Le rôle d’une marque est de garantir l’identité d’origine des produits ou services pour lesquelles elle a été enregistrée. La marque sert donc de lien entre le consommateur et les produits ou services proposés par le titulaire.
Afin de renforcer ce lien, certaines marques ressentent le besoin de s’adapter aux tendances du moment et « rajeunissent ». La marque ne change pas radicalement mais se contente de quelques évolutions destinées à la rendre plus attractive. Le titulaire de la marque ancienne dépose alors une nouvelle marque reprenant le visuel révisé, espérant ainsi se protéger plus efficacement.
Cependant, l’enregistrement et l’exploitation de cette nouvelle marque a des conséquences sur la protection accordée à la marque ancienne.
Le dépôt d’une marque nouvelle, reprenant une marque déjà enregistrée sous une forme modifiée, n’a pas d’impact en soi sur cette marque. Cependant, la marque nouvelle sera exploitée à la place de la marque ancienne, qui sera délaissée.
La marque ancienne encourt alors le risque d’une action en déchéance pour défaut d’exploitation. Cette sanction, visée à l’article L714-5 du Code de propriété intellectuelle (CPI), prévoit que le titulaire d’une marque encourt la déchéance de ses droits de propriété dans le cas où « il n’en a pas fait un usage sérieux, pour les produits et services visés dans l’enregistrement, pendant une période ininterrompue de cinq ans ».
L’article L714-5 CPI détaille les usages qu’il considère comme sérieux dont « l’usage de la marque sous une forme modifiée n’en altérant pas le caractère distinctif ».
Cette disposition, reprise de l’article 5, B, de la Convention de Paris, a justement pour but de protéger la marque lorsque celle-ci est exploitée sous une forme différente.
La question qui se pose alors est de savoir si une marque nouvelle peut servir à justifier de l’usage sérieux de la marque ancienne dont elle est issue.
Sur ce point, le juge français a d’abord tranché par la négative dans un arrêt de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation en date du 16 juillet 1992 énonçant que : « l’exploitation d’une marque enregistrée, analogue à une autre marque enregistrée, ne vaut pas exploitation de cette dernière ».
Cette jurisprudence a été remise en cause par deux arrêts de la chambre commerciale de la Cour de Cassation du 14 mars 2006. Pour se prononcer, la Cour relève que le code ne distingue pas suivant que le signe ait été ou non enregistré à titre de marque.
Ces décisions ont fait l’objet de vives critiques, d’autant plus que le juge communautaire avait statué à l’inverse dans un jugement du 6 février 2006.
Le juge français a donc fait machine arrière dans un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 16 février 2010. Les juges ont considéré que le titulaire, en déposant plusieurs marques, a souhaité les distinguer les unes des autres. Par conséquence, il doit toutes les exploiter. Dans le cas contraire, il encourt une action en déchéance pour défaut d’exploitation.
La position française doit cependant être confrontée à une récente décision de la Cour de Justice de l’Union Européenne. Le juge européen a décidé, dans un arrêt du 25 octobre 2012, que l’article 10 de la directive 89/104 (correspondant à l’article L 714-5 CPI) ne pose comme seule condition, pour que l’usage de la marque sous une forme modifiée soit retenu, que cet usage n’en altère pas le caractère distinctif.
En l’espèce, le raisonnement tenu par le juge national était similaire à celui exposé dans l’arrêt de la Cour de cassation du 16 février 2010. Le titulaire d’une marque rajeunie n’avait pas pu rapporter la preuve de l’usage de la marque ancienne au motif que le signe utilisé avait été enregistré à titre de marque.
Or selon la CJUE, exiger que ce signe ne soit pas enregistré comme une marque reviendrait à rajouter une condition supplémentaire qui contreviendrait à l’esprit du texte. En effet, la cour énonce que l’article 10 de la directive 89/104 :
« en évitant d’exiger une conformité stricte entre la forme utilisée dans le commerce et celle sous laquelle la marque a été enregistrée, vise à permettre au titulaire de cette dernière d’apporter au signe, à l’occasion de son exploitation commerciale, les variations qui, sans en modifier le caractère distinctif, permettent de mieux l’adapter aux exigences de commercialisation et de promotion des produits ou des services concernés. »
Pour les juges, cette finalité serait compromise si, pour l’établissement de l’usage de la marque enregistrée, il était exigé une condition supplémentaire.
Le rajeunissement d’une marque ne fragilise donc pas la protection offerte à la marque ancienne. Le titulaire d’une marque « relookée » pourra donc s’en prévaloir pour rapporter la preuve de l’usage de sa marque ancienne à condition que les modifications apportées ne modifient pas le caractère distinctif de la marque originale.
Il convient cependant de rester prudent tant que le juge français ne s’est pas prononcé à la lumière de la récente décision de la CJUE.
Sources :
Cass. ass. plén., 16 juillet 1992, préc. n° 9 ;
TPICE, 23 févr. 2006, aff. T-194/03 ;
Cass. com., 14 mars 2006, n° 03-18.732 : JurisData n° 2006-032687 ; PIBD 2006, n° 830, III, p. 362;
Cass. com., 14 mars 2006, n° 04-10.971 : JurisData n° 2006-032689 ; PIBD 2006, n° 831, III, p. 402;
Cass. com., 16 févr. 2010, n° 08-21.079 : JurisData n° 2010-051675;
CJUE, Affaire C 553/11, 25 octobre 2012.