Approuvé par une très large majorité au Parlement européen, l’amendement 138 semblait avoir vidé le principe de la riposte graduée de sa substance. Pourtant, ce vote n’a pas empêché les sénateurs français d’approuver, un mois plus tard, le projet de loi qui fait de la riposte graduée une mesure phare de lutte contre le piratage des œuvres sur Internet et de s’inscrire dès lors en porte à faux avec les eurodéputés.
Le 24 septembre 2008, le Parlement européen s’est prononcé sur le « paquet télécom » dont l’objectif avoué est de « faciliter la concurrence et de renforcer les droits des consommateurs ».Par un vote sans appel, 560 voix sur 660, l’amendement 138 semblait avoir enterré la riposte graduée, centre névralgique de loi française Création et Internet concernant la protection de la propriété intellectuelle sur internet. Ce désaveu européen n’a pas empêché les sénateurs d’adopter le 30 octobre, à une très large majorité, le projet de loi de lutte contre le téléchargement sur internet de fichiers protégés par le droit d’auteur.
Les modalités de la riposte graduée
Né des accords Olivennes, le principe de riposte graduée a été inventé par la France en 2006. Repris avec succès aux Etats Unis, la riposte graduée a pour optique de lutter contre le piratage sur internet en évitant la voie contentieuse autrement dit les tribunaux. La riposte graduée instaure un nouveau système de contrôle et de sanction sous l’égide d’une autorité administrative : la Haute Autorité pour la Diffusion des Œuvres et la Protection des droits sur Internet (HADOPI).
Très controversée, la riposte graduée permet d’apporter dans une certaine mesure une réponse adaptée aux diverses formes de piratage sur internet. En cas de repérage d’actes illicites, les ayants droit dont l’œuvre a été piratée peuvent saisir l’HADOPI. Ainsi, la riposte s’effectue en quatre temps :
1. Un premier message d’avertissement signé par l’HADOPI, est adressé par le fournisseur d’accès à internet (FAI) à l’abonné, responsable de la ligne ;
2. En cas de récidive, second message d’avertissement est adressé au responsable de la ligne
3. En cas de récidive dans les six mois, l’abonnement est suspendu un mois
4. En cas de nouvelle récidive dans les six mois, l’abonnement est suspendu pendant une période pouvant aller de 1 mois à un an. Pour éviter que le récidiviste ne contourne cette sanction par la souscription d’un nouvel abonnement chez un autre FAI, un système de black liste des pirates du web devrait être dressée.
Cette mesure a pour mérite de responsabiliser l’internaute en tant réel sur l’illégalité de ses actes via une riposte allant crescendo. Au surplus, ce nouveau concept de sanction semble être accepté par les français. En effet, selon un sondage commandé à l’agence IPSOS en mai 2008 par la Société Civile des Producteurs Photographiques (la SCPP dont SONY BMG, UNIVERSAL et WARNER), 74% des sondés étaient favorables aux principales dispositions de la riposte graduée.
La riposte graduée n’est pas la bienvenue en Europe.
«Aujourd’hui l’Europe apparait comme le dernier rempart contre les velléités liberticides de certains Etats membres » se réjouit l’eurodéputé Guy BONO à l’annonce des résultats du vote de l’amendement 138. Cet amendement, déposé entre autres par les eurodéputés Daniel CONH-BENDIT et Guy BONO, remet totalement en cause le système de contrôle des internautes par le biais d’une autorité administrative. L’amendement dispose en effet :
«En vertu du principe selon lequel aucune restriction aux droits et libertés des utilisateurs finaux ne doit être prise sans décision préalable de l’autorité judiciaire en application notamment de l’article 11 de la Charte des droits fondamentaux, sauf en cas de force majeure ou d’impératifs liés à la préservation de l’intégrité et de la sécurité des réseaux, et sous réserves des législations pénales nationales motivées par considérations liées l’ordre public, la sécurité publique et la moralité publique ».
Autrement dit, l’amendement 138 consacre une place prédominante à l’autorité judiciaire en matière de liberté d’expression et d’information sur internet en interdisant aux Etats membres de priver les internautes de leur liberté d’accès à internet sans décision préalable des tribunaux. Les exceptions mentionnées dans l’amendement n’y changeront rien, le piratage des œuvres sur internet pouvant difficilement être considéré comme une « menace à la sécurité publique ».
Malgré ce désaveu la France n’a cependant pas mis fin à la riposte graduée comme en témoigne le vote au Sénat en date du 30 octobre dernier.
La riposte graduée plébiscitée par le Sénat
Après seulement deux jours de débat, le Sénat s’est inscrit en porte à faux avec la décision du Parlement européen. En effet, les sénateurs ont non seulement approuvé le projet de Loi Création et Internet mais on également maintenu le principe de coupure d’accès à internet après deux avertissements à 297 voix contre 15. Cette coupure était pourtant le sujet le plus controversé du projet de Loi : la Commission Economique du Sénat considérait que cette coupure était excessive et proposait de la remplacer par un système d’amende. A l’inverse, le Ministre de la Culture, Christine Albanel, considérait que le système de l’amende s’inscrivait dans « une logique répressive » contraire à la logique pédagogique escomptée. Cette dernière a été entendue.
Le texte, qui n’a été que très partiellement modifié par le Sénat, va être envoyé d’ici peu devant l’Assemblée Nationale.
L’impulsion française semble avoir pour but d’influencer le vote final de la directive Européenne qui n’aura lieu qu’au printemps 2009, comme en témoigne l’intervention de Nicolas SARKOZY auprès de José Manuel BARROSO, président de la Commission Européenne, lui demandant de retirer l’amendement 138 qui empêcherait le projet français d’aboutir. En effet, les directives européennes sont des actes normatifs qui lient les Etats membres de l’Union quant au résultat à atteindre. Ces derniers ne peuvent adopter des Lois qui seraient non conformes à la directive. La riposte graduée du projet de Loi Création et Internet, en s’opposant à l’amendement 138, demeure donc malgré le vote sans appel du Sénat, sur la sellette de Bruxelles.
Références :
Article du Journal du net : «Le Parlement européen saborde la riposte graduée »
Article du Journal du net : «Téléchargement illégal : la riposte graduée revue et corrigée par le Senat»
Lire aussi :
Projet de loi « Création et Internet »
Par Gérard Haas. Le 18 juin 2008, à l’issue du Conseil des ministres, Christine Albanel a présenté le projet de loi « favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet » dit « création et Internet. 20/06
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Si les dispositions du projet de loi relatif à la lutte contre la piraterie sur Internet se veulent moins sévères que le régime pénal actuel sur la contrefaçon, elles demeurent néanmoins controversées au regard des normes européennes. 10/06
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L’avant-projet de loi issu de la mission Olivennes relative à la piraterie sur le Net, a été présenté aux signataires des accords de l’Elysée du 23 novembre 2007
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Par Gérard Haas. La loi du 1er août 2006 pose de nombreuses exceptions au monopole de l’auteur et des auxiliaires de la création.
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