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Recevabilité des propos enregistrés à l’insu de l’émetteur : la Cour d’appel de Paris ne l’entend pas de cette oreille

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L’affaire dure depuis plus de dix ans et ne va sûrement pas s’arrêter avec la décision de la Cour d’appel de Paris du 29 avril 2009. La question posée au juge est de savoir si des propos enregistrés à l’insu de leur émetteur sont recevables à titre de preuve … devant le conseil de la concurrence. On est donc loin des méandres médiatiques occasionnés par les aveux de Jean-Louis Turquin enregistrés à son insu par son épouse dans l’affaire qui défraya la chronique dans les années 90.
Les avancées dans la présente affaire n’en restent pas moins très importantes notamment quant à la procédure devant le Conseil de la concurrence et quant à l’interprétation du fameux article 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Pour comprendre toutes ces problématiques et les solutions apportées au fur et à mesure de cette cacophonie judiciaire, il convient de commencer par reprendre les faits.Une SARL, détaillant en produits électroménagers, a conclu un contrat de distribution agréé avec un fabricant de matériels hi-fi, à la fin de l’année 1997. Le distributeur s’est alors lancé dans une campagne de publicité par voie de presse annonçant des prix entre 15 % et 30 % inférieurs aux prix publics indiqué par les centrales d’achat.
Les centrales d’achat, les autres distributeurs et les fabricants n’ont pas vu pas cela d’un bon œil et ont commencé alors, pour le détaillant, une série d’incidents fâcheux : refus ou retards de livraison, refus d’ouverture de compte ou de transmission de documents… C’est dans ce contexte que la SARL saisissait le Conseil de la concurrence.
Le Conseil de la concurrence a rendu sa décision le 5 décembre 2005 et a condamné les trois plus gros fabricants hi-fi de l’époque à de lourdes sanctions pécuniaires (plus de 34 millions d’euros cumulés) sur le fondement du non respect de l’article L420-1 du Code de commerce.
L’autorité de régulation de la concurrence a retenu comme moyen de preuve un enregistrement sonore de conversations tenues entre les représentants des fournisseurs et celui de la SARL distributrice dans lesquels ils avouaient certaines pratiques condamnables.
Les distributeurs ont alors interjeté appel devant la Cour d’appel de Paris, leurs avocats arguant du fait que les enregistrements versés au débat devant le Conseil de la concurrence « avaient été obtenus de façon déloyale pour avoir été recueillis à l’insu des interlocuteurs ». L’argument s’appuyait ainsi sur le principe général de loyauté de la preuve.
La Cour a répondu dans un long considérant que les enregistrements étaient recevables pour trois raisons cumulatives :
– Aucun texte ne règlemente la production des preuves pour les procédures fondées sur les articles L 420-1 et L420-2 du Code de commerce ;
– Le Conseil de la concurrence bénéficie d’une autonomie procédurale tant à l’égard du droit judiciaire privé national qu’à l’égard du droit communautaire ;
– Les enregistrements ont été soumis à la contradiction.
Les sociétés fabricantes d’électroménagers ne se sont pas contentées de cette réponse et se sont pourvues en cassation. La Haute Juridiction a répondu avec le laconisme qu’on lui connaît, dans un arrêt du 3 juin 2008, au visa de l’article 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, que « l’enregistrement d’une communication téléphonique réalisé par une partie à l’insu de l’auteur des propos tenus constitue un procédé déloyal rendant irrecevable sa production à titre de preuve ».
S’en suivait logiquement une cassation de l’arrêt de la Cour de l’appel de Paris et le renvoi de l’affaire devant la même cour autrement constituée. A ce moment là, l’affaire semblait pliée et leur sort des parties scellé.
Cependant, la Cour d’appel de Paris a décidé de rentrer en voie de résistance et s’est opposé fermement à la Cour de cassation. Dans son arrêt du 29 avril dernier, elle s’est même permise de donner un cours de droit aux juges qui l’avaient précédemment sanctionnée. En effet, les juges du fond parisiens exposaient que l’article 6§1 de la CEDH : « n’emporte en lui-même aucune conséquence quant à l’admissibilité des preuves, qui demeure régie par le droit national, mais exige seulement que la procédure, prise dans son ensemble, garantisse un procès équitable. »
Cette affirmation a permis à la Cour d’appel de renvoi de valider une nouvelle fois la procédure suivie par le Conseil de la concurrence et de reconnaître la recevabilité des enregistrements de conversation à l’insu de leurs émetteurs pour cette procédure spécifique. Encore faut-il que les règles du contradictoire et la vie privée des personnes soient respectées.
Nul doute que la sécurité juridique gagnerait à voir cette question tranchée par l’assemblée plénière de la Cour de cassation d’autant que les progrès techniques permettent de capter des vidéos et des conversations à l’insu des personnes de plus en plus facilement.

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