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Les noms de domaine en .Fr : un actif incorporel sous la protection du législateur

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Le projet de loi réformant l’article L.45 du Code des postes et communications électroniques (ci-après CPCE), adopté en première lecture par l’Assemblée nationale le 13 janvier 2011 et par le Sénat le 10 février 2011, apporte des première précisions sur ce qui pourrait constituer le nouveau socle juridique des règles d’attribution et de gestion des noms de domaine en « .fr » et dans d’autres extensions régionales ou locales.

Rappel des Faits

Le 9 juillet 2010, le Conseil Constitutionnel est saisi par le Conseil d’Etat d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par M. P. selon la procédure nouvelle prévue à l’article 61-1 de la constitution, entrée en vigueur le 1er mars 2010.

En l’espèce, le requérant avait soulevé que les dispositions relatives aux noms de domaine laissaient  « à l’autorité administrative et aux organismes désignés par elle une latitude excessive pour définir les principes d’attribution des noms de domaine et d’omettre ainsi de fixer un cadre minimal et des limites à leur action (…) ».

Le Conseil Constitutionnel, dans sa décision du 6 octobre 2010, considère que l’article L. 45 du CPCE est contraire à la Constitution et prononce son abrogation avec effet au 1er juillet 2011, afin de laisser au législateur le temps de réviser ce cadre légal et d’éviter de créer une trop grande insécurité juridique pour l’attribution et la gestion des noms de domaine en « .fr » pendant cette période transitoire.

Le cadre du travail du Législateur est fixé par la décision du Conseil Constitutionnel :

« Si le législateur a ainsi préservé les droits de la propriété intellectuelle, il a entièrement délégué le pouvoir d’encadrer les conditions dans lesquelles les noms de domaine sont attribués ou peuvent être renouvelés, refusés ou retirés ; qu’aucune autre disposition législative n’institue les garanties permettant qu’il ne soit pas porté atteinte à la liberté d’entreprendre ainsi qu’à l’article 11 de la Déclaration de 1789 ; que par suite, le législateur a méconnu l’étendue de sa compétence ; qu’il en résulte que l’article L.45 du CPCE doit être déclaré contraire à la Constitution. »

Le projet de loi : analyse

L’article 12 du projet de Loi portant diverses dispositions d’adaptation de la législation au droit de l’Union Européenne en matière de santé, de travail et de communications électroniques, adopté en première lecture le 13 janvier 2011 par l’Assemblée Nationale répond au cadre fixé par le Conseil Constitutionnel, mais reste décevant sur certains points.

Droits de propriété intellectuelle, liberté d’entreprendre et libre communication sur un pied d’égalité : la marque protégée.

Les noms de domaine sont toujours attribués suivant la règle du « 1er arrivé, 1er servi », pour une durée limitée et renouvelable.

Les principes d’attribution et de gestion des noms de domaine en .fr sont fixés par le nouvel article L. 45-1 du CPCE :

«  Les noms de domaine sont attribués et gérés selon des règles non discriminatoires et transparentes, garantissant le respect de la libre communication, de la liberté d’entreprendre et des droits de propriété intellectuelle ».

Les libertés d’entreprendre et de libre communication sont donc sauves et placées au même niveau que le droit de propriété (droit de propriété intellectuelle, en l’occurrence) pour être conciliées avec ce dernier au moment d’attribuer et de gérer les noms de domaine.

En revanche, le législateur n’a pas franchi le pas visant à consacrer le principe de la liberté de réserver et d’exploiter un nom de domaine, en l’assortissant de limites. Le législateur ne souhaite manifestement légitimer des réservations et utilisations manifestement abusives sous couvert du principe de la liberté.

Les droits de propriété intellectuelle sortent donc vainqueurs de ce projet de loi et les acteurs du droit des marques ne peuvent que s’en féliciter, puisque la marque, sans être citée nommément, bénéficie toujours d’un traitement de faveur face aux réservations et utilisations de noms de domaine susceptibles de lui porter atteinte.

Au vu de ce projet de loi, les cyber-acteurs français auront donc toujours intérêt à enregistrer les noms de leurs produits et services à titre de marque pour bénéficier de cette forte protection.

