Coup de théâtre judiciaire dans le cadre de l’ouverture de la vente en ligne de médicament :
Par ordonnance de référé du 14 février 2013, le Conseil d’Etat décide en effet de suspendre l’ordonnance du 19 décembre 2012 prononçant la libéralisation partielle de la vente de médicaments en ligne pour cause de doute sérieux quant à sa conformité au droit communautaire.
Loin de remettre en cause le principe même de libéralisation d’une telle commercialisation, le Conseil d’Etat fait sienne l’argumentation d’un pharmacien de Caen qui considérait que la règlementation française était trop restrictive par rapport à la directive européenne 2011/62/UE du 8 juin 2011 et que cette restriction injustifiée lui causait un grave préjudice.
Le texte européen prévoyait notamment que seuls les médicaments non soumis à prescription médicale pouvaient être commercialisés en ligne. Or, le législateur français avait décidé d’ajouter à cette limitation que parmi les médicaments non soumis à prescription, seuls pouvaient être commercialisés les médicaments de médication officinale qui peuvent être présentés en accès direct au public ayant obtenu une mise sur le marché mentionnée à l’article L.5121-8 du Code de santé publique ou un des enregistrements mentionnés aux articles L.5121-13 et L.5121-14-1 du même Code.
Les schémas suivants permettent de visualiser la problématique posée au Conseil :
DROIT COMMUNAUTAIRE
DROIT FRANÇAIS
En l’espèce, un pharmacien basé à Caen avait développé une activité de vente de médicaments en ligne. Cette activité connaissait, depuis la fin de l’année 2012, un tel développement, que le pharmacien avait décidé d’embaucher quatre nouveaux préparateurs.
Sur l’ensemble des médicaments commandés en ligne, 58% correspondaient à des médicaments sans prescription médicale (autorisé par le droit communautaire) mais sans accès libre (interdit à compter du 1er mars 2013 par l’ordonnance du 19 décembre 2012).
Le pharmacien décide donc de saisir le Conseil d’Etat en référé pour demander la suspension des dispositions de l’ordonnance pour non-conformité de l’ordonnance précitée au droit communautaire.
La demande de suspension est effectuée sur le fondement de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative qui exige le respect de deux conditions cumulatives :
- Un doute sérieux sur la légalité de la décision ;
- Une urgence.
Le Conseil va constater que l’ordonnance litigieuse est plus restrictive que le Code communautaire relatif aux médicaments à usage humain. Or, les Etats membres ne peuvent restreindre la vente en ligne « que [pour] les médicaments soumis à prescription ». Il existe donc, pour le Conseil d’Etat, un doute sérieux quant à la légalité de l’ordonnance.
Par ailleurs, l’urgence est caractérisée par deux éléments. En premier lieu, l’entrée en vigueur de l’ordonnance est « de nature à porter un préjudice grave et immédiat » au requérant même si, précisent les hauts magistrats, la vente en ligne ne correspond qu’à une fraction de son chiffre d’affaire global. En outre, le doute sérieux constaté nécessite que des mesures provisoires soient prises pour faire « immédiatement cesser l’atteinte aux droits conférés par l’ordre juridique de l’Union Européenne ».
Le Conseil d’Etat prononce donc la suspension immédiate de l’article L. 5125-34 du Code de santé publique. Il lui reste maintenant à statuer au contentieux « dans les meilleurs délais » puisque la suspension n’a vocation à perdurer que tant qu’il n’est pas statué sur la requête en annulation ou en réformation.
Ce litige s’inscrit dans un contexte de tension impliquant, pour les pouvoirs publics, une conciliation entre plusieurs grands principes :
d’une part, le principe fondamental de libre de circulation des biens instauré par le droit communautaire et protégé notamment par la Cour de Justice de l’Union Européenne.
d’autre part, la protection de la santé publique qui suppose notamment de lutter contre la commercialisation débridée de médicaments contrefaits sur internet.
La suspension du texte français ordonnée par le Conseil d’Etat s’explique par une hiérarchie des normes applicables faisant prévaloir la législation communautaire sur la législation nationale. Il est donc à prévoir en France un élargissement de la vente en ligne à l’ensemble des médicaments non soumis à prescription médicale.
Pour autant, cela ne veut pas dire une dérégulation totale qui permettrait une diffusion incontrôlée de ces produits spécifiques.
Ainsi, rappelons que le pharmacien qui souhaite se lancer dans la vente en ligne de médicament devra respecter :
Les grands principes concernant tout cybermarchand détaillés notamment dans notre ouvrage « Guide Juridique de l’e-commerce » (Cf. Editions ENI 09/2012) :
• Définir une politique de gestion des noms de domaine ;
• Assurer la protection et la valorisation des marques associées ;
• Sécuriser la propriété des apports intellectuels ;
• Encadrer contractuellement les services et produits proposés ;
• Assurer la protection des données à caractère personnel ;
• Gérer le contenu éditorial et afficher ses mentions légales;
• Mettre en place des outils de veille.
Les obligations spécifiques à la vente de médicament sur internet :
• la vente en ligne doit être réalisée à partir du site internet d’une officine de pharmacie ;
• la création et l’exploitation du site internet sont exclusivement réservées aux pharmaciens ;
• la vente en ligne ne peut concerner que les médicaments non soumis à prescription médicale ;
• une autorisation doit être demandée au directeur général de l’agence régionale de santé territorialement compétente ;
• le conseil compétent de l’ordre des pharmaciens, dont le pharmacien qui souhaite créer le site relève, doit être informé de la création du site internet.
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La « réouverture » de la vente de médicaments non soumis à prescription médicale sur internet n’est certes pas de nature à affecter le monopole des pharmaciens.
Elle suppose toutefois une prise en compte de règles strictes opposables à la fois à tout cybermarchand mais également spécifiquement aux pharmaciens qui souhaitent se lancer sur la Toile.
Au-delà du formalisme imposé par le Code de la Santé Publique et des autorisations nécessaires, l’encadrement juridique du site internet de vente en ligne de médicaments sera ici déterminant.
Il s’agira en effet d’assurer la confiance des internautes tout en répondant à des problématiques concrètes aux multiples répercussions juridiques : Comment en effet palier l’absence de face à face entre le client et le pharmacien ? Comment assurer techniquement la traçabilité des médicaments pour les remboursements via la carte vitale ? Quelles garanties apporter s’agissant des risques d’atteinte aux données de santés collectées ou au risque d’usurpation d’identité ? Autant de questions qui impliqueront une prise en compte forte de la contrainte juridique.
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Sources :
http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000026805101