Par Paul BENELLI et Marine BONNEAUD
A l’ère du numérique, il peut paraître tentant de créer des plateformes proposant des solutions d’investissement en ligne. Peuvent ainsi être proposés de l’investissement dans des start-up, ou des solutions d’épargne consistant à acheter des produits dont la valeur pourrait augmenter (art, livres anciens, diamants, énergies renouvelables…).
Cependant, internet représente dans ce secteur autant d’opportunités que de risques.
En effet, l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) veille attentivement à ce que la réglementation en la matière soit respectée. Certains reportages (spécial investigation « Artistophil – A la recherche des manuscrits perdus) mais aussi les dernières décisions de l’AMF (Décision de la Commission des sanctions du 23 juillet 2013 à l’égard de la société Solabios concernant des installations photovoltaïques ; Décision de la Commission des sanctions du 20 mai 2015 à l’égard des sociétés Eliaxis Conseil et autres en matière de produits financiers ; Décision de la Commission des sanctions du 7 Avril 2014 dite « Marble Art » en matière de produits d’art ) ont publiquement démontré que le risque de poursuites et de sanctions était réel pour les acteurs souhaitant se lancer sur ce marché.
L’AMF, qui dispose à la fois d’un pouvoir d’enquête et de sanction, veille au respect des règles dans ce domaine, y compris sur internet. Elle peut ainsi, à tout moment, contrôler l’activité de ces acteurs, notamment en vérifiant le discours commercial employé au téléphone, ou en auditant le site internet ainsi que l’ensemble des communications commerciales.
Au-delà de ces contrôles extérieurs, l’Autorité peut adresser un courrier à la société contrôlée dont elle observe l’activité afin d’obtenir des précisions et des éléments lui permettant de parfaire son analyse. La société contrôlée ne pouvant sans risques se soustraire à ce contrôle et aux demandes de communication de documents correspondantes, il est extrêmement important d’être informé(e) de la législation en vigueur et de se mettre en conformité avec celle-ci.
Le sentiment d’immunité est d’autant plus trompeur que l’AMF n’est pas tenue par les qualifications juridiques que s’attribuent eux-mêmes les acteurs. Ainsi, dans le cadre d’un contrôle, celle-ci peut demander à la société contrôlée de lui fournir son analyse sur sa propre qualification juridique. Néanmoins, l’AMF ne sera pas tenue par la qualification donnée par la société contrôlée. Il est donc très important à ce stade du contrôle de fournir une analyse juridique la plus pertinente possible pour éviter de se voir imposer un régime juridique trop répressif.
En cas d’inobservation de ces règles, l’AMF peut prononcer des sanctions disciplinaires (blâme, avertissement, interdiction d’exercice), voire financières, pour une somme maximale de 100 millions d’euros[1].
A quelles activités règlementées la proposition de solutions d’investissement en ligne peut-elle correspondre ? Et surtout, quels sont les principaux risques encourus en cas de requalification par l’AMF ?
1/ L’offre au public de titres financiers
Certaines sociétés présentes sur internet offrent d’acheter des parts de société présentant un intérêt pour des investisseurs (start-up, sociétés à risques présentant des perspectives de croissance, jeunes sociétés se déployant dans des marchés d’avenir, société d’investissement) ou d’autres titres de capitaux.
Or, les titres de capitaux de sociétés, titres de créances ainsi que les parts ou actions d’organismes de placement collectif sont, d’un point de vue juridique, des titres financiers[2].
Ainsi, toute communication susceptible de mettre un investisseur en mesure de décider d’acheter ou de souscrire à ces titres[3] est susceptible d’être considérée comme une offre au public de titres financiers.
Une telle offre ne peut être faite que par une société ayant reçu un agrément adéquat. De plus, le support de présentation de ce titre « financier » doit nécessairement être validé par l’AMF[4].
Afin d’échapper à ces contraintes, les produits proposés doivent présenter un enjeu limité, par exemple du fait de leur montant, de leur destinataire (un groupe restreint d’investisseurs), de leur durée ou de l’identité de l’émetteur[5].
LES RISQUES ENCOURUS EN CAS DE CONTROLE :
Une activité considérée comme une offre au public de titres financiers non autorisée peut être sanctionnée par une sanction pouvant aller jusqu’à 3 ans d’emprisonnement et 375.000 euros d’amende pour les personnes physiques[6], l’amende étant multipliée par 5 pour les personnes morales[7]. A cela peut notamment s’ajouter la fermeture contrainte de l’établissement fautif pour une durée maximale de 5 ans.