Motifs de refus à l’enregistrement ou au renouvellement et de suppression

En gardant à l’esprit la garantie du respect de la libre communication, de la liberté d’entreprendre et des droits de propriété intellectuelle, le législateur énonce à l’article L. 45-2 du CPCE que des noms de domaine pourront être refusés à l’enregistrement (ou au renouvellement) et supprimés dans trois hypothèses, après que le réservataire desdits noms ait été en mesure de présenter ses observations (respect de la liberté d’entreprendre):

  • Le nom de domaine est susceptible de porter atteinte à l’ordre public, aux bonnes mœurs ou à des droits garantis par la Constitution
  • Le nom de domaine est susceptible de porter atteinte à des droits de propriété intellectuelle ou de la personnalité, sauf si le réservataire justifie d’un intérêt légitime et agit de bonne foi
  • Le nom de domaine est identique ou apparenté à celui de la République française, d’une collectivité territoriale ou d’un groupement de collectivités territoriales ou d’une institution ou service public national ou local, sauf si le réservataire justifie d’un intérêt légitime et agit de bonne foi

Les collectivités territoriales doivent récupérer « leurs » noms de domaine maintenant

Ces hypothèses reprennent les interdictions (atteintes aux libertés de communication et d’entreprendre) posées par les articles L. R.20-44-43 à R.20-44-47 du CPCE actuel ; avec une modification non négligeable : le sort réservé aux noms de domaine reproduisant le nom d’ « institutions officielles » et de collectivités territoriales est calqué sur les noms de domaine susceptibles de porter atteinte à des droits de propriété intellectuelle ou de la personnalité. Alors que l’interdiction de réserver de tels noms de domaine était jusqu’alors absolue, celle-ci peut désormais être envisagée lorsque le réservataire justifie d’un motif légitime et agit de bonne foi.

En conséquence, les collectivités locales et autres institutions désireuses de récupérer des noms de domaine reproduisant leur nom ont tout intérêt à engager des procédures en ce sens (notamment procédure PREDEC devant l’AFNIC) avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi.

La marque OK, les autres signes distinctifs oubliés

Mise à part cette évolution, le législateur n’instaure pas d’autres limites. Ce faisant, il place les titulaires de droits sur des signes distinctifs, autres que ceux protégés par la propriété intellectuelle (dénominations sociales, noms commerciaux, enseignes, noms de domaine) dans une sorte de désarroi face aux atteintes qui peuvent être portées à leur droits par la réservation et l’utilisation de noms de domaine identiques ou similaires.

La procédure type PREDEC maintenue ( ?) par le nouvel article L. 45-6 du CPCE

« Toute personne démontrant un intérêt à agir peut demande à l’office d’enregistrement compétent la suppression ou le transfert à son profit d’un nom de domaine lorsque le nom de domaine entre dans les cas prévus à l’article L. 45-2 ».

Les dispositions de l’article L. 45-6 du CPCE telles que le prévoit le projet de loi ressemblent, à s’y méprendre, à la procédure PREDEC telle qu’elle existe actuellement devant l’AFNIC.

Néanmoins, plusieurs questions restent en suspens concernant cet article dont les modalités d’application seront fixées par décret en Conseil d’état.

Est-ce que la procédure PREDEC telle qu’elle est actuellement mise en œuvre devant l’AFNIC va être étendue aux cas autres que les cas de violation manifeste des règles d’attribution de noms de domaine que connaît actuellement l’AFNIC. La possibilité laissée à l’Office compétent de recourir à l’« intervention d’un tiers choisi dans des conditions transparentes » laisse supposer que ce champ d’action pourrait être étendu à tous les cas de violation des dispositions du CPCE, qu’elles soient manifestes ou non.

En outre, et c’est là une nouveauté, les décisions rendues par l’AFNIC (ou un autre Office) seront susceptibles d’une recours devant le juge judiciaire. Là encore, la loi ne précise pas quelle forme devrait revêtir ce recours, qui devrait être, selon toutes vraisemblances, un appel devant la Cour d’appel de Paris.

Le chantier est en marche, mais d’ores et déjà le délai fixé par le Conseil Constitutionnel au 1er juillet prochain paraît court pour que le texte de loi ne soit pas pris dans la précipitation et réponde aux attentes des professionnels du droit et de leurs clients.

Sources :

Projet de loi adopté par l’Assemblée Nationale disponible sur le site assemblee-nationale.fr.

Projet de Loi adopté par le Senat disponible sur le site senat.fr.

Décision du Conseil constitutionnel, n°2010-45 QPC du 6 octobre 2010.

Site Internet de l’AFNIC, « La nouvelle loi sur les noms de domaine est adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale ».

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