Les conditions très restrictives de la publicité en faveur des boissons alcoolisées bouleversent le principe de spécialité du droit des marques et cela a d’importantes incidences pratiques et juridiques, comme le rappelle la Cour de Cassation dans son arrêt du 20 novembre 2012.
Cette affaire opposait la société Diptyque, spécialisée dans la fabrication de bougies parfumées et d’eaux de toilette, et titulaire de marques verbales française et communautaire « Diptyque » enregistrée en classes 3, 14, 18, 21, 24, 25 et 35, à la société Hennessy, dépositaire d’une marque française « Diptyque » désignant des boissons alcooliques en classe 33.
La société Diptyque assigna en effet la société Hennessy pour atteinte à sa marque de renommée sur le fondement de l’article L. 713-5 du Code de la Propriété intellectuelle et pour atteinte à ses marques antérieures en application de l’article L. 711-4 du même code et de l’article L. 3323-3 du Code de la Santé publique ; demandant notamment l’annulation de l’enregistrement de la marque « Diptyque » en classe 33.
Si l’atteinte à la renommée n’est pas retenue, la Cour de Cassation confirme l’arrêt de la Cour d’appel ayant déclaré la marque « Diptyque » nulle et fait interdiction à la société Hennessy de commercialiser des boissons alcooliques sous la dénomination Diptyque.
Le motif ?
Cette marque et son exploitation seraient de nature à constituer une entrave à la publicité faveur des produits couverts par la marque antérieure non renommée « Diptyque » (bougies parfumées, eaux de toilettes), notamment dans la presse écrite correspondant au public de ces produits en raison des conditions très restrictives posées par l’article L. 3323-3 du Code de la Santé publique en matière de publicité indirecte en faveur des boissons alcoolisées.
La société Hennessy voit dans l’argumentation de la Cour d’appel un raisonnement purement théorique ne tenant nullement compte de l’absence réelle de confusion entre les bougies et eaux de toilettes dont la promotion est assurée essentiellement dans des magazines de mode ou de décoration et le Cognac qu’elle commercialise sous la marque Diptyque.
Elle considère qu’une telle interprétation des textes est contraire à la décision du Conseil constitutionnel n° 90-283 du 8 janvier 1991 qui considère que le droit de propriété d’une marque régulièrement déposée n’est pas affecté par la réglementation de la publicité ou la propagande, directe ou indirecte, en faveur du tabac et, a fortiori, par la réglementation de la publicité en faveur de l’alcool.
La Cour de Cassation rejette le pourvoi de la société Hennessy et confirme que le dépôt de la marque « Diptyque » par la société Hennessy et la commercialisation de produits sous celle-ci créaient une entrave à la libre utilisation de la marque identique antérieurement déposée par la société Diptyque, dès lors qu’en application de l’article L. 3323-3 du Code de la Santé publique, est considérée comme publicité indirecte en faveur d’une boisson alcoolique et comme telle, soumise aux restrictions prévues à l’article L. 3323-2 du même code, la publicité en faveur d’un produit autre qu’une boisson alcoolique qui par l’utilisation d’une marque, rappelle une telle boisson.
En effet, cet article énonce :
« est considérée comme propagande ou publicité indirecte la propagande ou publicité en faveur d’un organisme, d’un service, d’une activité, d’un produit ou d’un article autre qu’une boisson alcoolique qui, par son graphisme, sa présentation, l’utilisation d’une dénomination, d’une marque, d’un emblème publicitaire ou d’un autre signe distinctif, rappelle une boisson alcoolique ».
Une nouvelle fois, la Cour de Cassation confirme donc une jurisprudence bien établie qui crée une exception au principe de spécialité si chère au droit des marques en donnant la possibilité aux titulaires de marques enregistrées (quels que soient les produits et services désignés) d’obtenir l’annulation d’enregistrements de marques désignant des produits alcooliques sur le fondement de l’article L. 711-4 du Code de la Propriété intellectuelle, du fait de l’existence d’une marque antérieure dont elle affecte la pleine jouissance par son titulaire.
Les incidences pratiques de cette jurisprudence ne doivent pas être négligées sur le terrain du droit des marques pur.
En effet, cela signifie que toute personne souhaitant déposer une marque pour désigner des boissons alcooliques doit s’assurer au préalable que cette marque n’a pas été déposée de manière identique ou quasi-identique dans une des 45 classes de la classification pour désigner tels produits ou tels services ; bien que sans rapport avec les boissons alcooliques.
Inversement, les personnes à la recherche d’un nouveau nom pour désigner une nouvelle gamme de produits ou services doivent vérifier que le nom sur lequel elles ont jeté leur dévolu n’est pas déjà déposé, non seulement pour désigner des produits ou services identiques ou similaires à ceux envisagés (principe de spécialité du droit des marques) mais également pour désigner des boissons alcooliques. En effet, à suivre la Cour de Cassation, la publicité d’une marque exposerait son titulaire à de sérieuses difficultés de promotion et de publicité dès lors qu’elle pourrait être jugée comme une publicité indirecte en faveur de boissons alcoolisées au sens de l’article L. 3323-3 du Code de la Santé publique.
Les exigences du Code de la Santé publique doivent donc être prises en compte au moment de la recherche d’une nouvelle marque. Quelle que soit la classe concernée par les produits ou services amenés à être désignés par cette nouvelle marque, la recherche d’antériorité doit aussi tenir compte de la classe 33 couvrant les boissons alcoolisées.
Source :
A propos de Cass. Com., 20 novembre 2012, Pourvoi n°12-11753