Dans un arrêt du 16 février 2011, la Cour d’Appel de Versailles précise les limites des obligations mises à la charge des hébergeurs de contenus sur internet et notamment :
- L’absence d’une obligation générale de recherche des faits ou des circonstances révélant des activités illicites.
- L’absence d’une quelconque disposition légale obligeant l’hébergeur à faire droit à une demande de communication de l’identité d’un blogueur.
A cette occasion sont rappelées les conditions strictes de saisine des hébergeurs.
La Cour répond également à une question pratique : que se passe-t-il lorsque la notification n’est pas opposable à l’hébergeur faute de respecter ces conditions ? La victime du contenu peut toujours saisir le Président du Tribunal aux fins de faire cesser un trouble manifestement illicite.
Sur l’absence d’obligation générale de recherche de contenus illicites
En application de l’article 6 de la loi sur la confiance dans l’économie numérique du 21 juin 2004 (Ci-après LCEN) l’hébergeur n’est pas soumis « à une obligation générale de rechercher des faits ou des circonstances révélant des activités illicites ». En d’autres termes, il n’appartient pas à l’hébergeur de procéder à une recherche des contenus publiés par des tiers sur son site. Grâce au régime de responsabilité aménagé par l’article 6 de la LCEN, l’obligation de l’hébergeur se limite à retirer promptement un contenu illicite qui aura été préalablement été porté à sa connaissance par le biais d’une notification.
Or, dans cet arrêt, la Cour d’Appel de Versailles rappelle les conditions de validité d’une telle notification en rappelant notamment qu’à défaut d’indiquer dans cette dernière les dispositions légales fondant la demande de retrait ainsi que la justification des faits à l’origine de cette demande, l’hébergeur ne pouvait être tenu pour responsable du fait du maintien des contenus litigieux.
La décision de la Cour d’Appel est intervenue en prélude aux trois arrêts rendus le lendemain par la Cour de Cassation (Cf. Cass. 17/02/2011 – Article : « Faire le point sur le statut d’hébergeur en 2011 Parties 1.2.3) et qui précisait clairement les conditions de recevabilité d’une notification de contenu illicite. Ainsi sous peine d’être inopposable à l’hébergeur, rappelons que la notification doit comporter :
- La date de la notification
- Si le notifiant est une personne physique : ses nom, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance ; si le requérant est une personne morale : sa forme, sa dénomination, son siège social et l’organe qui la représente légalement ;
- Les noms et domicile du destinataire ou, s’il s’agit d’une personne morale, sa dénomination et son siège social ;
- La description des faits litigieux et leur localisation précise ;
- Les motifs pour lesquels le contenu doit être retiré, comprenant la mention des dispositions légales et des justifications de faits ;
- La copie de la correspondance adressée à l’auteur ou à l’éditeur des informations ou activités litigieuses demandant leur interruption, leur retrait ou leur modification, ou la justification de ce que l’auteur ou l’éditeur n’a pu être contacté.
Ces conditions n’étant pas remplies dans le litige soumis à la Cour d’Appel de Versailles, celle-ci a donc décidé qu’ il ne peut être reproché à l’hébergeur de ne pas avoir pris la décision de supprimer d’un site des propos considérés comme diffamatoires, alors que la lettre recommandée dans laquelle il lui a été demandé de supprimer lesdits propos, les motifs précis ou les faits de nature à établir leur caractère manifestement illicite n’ont pas été explicités.
Sur la communication de l’identité d’un blogueur
En application de l’article 6 de la LCEN (Cf. 6 III – 2), les hébergeurs « sont assujetties au secret professionnel dans les conditions prévues aux articles 226-13 et 226-14 du code pénal, pour tout ce qui concerne la divulgation de ces éléments d’identification personnelle ou de toute information permettant d’identifier la personne concernée. Ce secret professionnel n’est pas opposable à l’autorité judiciaire ».
S’appuyant sur cette disposition, la Cour rappelle deux éléments importants :
- les hébergeurs ne doivent en aucun cas communiquer sur simple demande les coordonnées des bloggers du site ou de l’espace qu’ils hébergent en application du secret professionnel
- ces informations ne peuvent être divulguées que sur ordonnance du Président du Tribunal compétent.
Le trouble manifestement illicite
La Cour considère que la notification de contenu illicite n’est pas opposable à l’hébergeur faute d’avoir respecté les conditions prévues par la LCEN. Dès lors, l’hébergeur ne peut voir sa responsabilité engagée pour ne pas avoir réagit promptement à cette notification incomplète.
Qu’en est-il du contenu litigieux ?
La voie classique du référé demeure ouverte à la victime de contenus illicite. En effet, la Cour rappelle que la diffusion d’une photographie sur un site internet sans autorisation de la personne représentée sur cette photo constitue un trouble manifestement illicite au sens de l’article 809 du Code de procédure civile.
Ainsi, c’est en application de ces dispositions générales (et non de l’article 6 de la LCEN) que la Cour ordonne à l’hébergeur de retirer la photographie de ce site, ou d’en rendre l’accès impossible.
Sur la Toile, la liberté d’expression règne en maitre. Et il faut bien le reconnaître, cette liberté d’expression débridée apporte son lot de révélations, d’informations multiples sources de « fraîcheur démocratique ». Mais elle contribue également à multiplier les atteinte au droit des personnes et des entreprises lorsque cette libertés d’expression est utilisé au service du dénigrement, de la diffamation et autres atteintes à la vie privée .
Pour lutter contre ces dérives, gérer leur e-réputation, les victimes disposent de moyens juridiques variés. Exercice du droit de réponse, notification de contenu illicite, action en référé, les possibilités sont nombreuses. Elles imposent toutefois de respecter un formalisme strict et surtout d’être déclenchées suivant une stratégie adaptée aux contraintes du Web.
Source : Arrêt de la Cour d’Appel de Versaillles du 16 février 2011.