Google Shopping permet aux consommateurs de comparer des produits et des prix en ligne. Longtemps accusée de favoriser son propre service au détriment de ceux de ses concurrents, la firme américaine vient de se voir infliger une amende record de 2,42 milliards d’euros pour abus de position dominante.
I/ La stratégie de Google concernant son service de comparaison de prix
Lorsqu’il arrive sur le marché en 2002 – sous le nom de Froogle – plusieurs acteurs sont déjà implantés et le service n’est pas assez performant. La firme de Mountain View opte alors pour un changement de stratégie en 2008 en modifiant son algorithme de présentation des résultats, voulant bénéficier de sa place de leader sur le marché de la recherche sur internet.
Se sentant impactés par ce changement, plusieurs acteurs portent plainte contre Google devant la Commission Européenne : leurs services sont selon eux pénalisés dans les résultats de recherche (payants comme gratuits) au profit des propres services du géant du web, notamment via la présentation des résultats de ses moteurs spécialisés directement sur la première page.
En novembre 2010, la Commission européenne ouvre alors une enquête antitrust visant des allégations selon lesquelles la société Google aurait abusé d’une position dominante dans le domaine de la recherche en ligne, en violation des règles européennes et notamment de l’article 102 du TFUE et de l’article 54 de l’accord EEE.
L’enquête poursuit plusieurs objectifs :
- Savoir si Google abuse d’une position dominante sur le marché de la recherche en ligne en abaissant dans ses résultats de recherche gratuits le rang de services de recherches verticaux concurrents (ex : comparateurs de prix), tout en accordant à ses propres services ayant le même objet un placement préférentiel.
- Savoir si Google dégrade volontairement le « Score de Qualité » (facteur qui détermine le prix à payer pour l’affichage d’une publicité sur Google) de services de recherches verticaux concurrents dans ses résultats de recherche payants.
- Savoir si Google impose des clauses d’exclusivité à des partenaires publicitaires en leur interdisant de disposer certains types de publicité fournis par des concurrents sur leur site web, ainsi qu’aux fournisseurs d’ordinateurs et de logiciels, afin d’exclure des outils de recherche concurrents.
- Savoir si Google restreint la portabilité des campagnes de publicité en ligne vers des plateformes de publicité en ligne concurrentes.
S’en suivent pendant plusieurs années des échanges de courtoisie entre la Commission et Joaquin Almunia, commissaire européen chargé de la concurrence. Ce dernier ne cache pas sa préférence pour une solution passant par un accord amiable.
Le 1er novembre 2014, Margrethe Vestager remplace Joaquin Almunia. Plus offensive que son prédécesseur, elle reprend le dossier en main et fait adopter par le Parlement européen un projet de résolution relatif aux droits des consommateurs dans un marché unique du numérique. Pour faire respecter les règles européennes de la concurrence, le texte préconise notamment de scinder Google – devenu trop puissant – et de séparer ses activités de moteur de recherche de ses « services commerciaux ». Si ce texte n’a qu’une portée symbolique, il montre un changement de ton et une volonté de faire pression.
Le 15 avril 2015, la division antitrust de la Commission européenne adresse à Google une communication des griefs pour abus de position dominante au sujet de son service de comparateurs de prix. La société aurait abusé de sa position dans la recherche en ligne en favorisant Google Shopping, son propre comparateur de prix, dans les résultats de recherche.
Dernier épisode de cette saga, le 27 juin dernier, soit près de 7 ans après l’ouverture de l’enquête : la Commission affirme d’une part que Google est effectivement en position dominante et d’autre part qu’elle abuse de cette position. Margrethe Vestager annonce alors le prononcé d’une amende record de 2,42 milliards d’euros à l’encontre de la firme américaine.
A l’appui de son enquête, la Commission a eu accès à de nombreuses preuves dont :
- Des documents de Google et d’autres acteurs du marché remontant à l’époque des faits ;
- D’importants volumes de données réelles ;
- Des expériences et des enquêtes ;
- Des données financières et de trafic ;
- Une enquête de marché sur les clients et les concurrents sur les marchés en cause.
Selon la Commission, Google ne s’est pas limitée à attirer des clients en rendant son produit meilleur que celui de ses concurrents, elle a toujours accordé une position de premier plan à son propre service de comparaison de prix et a rétrogradé les services rivaux dans ses résultats de recherches.
Dès lors, Google Shopping est davantage mis en avant dans les résultats de recherche que celui de ses concurrents. En agissant de la sorte, la firme confère un avantage significatif à son service au détriment de celui de ses concurrents.
II/ La violation des règles de concurrence de l’UE
Au regard des dispositions européennes, le fait pour un acteur d’occuper une position dominante sur un marché n’est pas interdit. Il doit cependant veiller à ne pas abuser de son pouvoir de marché en restreignant la concurrence, que ce soit sur le marché où il détient une position dominante comme sur des marchés distincts, à défaut de quoi ses agissements seraient constitutifs d’un abus de position dominante.
Depuis 2008, Google occupe une position dominante sur le marché de la recherche en ligne dans tous les pays de l’Espace Economique Européen : la Commission estime que la part dépasse 90% dans la plupart d’entre eux et affirme aujourd’hui que Google a abusé de cette position sur le marché en procurant un avantage illégal à son propre service de comparaison de prix. La société a en effet accordé une place de premier plan à son propre service tout en minimisant les services de ses concurrents. Elle a ainsi étouffé la concurrence fondée sur le mérite sur les marchés de la comparaison de prix.
L’amende infligée à Google a été calculée sur la base de la valeur des recettes que Google réalise grâce à Google Shopping. La firme a désormais 3 mois pour mettre fin à cette pratique et doit immédiatement s’abstenir de tout comportement ayant un objet ou un effet similaire, sans quoi des astreintes pour manquement pouvant atteindre 5% du chiffre d’affaire mondial moyen réalisé quotidiennement par Alphabet, la maison mère de Google, pourront être prononcées.
III/ Et pour le reste ?
En 2015, la Commission annonçait ouvrir une procédure formelle d’examen distincte concernant son système d’exploitation Android pour abus de position dominante dans le secteur des systèmes d’exploitation et des applications mobiles.
Google Shopping n’est pas le seul service visé par les plaignants dans le dossier instruit par la Commission. La publicité en ligne (via Adwords et Adsense) est aussi scrutée de près. Il n’est donc pas exclu que d’autres griefs portant sur ces services soient à l’avenir émis.
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