« Quelles mesures seront prises pour assurer la sécurité et la tranquillité publique dans les immeubles des cités sensibles de la capitale ? »
Cette question de la Sénatrice UMP Catherine DUMAS semble trouver une réponse pratique dans la récente, et très controversée, loi LOPPSI 2.
Le contexte
La réunion de groupes de personnes dans les halls d’immeubles inquiète les autorités.
Des débordements violents ayant été à déplorer dans le passé, certains gestionnaires d’immeuble collectif ont pris l’initiative d’installer des caméras dans ces « endroits sensibles ».
Mais à quoi sert de filmer si l’on ne peut transmettre ces images aux forces de l’ordre ?
L’article 23 de cette loi LOPPSI tend à favoriser le développement de la « vidéoprotection » en offrant cette possibilité.
En clair, les propriétaires et exploitants d’immeubles collectifs à usage d’habitation, pourront transmettre à la police et la gendarmerie, les images prises par des caméras installées dans les parties communes des immeubles collectifs.
Pour mémoire, la loi du 2 mars 2010 renforçant la lutte contre les violences de groupe avait prévu la mise en place d’un dispositif similaire. Cependant, la décision du le Conseil constitutionnel n° 2010-604 DC du 25 février 2010 avait censuré ce texte. Ce dispositif ne protégeait pas suffisamment la vie privée des personnes soumises à cette mesure.
C’est pourquoi, la loi LOPPSI entoure précautionneusement la mise en place de cette mesure.
Les conditions
Nous allons retracer chronologiquement les modalités pratiques qu’il vous faudra respecter afin de pouvoir transmettre aux autorités compétentes les images filmées dans les parties communes de votre immeuble collectif.
Étape 1 : L’établissement d’une convention préalable conclue entre le gestionnaire de l’immeuble et le représentant de l’Etat dans le département précisant les conditions et modalités du transfert des images (Article 23-I alinéa 3 de la loi LOPPSI du 14 Mars 2011).
Si la convention vise à transmettre des images aux services de police municipale, elle doit être signée par le maire (Article 23-I alinéa 4 de la loi).
Étape 2 : La convention est transmise à la « commission départementale de vidéoprotection » qui apprécie la pertinence des garanties prévues et en demande, s’il y a lieu, le renforcement au représentant de l’Etat signataire.
Étape 3 : Le principe de la transmission d’image est accepté, à ce niveau, par la police ou la gendarmerie.
Néanmoins, la décision de l’installation des caméras de vidéosurveillance devra faire l’objet d’une décision du gestionnaire de l’immeuble (dans le cas d’un logement social) ou de l’assemblée générale à la majorité des voix de tous les copropriétaires fixées à l’article 25 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965.
Étape 4 : La transmission ne peut être réalisée que dans un contexte déterminé, pour des images se rapportant à un espace déterminé et après avoir respecté une procédure déterminée.
- Un contexte déterminé : La transmission ne peut être effectuée que « lors de circonstances faisant redouter la commission imminente d’une atteinte grave aux biens ou aux personnes ».
- Un espace déterminé : le texte précise que : « Les images susceptibles d’être transmises ne doivent concerner ni l’entrée des habitations privées, ni la voie publique ».
Une procédure déterminée : la transmission des images à l’autorité désignée dans la convention devra être décidée dans les mêmes modalités que celles entourant la décision d’installation des caméras. Le petit P) de l’article 25 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 à été spécifiquement crée dans ce but.
Étape 5 : La transmission des images doit s’effectuer en temps réel. La durée de cette opération sera strictement limitée au temps nécessaire à l’intervention des services de police ou de la gendarmerie nationale.
Les critiques
La procédure mise en place est complexe, minutieuse. Et semble, à ce titre, respectueuse des droits des personnes. Est-ce le cas ?
Il convient tout d’abord de s’interroger sur l’efficacité réelle de la protection assurée par des caméras de surveillance.
La vidéoprotection : quelle efficacité ?
Le « Rapport de l’Inspection générale de l’administration sur l’efficacité de la vidéoprotection » nous amène certaines réponses. Selon ce rapport publié sur le site du Ministère de l’Intérieur le 17 novembre 2010, la vidéosurveillance aurait un impact élevé en termes de prévention des actes de délinquance, un impact faible en termes d’élucidation des affaires policières et un cout très élevé.
Cependant, certains éminents spécialistes contestent la validité de ce rapport. La méthodologie employée pour sa rédaction serait illogique et partiale. Et d’autres études, notamment portant sur l’efficacité de la vidéosurveillance en Grande Bretagne, mettent en exergue l’inefficacité totale de ce dispositif.
La question reste en suspens.
En dehors même de ce débat sur la pertinence de l’emploi de caméra de vidéosurveillance, certaines modalités du texte sont critiquables.
- Des formalités nombreuses mais imprécises
Tout d’abord, les modalités d’établissement de la convention liant le gestionnaire d’immeuble à un représentant de l’état dans le département sont imprécises. La rédaction du contrat incombe t’elle au gestionnaire ? Doit-il être assisté d’un avocat ? Une convention-type sera-t-elle mise à la disposition des gestionnaires par les forces de l’ordre ? Quel sera son contenu ?
Ensuite, le contrôle opéré par la « commission départementale de vidéoprotection » apparait vague. Quels seront ses critères d’appréciation relatifs à la pertinence des conventions?
De plus, comment espérer une action prompte des forces de l’ordre si chaque transmission doit faire l’objet d’un vote et obtenir la majorité des voix des copropriétaires ?
Enfin, comment s’assurer que les images transmises ne le seront que dans les limites temporelles visées dans le texte ? Quel organe de contrôle sera compétent pour surveiller l’utilisation qui sera faite de ces images ?
2. Des images transmises. Mais à qui ?
La visualisation des images, le contrôle du respect de la convention spécifique pèsera sur la police et la gendarmerie. Ont-elles les moyens financiers et humains pour y faire face ? Les forces de l’ordre seront-elles suffisamment nombreuses pour répondre à ces nouvelles sollicitations ?
De nombreuses questions restent en suspens. La vidéoprotection fait encore débat dans notre société. Et il apparait difficile de juger un texte qui ne connait pas, encore, d’application concrète.
Les usages, la jurisprudence et les précisions réglementaires à venir nous révéleront si l’article 23 de la loi LOPPSI 2 est un texte liberticide ou protecteur.
Sources :
Question orale sans débat n° 1133S publiée dans le JO Sénat du 16/12/2010 – page 3230
Loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pourla performance de la sécurité intérieure (JORF n°0062 du 15 mars 2011)
« Quand la « vidéoprotection » remplace la « vidéosurveillance » » Journal Le MONDE. FR du 16.02.10
« LOPPSI : l’efficacité de la vidéosurveillance n’est pas prouvée » Par Sébastian Roché, Directeur de recherche au CNRS
« Sous l’œil myope des caméras » Par Noé Le Blanc publié en septembre 2008 dans Le MONDE DIPLOMATIQUE.