.), c’est bien la preuve qu’il n’y a pas de séparation absolue de l’activité professionnelle et de l’activité syndicale.

Mais on peut supposer que cette analyse du tribunal sur ce point essentiel ne sera pas nécessairement adoptée sans discussions par la doctrine et la jurisprudence.

Une fois posé le principe que l’action syndicale ne relève pas des « activités personnelles », le tribunal examine dans quelles conditions exactes le message incriminé a été expédié, car certaines de ces conditions auraient pu être constitutives de fautes disciplinaires, et justifier le blâme décidé par la municipalité.

Le tribunal constate alors que le message ne contenait « aucune expression injurieuse ou diffamatoire », qu’il n’attaquait aucune personne physique à titre personnel, que  sa  diffusion n’a entraîné « aucune incidence perturbatrice ou dommageable sur le fonctionnement des services publics de la ville de Lons-Le-Saunier », qu’il ne comportait « aucune incitation à des actes contraires à l’ordre public »,  qu’il ne présentait pas « un caractère pornographique, raciste ou illicite et n’était pas susceptible de porter atteinte à l’intégrité ou à la sensibilité[8] d’un autre internaute ou à l’image de la ville de Lons-Le-Saunier ».

Après cette énumération de tous les « non-défauts » du message incriminé, le tribunal en conclut logiquement à l’annulation du blâme infligé à Elisabeth M.

 

II – Les conséquences pratiques du jugement .

On peut espérer que la Cour d’appel administrative puis, éventuellement, le Conseil d’Etat confirment cette jurisprudence. Espérer, mais sans certitude, tant tout ce qui touche aux syndicats et à leurs droits a des implications qui ne sont pas seulement juridiques.

Mais si l’on fait cette hypothèse, quelles seront les conséquences pour les entreprises ?

On sait que de très nombreuses entreprises, et notamment les plus grandes, ont déjà institué des Chartes Internet qui reconnaissent aux syndicats (et aux institutions représentatives du personnel) non seulement le droit d’utiliser la messagerie de l’entreprise, mais aussi celui de disposer d’un « espace » sur le serveur de l’entreprise. Mais beaucoup restent réticentes à accroître considérablement le pouvoir de communication de syndicats dans lesquels ils voient plus des adversaires que des partenaires. Car il est bien vrai que l’envoi d’un message électronique est opération incomparablement plus rapide, efficace, et moins onéreuse, que la distribution d’un tract papier.

 De telles entreprises auraient donc tout intérêt à conclure un accord avec les syndicats, comme les y encourage l’article L. 422-12 du Code du Travail, de façon à définir clairement le droit de communication des syndicats, et les limites dans lesquelles il doit s’exercer. Un mauvais accord vaut mieux que pas d’accord du tout .

L’employeur serait notamment en droit d’exiger que le coût de ces communications électroniques soit à la charge des délégués. L’évaluation de ce coût n’est pas facile à faire.

Cette règle n’est cependant pas facile à mettre en œuvre car les frais d’installation et d’utilisation de la messagerie électronique et de la connexion à Internet varient considérablement selon les entreprises. Certaines entreprises ont leur propre serveur et leur propre gestion de leurs services informatiques, alors que d’autres externalisent complètement toute leur informatique; les unes ont leur propre réseau (Intranet), les autres non ; certaines paient leurs connexions à Internet par forfait, d’autres au temps passé etc. Bref, les calculs de coût d’un message électronique, ou d’une minute de surf sur Internet, font entrer en jeu tant de facteurs qu’il est souvent bien difficile d’arriver à un chiffre indiscutable. Aussi beaucoup d’entreprises, plutôt que de rentrer dans des querelles sans fin sur la facturation aux délégués et aux institutions représentatives de leurs communications électroniques et de leur temps de connexion sur Internet (ou sur Intranet) préfèrent-elles aujourd’hui renoncer à cette facturation en échange d’une limitation volontaire de ces communications et de ces temps de connexion par les intéressés
.

Il serait aussi en droit d’exiger que ces messages électroniques ne diminuent pas la productivité de l’entreprise.

A cet égard, deux problèmes peuvent se poser : le blocage du système informatique de l’entreprise par l’envoi simultané d’un trop grand nombre, ou d’un trop grand volume, de messages, et la perte de temps de travail causé par la lecture de ces messages par les salariés destinataires.

