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Sans l’autorisation du chef, il est interdit de photographier son plat en Allemagne.

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Par Gérard HAAS et Laurence HADJ

Vous êtes à Berlin, en vacances, au restaurant avec des amis et vous ne résistez pas à l’envie de publier la photo de votre plat de saucisses de Francfort sur Facebook ou Instagram; méfiez-vous, car vous risquez une amende. Décryptage

Le foodporn, (littéralement « pornographie de nourriture » ou « pornographie alimentaire ») consiste à photographier sa nourriture, ses plats pour les partager ensuite sur les réseaux sociaux. C’est, désormais une tendance devenue courante à travers le monde de publier le contenu de son assiette sur les réseaux sociaux. Cela est d’autant plus facile que le portable qui tient dans votre poche  est aussi un appareil photo.

A priori, il est difficile de concevoir qu’une disposition légale puisse être enfreinte par cette pratique et, pour beaucoup, la question de savoir si cet acte serait susceptible de tomber sous le coup d’interdiction ne se pose pas. En principe, cela est plutôt flatteur pour les restaurateurs… Cependant, certains s’insurgent de cette pratique jusqu’à parfois l’interdire expressément au sein de leur restaurant en mettant un panneau avec un appareil de photo barré. Ils dénoncent le fait que leur travail ne soit pas toujours mis en valeur et y voient même une atteinte au droit d’auteur.

En Allemagne la réponse est positive depuis une décision de novembre 2013 de la Cour Fédérale de Justice. Ainsi, photographier son assiette originale dans un restaurant et la partager sur les réseaux sociaux sans la permission du chef relève d’une atteinte au droit d’auteur ; cela concernerait toute création ayant nécessité un arrangement culinaire.

 

Peut-on transposer cette solution en France ?

Pour l’heure et à notre connaissance, la question ne s’est pas posée aux tribunaux français. Mais rien n’interdit à un chef qui considère que sa création est originale d’interdire sa reproduction. En effet, il est parfaitement envisageable qu’une telle solution puisse également trouver à s’appliquer. Proche du droit d’auteur allemand qui protège les œuvres constituant des créations intellectuelles personnelles, le droit d’auteur français accorde sa protection aux œuvres de l’esprit originales qui se matérialisent dans une forme perceptible par les sens.

Pourquoi devrait-on considérer qu’une peinture ou qu’une photographie relèverait davantage d’une œuvre de l’esprit qu’une création culinaire, d’autant que le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination sont des critères indifférents au droit d’auteur ? On sait que la haute gastronomie attache à l’esthétique une importance souvent égale à celle du goût jusqu’à parfois désigner les plats soigneusement dressés comme de véritables « tableaux ».

Remarquons toutefois que les recettes de cuisine ne font pas partie des créations qualifiées a priori comme œuvre de l’esprit par le Code de la propriété intellectuelle et que les tribunaux leur ont jusqu’à présent toujours refusé la protection par le droit d’auteur. En revanche, la photographie d’une création culinaire (une fois le plat confectionné donc) peut être protégeable, tout comme les textes et l’agencement d’un livre de recettes (en tant que compilation), si tant est que ces œuvres soient originales et portent « l’empreinte de la personnalité » de leur auteur.

Récemment, la protection à des recettes de cuisine à destination d’enfants a été refusée encore par les juges. Nous reproduisons ci-après un extrait du jugement rendu par le tribunal de Grande Instance de Paris le 24 janvier 2014. « Ces recettes prennent la forme classique et stéréotypée d’une énumération des ingrédients puis d’une description étape par étape des opérations à effectuer, si par le choix de termes simples et descriptifs, le recours à la première personne de l’impératif et au tutoiement, les suggestions de se faire aider « par ta maman » ou de servir le plat « à tes copains » ou encore les conseils basiques tels que « n’oublie surtout pas, sinon le papier risque d’éclater dans le micro-ondes » ou « c’est vrai l’oignon ça fait pleurer ! Tu peux essayer de mettre un masque de plongée », la formulation prend en considération le jeune public auquel est destiné ces recettes, cette caractéristique qui n’est au demeurant pas innovante, comme le montrent d’autres exemples de recettes destinées aux enfants versés au débat par la défenderesse qui adoptent un ton similaire, ne suffit pas à leur donner une forme ou un contenu qui porte l’empreinte de la personnalité du rédacteur. Aussi les recettes en cause ne relèvent pas d’une activité créatrice originale, et ne sont pas, de ce fait ,protégées au titre des droits d’auteurs ». (TGI PARIS 24 janvier 2014 RG 12/00188)

Si la question est intéressante sur le plan théorique, son intérêt pratique est discutable.

Comme le note le quotidien Die Welt, aucune poursuite sur ce fondement n’a été engagée depuis la décision de 2013 en Allemagne. Plusieurs raisons peuvent expliquer cet état de fait. Tout d’abord, on peut comprendre que les restaurateurs soient plutôt réticents à intenter une action judiciaire contre leurs clients. Les répercussions en termes d’image pourraient en effet être gravement préjudiciables pour ces chefs. Par ailleurs, il existe une certaine insécurité juridique sur la qualification en tant qu’œuvres protégées que les juges seraient amenés à reconnaitre à des plats. S’il est évident que la majorité d’entre eux ne pourront être considérés comme tels, l’appréciation du caractère original d’une création culinaire semble pour l’heure subjective.

Nous retiendrons qu’un plat sophistiqué, singulier, composé avec minutie dans un restaurant peut rentrer dans le cadre des œuvres protégées par le droit d’auteur, une action contre un client est faiblement envisageable, sauf à vouloir faire du buzz.  En revanche, et à notre avis, que l’on se rassure, une saucisse de Francfort peut sans problème être photographiée et diffusée sur les réseaux sociaux.

 #avocat, #foodporn

Sources

–             www.welt.de, Das Fotografieren von Essen könnte teuer werden, 13 août 2015

–             www.lefigaro.fr, En Allemagne, poster votre assiette sur les réseaux sociaux pourrait vous coûter cher…, 24 août 2015

–             www.20minutes.fr, Allemagne : La loi interdit désormais le partage de photo de son assiette au restaurant, 24 août 2014

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