Selon la Cour de cassation, le service Google Suggest offre quelques fois les moyens de porter atteinte aux droits des auteurs ou aux droits voisins.
Les faits
Le Syndicat national de l’édition phonographique (SNEP), en sa qualité de représentant de sociétés de l’industrie phonographique, de producteurs de phonogrammes et de cessionnaires de droits d’artistes interprètes, a engagé une action judiciaire à l’encontre de la société Google ayant pour objet la fonctionnalité « Google Suggest » (ou « Google Suggestions ») de son célèbre moteur de recherche.
Selon la société Google, cette fonctionnalité permet de proposer automatiquement aux internautes des termes de recherche supplémentaires (qui sont fonction du nombre de saisies) associés à ceux de leur requête initiale.
En l’espèce, grief était fait à l’outil de suggérer systématiquement les mots clés “Torrent”,“Megaupload” ou “Rapidshare” (correspondant aux noms de systèmes ou de sites d’échange ou de téléchargement de musique en ligne) aux internautes recherchant le nom d’un artiste, le titre d’une chanson ou d’un album.
La position de la Cour d’appel de Paris
La Cour d’appel de Paris débouta le Syndicat de son action visant à obtenir la suppression et l’interdiction de proposer les termes “Torrent”, “Megaupload” et “Rapidshare” associés à des noms d’artistes, de chansons ou de titres d’album au motif que la suggestion de ces mots clés ne serait pas constitutive en soi d’une atteinte au droit d’auteur pour deux raisons :
- d’une part, les fichiers mis en partage sur les sites incriminés ne seraient pas forcément destinés à être téléchargés illégalement
- d’autre part, une telle atteinte ne serait avérée que si l’internaute se rend sur le site suggéré et télécharge un phonogramme protégé et figurant en fichier sur ces sites.
La Cour d’appel estime dès lors que la société Google ne saurait être tenue responsable ni du contenu éventuellement illicite des fichiers échangés figurant sur les sites incriminés ni des actes volontaires des internautes visant à télécharger de tels fichiers après avoir été dirigés sur lesdits sites grâce aux suggestions du moteur de recherche.
L’arrêt de la Cour de Cassation
La Cour de cassation censure ce raisonnement et semble être guidée en cela par des notions juridiques issues du droit pénal tels que l’incitation ou la complicité par fourniture de moyens.
Selon la Cour de cassation, la société Google serait fautive dans la suggestion de mots clés visant à inciter systématiquement les internautes à se rendre sur des sites donnant accès à des enregistrements sonores sans l’autorisation des artistes interprètes ou des producteurs de phonogrammes.
Dès lors, la Cour considère que les mesures sollicitées par le SNEP tendant à prévenir ou à faire cesser cette atteinte par la suppression de l’association automatique des mots clés litigieux avec les noms d’artistes, de chansons ou d’albums étaient justifiées ; la société Google pouvant parfaitement contribuer à rendre ainsi plus difficile la recherche des sites litigieux, sans, pour autant, qu’il y ait lieu d’en attendre une efficacité totale.
La Cour appuie son raisonnement sur les dispositions de l’article L. 336-2 du Code de la propriété intellectuelle qui énonce qu’ « en présence d’une atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin occasionnée par le contenu d’un service de communication au public en ligne, le tribunal de grande instance peut ordonner (…) toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une telle atteinte à l’encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier ».
Conclusion
Cette solution mérite selon nous d’être approuvée car, au cas d’espèce, il semble que les suggestions de l’outil Google Suggest étaient de nature à augmenter de manière singulière le trafic des sites litigieux via l’incitation systématique des internautes à la recherche de chanteurs ou de chansons à s’y rendre.
La mesure tendant à supprimer l’association du nom des sites litigieux auxdits chanteurs et chansons est donc de nature à prévenir (au moins partiellement) l’atteinte portée aux droits des producteurs et ayants-droits des artistes interprètes.
Une solution qui mériterait d’être appliquée à d’autres cas de suggestions de nature à accentuer les atteintes portées aux droits des tiers, telles que la contrefaçon de marques ou bien encore l’atteinte à l’image ou la vie privée de personnes célèbres.
Source :
A propos de Cass. 1ère Civ., 12 juillet 2012 (Pourvoi n°11-20358)