L’envoi d’un message en simultané (avec éventuellement des pièces jointes de gros volume) à plusieurs centaines, voire plusieurs milliers de salariés, peut en effet, comme le savent tous les directeurs informatiques des grandes entreprises, provoquer un « plantage » d’un système qui n’a pas été formaté pour une telle opération[9]. Et un système informatique bloqué pour plusieurs heures, voire plusieurs jours, cela peut coûter très cher à l’entreprise. L’employeur doit donc fixer des règles impératives d’utilisation de la messagerie que, comme tous les autres salariés, les délégués devront respecter.

De même, il ne faut pas que l’envoi de messages aux salariés par les délégués deviennent un véritable « spaming »[10], entraînant une perte de temps de travail par la nécessité où se trouveront les salarié de lire des messages qui ne les intéresseront peut-être pas.

Un spaming syndical pourrait être assimilé à une distribution de tract hors des horaires déterminés par le Code du travail (entrées et sorties de travail), et donc interdit. En revanche, un échange de messages électroniques entre un délégué syndical et un salarié, à l’occasion d’une affaire concernant le dit salarié, ne saurait être interdit par l’employeur.

Pour le reste, les délégués syndicaux et les institutions représentatives doivent évidemment respecter les droits des tiers, comme tous les autres salariés de l’entreprise, c’est à dire ne pas utiliser la messagerie pour inciter à une infraction, diffamer ou injurier une personne, porter atteinte à un droit de propriété intellectuelle etc.

 
Conclusion

La distinction que fait le tribunal administratif de Besançon entre « message à des fins personnelles » et « message syndical » nous paraît parfaitement légitime. Elle peut se discuter, certes, mais une telle discussion nous paraît assez vaine.

En effet, vouloir interdire l’utilisation de la messagerie de l’entreprise aux délégués syndicaux (et, en général, aux institutions représentatives du personnel) relève d’une « petite guerre » entre employeur et syndicats qui nous paraît bien dépassée aujourd’hui. Les syndicats ont leurs défauts, naturellement, et tous les délégués syndicaux ne savent pas toujours concilier les intérêts du personnel avec ceux de l’entreprise ; mais l’utilisation du pouvoir disciplinaire pour « contrer » l’action des syndicats nous paraît une bien mauvaise méthode de gestion des ressources humaines de l’entreprise. Ne pas interdire, mais réglementer de façon raisonnable, c’est sans doute la meilleure façon de concilier les intérêts de l’employeur avec ceux des syndicats.

On peut donc espérer que le jugement du tribunal administratif de Besançon sera compris non seulement du Conseil d’Etat (et de la Cour de cassation) mais aussi, et surtout, des chefs d’entreprise. 


[1] Jugement consultable sur le site « www.legalis.net ».

[2]  Paris 14ème Ch, sect.B 31 mai 2002

[3] Paris 31 mai 2002 G.P. du 23/01/03, p.39 note S. Hadjali

[4] Paris 3 mars 2004, n°2003/57663, Dictionnaire permanent social, bulletin d’information du 14 mai 2004, n°785, p. 4763.

[5] Jugement cité par V. Sedaillan. « Messagerie électronique et forums publics. » Communication lors de Euroforum 30 et 31 janvier 2001 « NTIC et contrôle des salariés ».

[6] Consultable sur le site « www.legalis.net »

[7] consultable sur

[8] « La sensibilité » est apparemment un nouveau concept juridique, et on aimerait que le tribunal nous donne sur ce point quelques précisions…

[9] Le « bombardement » d’un site par plusieurs milliers de message est une technique bien connue des « pirates » voulant bloquer le fonctionnement d’un site Web, comme le révèle la lecture de la presse généraliste (récentes attaques des sites de Microsoft, du FBI etc.).

[10] Terme anglais signifiant que l’on adresse un message (généralement publicitaire) à un destinataire qui n’a rien demandé, ce qui entraîne un encombrement de la boîte à lettres, une perte de temps de lecture etc.… Le spaming publicitaire sera vraisemblablement réglementé de façon assez restrictive par la future loi sur l’information en discussion devant le Parlement français.

 

 

 

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