De plus, tous les contrats de vente de titres passés en violation de la législation peuvent être annulés rétroactivement.
Quant aux sanctions administratives, l’AMF a par exemple prononcé à l’encontre de la société Arkeon Finance une amende de 100.000 euros dans une décision rendue publique (AMF Sanct. 6 août 2012). L’Autorité a en effet considéré que la communication de la société constituait une offre au public au sens de l’article L. 411-1 du Code Monétaire et financier, pris dans son ancienne rédaction, et qu’elle n’entrait pas dans le champ des exceptions.
Il convient donc de ne pas prendre à la légère cette législation et de faire procéder avant tout contrôle à une analyse de sa société et de ses offres.
2/ Les fonds d’investissements alternatifs (FIA)
A l’heure où des fonds très importants, tant publics que privés, sont débloqués pour galvaniser l’économie française et favoriser l’essor de jeunes sociétés, de nombreux acteurs sont tentés de réunir de potentiels investisseurs, ou de créer des « véhicules » pouvant investir les fonds mis en commun.
Or une telle activité est rigoureusement encadrée.
Ainsi, si la société ne poursuit pas d’objet industriel ou commercial général mais que son activité consiste dans la mutualisation de capitaux en vue de générer un rendement collectif, il pourrait s’agir, d’un point de vue juridique, d’un fonds d’investissement (ou d’un organisme de placement collectif).
Les fonds d’investissement qui ne sont pas considérés comme tels du fait de leur nature peuvent être considérés comme des fonds d’investissement alternatif (FIA). Les FIA ont pour particularité de lever des capitaux auprès de plusieurs investisseurs en vue de les investir dans leur intérêt, conformément à une politique d’investissement qu’ils définissent pour obtenir un rendement collectif[8].
Le créateur ou gérant d’une société pouvant revêtir la qualification de FIA n’a pas nécessairement conscience de cette qualification, mais il est pourtant soumis à la régulation de l’AMF.
Afin de qualifier une activité de FIA, l’AMF s’appuie sur différents indices, et notamment :
- Les contrats liant la société et ses clients ;
- La nature des biens commercialisés et leur mode de gestion ;
- La nature des activités de la société ;
- Le montage juridique sur lequel repose l’activité.
LES RISQUES ENCOURUS EN CAS DE REQUALIFICATION :
Toute société, pour gérer un FIA, ou tout acteur souhaitant créer un tel fonds doit préalablement soit obtenir un agrément de l’AMF, soit respecter un cadre réglementaire strict assorti de contrôle a posteriori. De la même façon que pour l’offre au public de titres financiers, le non-respect des règles applicables aux FIA est sanctionné de peines pouvant aller jusqu’à 3 ans d’emprisonnement et 375.000 euros d’amende[9], l’amende étant multipliée par 5 pour les personnes morales[10] qui peuvent également voir prononcée à leur encore une interdiction d’exercice provisoire.
Ces sanctions de nature pénale ne doivent pas être prises à la légère, ce d’autant plus qu’elles peuvent être rendues publiques et ainsi causer un lourd préjudice d’image à la société qui les subit[11].
3/ Intermédiaire en biens divers
Enfin, et c’est là une des opportunités offertes par le e-commerce, il est désormais possible de proposer à la vente des produits dits d’investissement et en l’occurrence des biens matériels pouvant présenter à la revente, à moyen terme, une plus-value intéressante. C’est le cas notamment de certaines pierres (précieuses ou non précieuses) d’antiquités, d’œuvres d’art, ou encore de biens de « collection ».
Si cette activité peut sembler des plus normales, elle est en fait de plus en plus réglementée, à mesure qu’elle donne lieu à des abus (AMF SAN 2014-02 publiée le 8 avril 2014 (dite « Marble art ») ; AMF SAN 2013-17 (dite « Solabios »)).
En effet, les sociétés dédiant leur activité à ce type de ventes pouvant offrir une perspective de plus-value plus ou moins certaine sont susceptibles d’être considérées comme des « intermédiaires en biens divers », qui font l’objet de multiples contrôles de la part de l’AMF (pour en savoir plus, consultez l’article Placements atypiques, intermédiaires en biens divers : l’AMF veille ![12]).
