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Enjeux du texte LOPPSI 2 pour l’e-reputation

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Afin de comprendre la portée de ce texte nous devons nous plonger dans son processus de création. Il apparait que ce texte a subi de nombreuses modifications. Ces transformations ont toujours été opérées dans la même logique : élargir son champ d’application. Ainsi, « trouble de la tranquillité » a été préféré à « nuire intentionnellement », malgré la proposition d’amendement n°34 du Député Billard.Mais surtout, la condition originelle de réitération, à été retirée du texte.

Alors que la réitération devait permettre d’identifier le caractère intentionnel de l’infraction.

On espérait ainsi éviter que le simple choix d’un pseudonyme, identique à celui d’un tiers, ne caractérise le délit.

Pourquoi avoir choisi de priver ce délit de cette limite protectrice ? L’amendement n°241 a proposé la suppression des mots: « de manière réitérée ». La raison invoquée est simple : la condition de réitération ne permet pas de sanctionner les pratiques de phishing. Le phishing (ou hameçonnage, et parfois filoutage ), est une technique utilisée par des fraudeurs pour obtenir des renseignements personnels dans le but de perpétrer une usurpation d’identité.

La technique consiste à faire croire à la victime qu’elle s’adresse à un tiers de confiance (banque, administration, etc.) afin de lui soutirer des renseignements personnels : mot de passe, numéro de carte de crédit, date de naissance, etc. L’hameçonnage peut se faire par courrier électronique, par des sites Web falsifiés ou d’autres moyens électroniques.

Dans son dernier rapport trimestriel sur le phishing, le Anti-Phishing Working Group indique avoir détecté un nouveau record : celui du nombre de sites frauduleux au niveau mondial. Il est de 56 362 en août 2009, soit 1,3 % de plus que lors du précédent record enregistré en avril 2007 (avec 55 643 sites de phishing).

Le phishing est l’escroquerie utilisant l’usurpation d’identité la plus préjudiciable financièrement. Il fallait modifier le texte pour sanctionner ces pratiques. Cependant, cette position volontairement large emporte des risques. En effet, le trouble à la tranquillité est sanctionné par un an de prison, cela pose quelques problèmes…

Le champ d’application du nouvel article 226-4-1 du code pénal couvre des comportements trop hétérogènes pour se voir appliquer le même traitement.

La création d’un profil Facebook satyrique n’est pas aussi grave qu’une opération de phishing. Téléphoner à son ex-petit ami en se faisant passer son actuelle compagne afin de créer une dispute est très différent de l’organisation d’une Fraude 4-1-9.

A l’heure actuelle, et en l’absence de précisions concernant l’application de ce texte, nous ne pouvons que craindre une application systématique d’une sanction potentiellement disproportionnée.

Internet est un univers facilitant la liberté d’expression de chacun. Sanctionner certaines pratiques peut limiter de façon importante cette liberté fondamentale.

Le risque existe, mais dans quelles proportions ?

Les aléas d’une rédaction imprécise

Les commentateurs de la LOPPSI 2, créatrice du délit d’usurpation d’identité numérique, se montrent circonspects quant à la rédaction du texte et aux implications qu’elle pourrait avoir au regard du respect de droits fondamentaux tels que la liberté d’expression.

Ainsi, un auteur souligne l’abandon de la condition de réitération qui devait permettre de caractériser l’élément intentionnel de l’infraction et rend dès lors possible de sanctionner l’usurpation d’identité dès le premier acte. En outre, la mention de l’adverbe « volontairement », proposée dans un amendement, n’a pas été retenue, ce qui laisse à penser que le simple choix d’un pseudonyme pourrait être qualifié d’usurpation l’identité d’un tiers et caractériser le délit.

En effet, beaucoup d’auteurs dénoncent ce risque d’entrave à la liberté d’expression en raison de l’imprécision de la rédaction du texte. Faut-il considérer qu’il s’agit ici de sanctionner le fait de tagger quelqu’un sur une photo, de critiquer quelqu’une sur un blog, de publier les coordonnées d’un élu sur un site? L’imprécision du texte permet d’envisager un champ d’application large qui pourrait remettre en cause certains piliers de la liberté d’expression, notamment en ce qu’il vise les données de toute nature permettant d’identifier un tiers, et pas seulement son identité.

Reporters Sans Frontière s’est ainsi inquiété de ce qu’il pourrait advenir de la création de profils satiriques de personnalités connues. Sur ce point, Monsieur Nicolas Poirier, Directeur juridique de Wikio Group, a regretté que cet article ne prévoie pas l’exception de parodie, de satire car les faux profils et blogs identifiés comme tels sont fréquents sur internet et leur intérêt n’est pas contestable. Des parodies comme « La chronique de Carla » du Canard Enchaîné seront-elles désormais illégales ?

De nombreux auteurs estiment aussi que l’expression « données de toute nature » contenue dans le texte mais sans pour autant y être définie est susceptible de menacer la liberté de la presse et la liberté d’expression qui sont des droits fondamentaux.

Enfin, les commentateurs s’interrogent sur la lettre du nouvel article 226-4-1 du Code pénal qui incrimine l’usurpation d’identité en vue de porter atteinte à l’honneur ou à la considération du tiers usurpé.

Ils le mettent en perspective avec l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui sanctionne le délit de diffamation, c’est-à-dire « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé ».

Or, certains auteurs se demandent si le nouveau délit d’usurpation d’identité numérique ne va pas permettre de sanctionner d’une peine différente le fait de porter atteinte à l’honneur et à la considération d’une personne du seul fait de l’utilisation de son identité ou de ses données personnelles.

En effet, la lettre du texte laisse supposer que cette incrimination pourrait servir à qualifier des actes de diffamation sur internet et par voie de conséquence à étendre le délai de prescription des délits de presse puisque le délit d’usurpation d’identité numérique du nouvel article 226-4-1 du Codé pénal est soumis à la prescription de droit commun de trois ans de l’article 8 du Code de Procédure pénale.

Il est donc permis de s’interroger sur l’évolution de la liberté d’expression et de la liberté de la presse dans ces conditions.

Par conséquent, il appartiendra au juge d’élaborer une jurisprudence permettant de donner une définition prétorienne de l’identité numérique et de ciseler les contours de l’application de ce nouvel article 226-4-1 du Code pénal, dans le respect des libertés fondamentales.

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