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Pari perdu pour les fournisseurs d’accès à Internet

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La cour d’appel de Paris a dans une décision du 28 juin 2011 déclaré dépourvues de caractère sérieux les deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) posées par un fournisseur d’accès à Internet, en sa qualité de fournisseur d’accès Internet telle que édictée à l’article 6-I 1 ; le but étant pour ce dernier d’échapper à l’application de la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010.
Le litige prend naissance du fait qu’une société de paris sportifs en ligne enregistrée à Gibraltar, n’ayant pas reçu l’agrément de l’Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL) conformément à l’article 21 de la loi n° 2010-476, aurait proposé ses services en France.
En application de l’article 61 alinéa 1 de cette loi, l’ARJEL a donc enjoint à cet opérateur de cesser sans délai de proposer en France sur le site Internet des offres de paris sportifs, hippiques et de cercle en ligne et l’invitant à présenter des observations en réponse sous huitaine.
A ce titre, il convient de rappeler que les peines prévues à un tel comportement sont fixées à l’article 56 de cette même loi, c’est-à-dire :

  • trois ans d’emprisonnement et 90 000 € d’amende ;
  • sept ans d’emprisonnement et 200 000 € d’amende lorsque l’infraction est commise en bande organisée.

En cas d’inexécution par l’opérateur intéressé de l’injonction de cesser son activité d’offre de paris, l’ARJEL peut, à l’expiration du délai de huit jours, saisir le président du tribunal de grande instance de Paris aux fins d’ordonner, en la forme des référés, l’arrêt de l’accès aux services proposés en France aux hébergeurs du site en cause et aux fournisseurs d’accès Internet (article 61 alinéa 2 de la loi n° 2010-476).
Usant de cette procédure, le Président de l’ARJEL a donc assigné un hébergeur anglais et nombre de fournisseurs d’accès à Internet, personnes dont le statut relève de l’article 6-I 1° et 2° de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique.
Faisant droit aux demandes du Président de l’ARJEL, le Président du TGI de Paris dans son ordonnance en date du 6 août 2010 a notamment enjoint aux fournisseurs d’accès de mettre en œuvre toutes mesures propres à empêcher l’accès, à partir du territoire français et/ou par leurs abonnés situés sur ce territoire au contenu du service en ligne, et ce dans un délai de deux mois sous astreinte de 10.000 euros par jour pendant un mois.
Relevant appel de la décision, un des fournisseurs d’accès à Internet a alors invoqué devant la Cour d’appel l’inconstitutionnalité de deux dispositions de la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne, l’article 61 et 69.
Cette manœuvre avait naturellement pour but de faire échec à l’application de cette loi les contraignant à mettre en place des mesures couteuses visant à empêcher l’accès au site Internet litigieux.
Le pari consistait à critiquer la constitutionnalité de :

  • l’article 61 autorisant l’ARJEL à saisir le Président du TGI de Paris afin d’ordonner le blocage à un site Internet au motif que cette disposition violerait le principe de présomption d’innocence en ce qu’elle postule l’existence d’une infraction pénale (1er moyen) ;
  • l’article 69 faisant application immédiate de cette loi au motif que l’absence de décret d’application évoqué expressément à l’article 61 alinéa 5 concernant l’indemnisation des fournisseurs d’accès à Internet chargé de prévenir l’accès d’un site litigieux rompt le principe de l’égalité devant les charges publiques (2nd moyen).

Qu’est-ce qu’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) ?

Instaurée en 2009 et prévue expressément à l’article 23-1 de l’Ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, cette nouvelle voie de droit permet de contester la constitutionnalité d’une disposition législative postérieurement à la promulgation de la loi.
Toutefois, pour pouvoir obtenir la transmission de ces QPC aux Hautes Juridictions (Cour de cassation et Conseil d’Etat), la demande doit répondre à certaines conditions préalables édictées à l’article 23-2 doivent être respectées telles que :

  • La demande est présentée dans un écrit distinct et motivé sous peine d’irrecevabilité ;
  • La disposition législative contestée doit être applicable à l’espèce ;
  • Le Conseil constitutionnel ne l’a jamais déclarée conforme à la Constitution dans son contrôle a priori de la loi ;
  • La question n’est pas dépourvue de caractère sérieux.

L’objectif clairement annoncé de ces conditions préalables était d’instaurer un filtre pour que la Cour de cassation ne soit pas submergée de QPC.
En l’espèce, la Cour d’appel usera de l’absence de caractère sérieux pour rejeter la demande de transmission du fournisseur d’accès à la Cour de cassation.
Sur le premier moyen, la Cour d’appel de Paris saisie du litige énonce que :

  • La présomption d’innocence est un principe fondamentale de la procédure pénale applicable à toute infraction dont celle prévues à l’article 56 de la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 ;
  • La mesure pouvant être ordonnée par le TGI de Paris s’appuie sur la constatation d’un fait objectif, « à savoir l’absence par l’opérateur d’agrément prévu à l’article 21 de la loi et la persistance de cette situation à défaut de toute réaction de l’opérateur passé le délai de huit jours ».

Elle en déduit que, c’est à partir de ce seul constat factuel objectif que le Président de l’ARJEL peut saisir une juridiction civile (le Président du TGI de Paris). La juridiction civile statue alors sur le bien fondé de cette demande, sans jamais se prononcer sur l’existence ou non présumée d’une infraction pénale.
A ce titre, elle précise que la voie pénale reste ouverte et que les mesures ordonnées en application de l’article 61 de cette loi n’ont « aucun caractère répressif ».

Par conséquent, la Cour d’appel déboute cette demande de transmission de QPC pour défaut de caractère sérieux

Sur le second moyen, la juridiction d’appel attire l’attention du fournisseur d’accès sur le fait que le principe de l’égalité devant les charges publiques (résultant du principe d’égalité de tout individu devant la loi consacré par l’article 6 de la Déclaration des Droits de l’Homme) n’interdit pas au législateur de faire supporter à certaines catégories de personnes des charges particulières à la condition qu’il n’en résulte pas une rupture caractérisée.
Or, si effectivement, l’article 61 alinéa 5 prévoit l’existence d’un décret fixant les modalités d’indemnisation des fournisseurs d’accès pour les surcoûts liés aux injonctions de bloquer l’accès au site litigieux en France, sa publication relève du pouvoir réglementaire et non législatif.
En d’autres termes, celui-ci relève de la compétence du gouvernement et non pas de celle des députés.
Dès lors, l’absence de publication d’un décret ne serait remettre en cause la constitutionnalité d’une loi par l’intermédiaire d’une QPC.
Par cette prise de position, la Cour d’appel évite d’ouvrir la boite de Pandorre qui aurait eu pour effet une contestation systématique de la constitutionnalité de la loi par voie de QPC en l’absence de décret d’application et en présence d’une loi d’application immédiate.
L’ARJEL a donc passé son épreuve de feu et a gagné son pari en conservant l’intégralité des prérogatives qui lui ont été accordées par le législateur. Reste à cette dernière d’en faire bonne usage.
Sources :
Arrêt de la Cour d’Appel du 28 janvier 2011
« Jeux en ligne : la cour d’appel rejette la QPC posée par Darty Télécom » : legalis.net

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