Les intermédiaires en bien divers peuvent être soumis à deux régimes distincts.
Le premier régime est le régime « normal » du I de l’article L.550-1 du CMF. Il est réservé aux sociétés qui proposent directement ou indirectement, à titre habituel, à un ou plusieurs clients, d’acquérir des droits sur des biens mobiliers ou immobiliers.
Lorsque ces sociétés proposent d’assurer elles-mêmes la gestion des biens achetés et offrent une faculté d’échange ou reprise et la revalorisation du capital investi, elles peuvent se voir appliquer ce régime. Par extension, ce régime « normal » peut aussi être appliqué aux personnes qui recueillent des fonds à cette fin et celles qui se chargent de la gestion desdits biens[13].
Le second régime, prévu au II de l’article L.550-1 du CMF, est dit « allégé ». Il est réservé aux sociétés qui proposent à un ou plusieurs clients ou clients potentiels d’acquérir des droits sur un ou plusieurs biens en mettant en avant la possibilité d’un rendement financier direct ou indirect ».
Ce critère de rattachement (le fait de vendre des biens en mettant en avant la possibilité d’un rendement financier) est extrêmement large et permet aux autorités de contrôle de soumettre à ce régime juridique un maximum d’acteurs.
Or le régime « allégé » appliqué aux intermédiaires en biens divers consiste en un contrôle a posteriori des communications commerciales (CGV, brochure, site internet…)[14] et le respect d’une communication claire, loyale et transparente mentionnant notamment clairement les risques inhérents à ce type d’investissement (caractère aléatoire du rendement, illiquidité des capitaux investis, difficultés de revente,…).
LES RISQUES ENCOURUS EN CAS DE CONTROLE :
Le régime « normal », particulièrement lourd, implique notamment la forme de société anonyme, avec un capital minimum et une parfaite transparence des comptes, certifiés annuellement.
Le non-respect de ces obligations fait l’objet de sanctions pénales qui peuvent s’élever à 5 ans d’emprisonnement et 18.000 euros d’amende[15].
Au titre de sanction administrative, l’AMF a prononcé des amendes allant de 4.500 euros à 1 millions d’euros dans l’affaire Marble Art Invest (AMF Sanct. 7 Avr. 2014), considérant que la réglementation relative aux intermédiaires en biens divers s’appliquait à presque tous les acteurs de ce réseau de vente d’art contemporain qui mettait en avant une plus-value garantie d’au moins 4%.
Le régime allégé : des publicités jugées trompeuses, faute de transparence ou d’information suffisante sur les risques encourus, sont passibles de deux ans de prison et d’une amende de 300 000 euros[16]. Les personnes morales déclarées responsables pénalement encourent en outre une amende de 1.500.000 euros[17].
Ainsi, si internet ouvre de larges perspectives en termes d’investissement, les professionnels qui s’y lancent ne bénéficient d’aucune exemption ou immunité juridique. Les risques encourus sont d’autant plus lourds que les définitions sont subtiles, et les limites floues.
Pour éviter ces écueils, le Cabinet HAAS vous accompagne à la fois en amont, en réalisant des audits de conformité, ou en élaborant l’architecture contractuelle de votre activité et en aval, dans le contentieux règlementaire initié par l’AMF ou après réception d’un courrier de sa part.
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[1] Article 621-15 du CMF
[2] Article L 211-1 du Code monétaire et financier
[3] Article L 411-1 du Code monétaire et financier
[4] Article 1841 du Code civil
[5] Article L411-2 du Code monétaire et financier
[6] Article L.573-1 du Code monétaire et financier
[7] Article 573-7 CMF et article 131-38 du Code pénal
[8] Article 214-24 du Code monétaire et financier
[9] Article 573-1 du Code monétaire et financier
[10] Article 573-7 CMF et article 131-38 du Code pénal
[11] Article 621-15 V. CMF
[12] https://www.haas-avocats.com/ecommerce/placements-atypiques-intermediaires-biens-divers-lamf-veille/
[13] Article 550-1 du Code monétaire et financier
[14] Article 550-1 II du Code monétaire et financier
[15] Article 573-8 du Code monétaire et financier
[16] Article L. 121-1 du Code de la consommation
[17] Article 131-39 du Code pénal