01 56 43 68 80

6, rue de Saint-Petersbourg, 75008 Paris

L’indemnisation en matière de contrefaçon de droits d’auteur

contrefaçon oeuvre auteur haas avocats

La Cour de Justice de l’Union Européenne, saisie d’une question préjudicielle par le Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne), a tranché dans un arrêt du 17 mars 2016 une difficulté d’interprétation en matière d’évaluation du préjudice lié à la contrefaçon de droits d’auteur.

L’évaluation du préjudice représente un enjeu important dans de nombreux contentieux, notamment en vertu du principe de la réparation intégrale.

Ce principe trouve son fondement dans l’article 1382 du code civil aux termes duquel « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. »

La jurisprudence en a déduit une stricte équivalence entre la réparation et le dommage, excluant toute idée de sanction et de profit.

Ainsi, au contraire des Etats Unis où est permise l’allocation de dommages et intérêts punitifs pouvant parfois s’élever à plusieurs millions de Dollars, il est nécessaire en France, pour obtenir d’un juge la condamnation de son adversaire à de telles sommes, d’apporter la preuve qu’elles correspondent au préjudice réellement subi.

Le principe de réparation intégrale figure également dans certaines dispositions du droit de l’Union Européenne, notamment en matière de droit d’auteur.

En effet, l’article 13 de la directive 2004/48/CE du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle dispose « Les États membres veillent à ce que, à la demande de la partie lésée, les autorités judiciaires compétentes ordonnent au contrevenant (…) de verser au titulaire du droit des dommages-intérêts adaptés au préjudice que celui-ci a réellement subi du fait de l’atteinte. »

Ainsi les dommages et intérêts alloués doivent prendre en compte les « conséquences économiques négatives, notamment le manque à gagner, subies par la partie lésée, les bénéfices injustement réalisés par le contrevenant et, dans des cas appropriés, des éléments autres que des facteurs économiques, comme le préjudice moral causé au titulaire du droit du fait de l’atteinte »

Toutefois, afin de faciliter l’évaluation du montant des dommages intérêts, le même article permet à l’autorité judiciaire, à titre d’alternative, de fixer « un montant forfaitaire de dommages-intérêts, sur la base d’éléments tels que, au moins, le montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrevenant avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit de propriété intellectuelle en question. »

En droit français, cette possibilité se trouve transposée au dernier alinéa de l’article L331-1-3 du Code de la propriété Intellectuelle, dans les termes suivants : « la juridiction peut, à titre d’alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l’auteur de l’atteinte avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il a porté atteinte. »

L’article a été complété par la loi du 11 mars 2014 renforçant la lutte contre la contrefaçon qui ajouté la phrase suivante : « Cette somme n’est pas exclusive de l’indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée. »

L’évaluation sur la base du montant des redevances qui auraient dû être perçus est une alternative intéressante, car elle dispense l’auteur de rapporter la preuve de l’étendue de son préjudice réel et évite ainsi d’avoir à appuyer son argumentation par des expertises financières couteuses, ou au contraire d’évaluer de manière grossière le montant du préjudice, laissant dans ce cas au juge une importante marge d’appréciation.

Néanmoins, le droit espagnol, dont il était question en l’espèce, n’apporte pas autant de précisions que le droit français.

En effet, l’article 140 de la loi sur la propriété est ainsi rédigé : « L’indemnisation pour les dommages et préjudices est fixée, au choix de la personne lésée, conformément à l’un des critères suivants: (…)  b) Le montant que la personne lésée aurait perçu à titre de rémunération, si le contrevenant avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit de propriété intellectuelle en question.»

Se posait ainsi la question de savoir si lorsque l’on succombe au charme de cette alternative, le revers de la médaille n’est pas de priver l’auteur de toute indemnisation au titre d’un préjudice moral.

En l’espèce, le réalisateur, le scénariste et le producteur de l’œuvre audiovisuelle intitulée Dos patrias, Cuba y la noche (Deux patries, Cuba et la nuit), qui raconte six histoires personnelles et intimes de divers habitants de La Havane (Cuba) ayant pour point commun le choix homosexuel ou transsexuel des personnes concernées, reprochait à la société MediaSet, propriétaire de la chaine Telecinco, d’avoir diffusé sans son autorisation des passages de son œuvre au sein d’un documentaire audiovisuel sur la prostitution infantile à Cuba.

Se basant sur les dispositions de la loi espagnole précitées et sur les tarifs de l’Organisme de gestion des droits des producteurs audiovisuels (Entidad de Gestión de Derechos de los Productores Audiovisuales), le réalisateur demandait à la chaine de lui verser 6.740 euros en réparation de son préjudice matériel.

Il demandait en outre 10.000 euros au titre du préjudice moral.

Après une victoire partielle en première instance, puis le rejet total de l’indemnisation du préjudice moral en appel, le réalisateur s’est pourvu devant la Cour suprême espagnole (Tribunal Supremo).

Cette dernière a décidé de surseoir à statuer et a posé à la CJUE la question préjudicielle suivante :

« L’article 13, paragraphe 1, de la directive 2004/48 peut-il être interprété en ce sens qu’il ne permet pas à la personne lésée par une infraction au droit de la propriété intellectuelle, qui réclame une indemnisation du dommage patrimonial calculée sur la base du montant des redevances ou droits qui lui seraient dus si le contrevenant avait demandé une autorisation d’utiliser le droit de propriété intellectuelle en cause, de réclamer de surcroît l’indemnisation du préjudice moral causé

La CJUE répond par la négative sur la base de plusieurs éléments :

  • La présence des termes « au moins » au sein de l’article 13 de la directive permet d’inclure dans le montant forfaitaire d’autres éléments, tels que, le cas échéant, l’indemnisation du préjudice moral causé au titulaire de ce droit.
  •  L’article 13 de la directive met en avant l’objectif d’allouer au titulaire du droit de propriété intellectuelle lésé des dommages intérêts adaptés au préjudice qu’il a réellement subi.
  • Les objectifs poursuivis par la directive, énoncés au sein des considérants 10, 17 et 26, sont d’assurer un niveau de protection élevé, équivalent et homogène de la propriété intellectuelle dans le marché intérieur. Les procédures de réparation doivent tenir compte des caractéristiques spécifiques de chaque cas.

En conclusion, lorsqu’un auteur base l’évaluation de son préjudice sur le montant des redevances qu’il aurait dû percevoir, afin d’obtenir du juge des dommages-intérêts évalués forfaitairement, comme le permet la directive et les dispositions nationales précitées, il a la possibilité de réclamer également la réparation de son préjudice moral.

Cette solution est conforme à l’objectif d’un niveau de protection élevé des droits d’auteurs, mais aussi à l’idée que l’évaluation forfaitaire correspond à la réparation du préjudice matériel subi par l’auteur, le préjudice moral en étant indépendant.

En France, cette solution avait été anticipée par le législateur à l’occasion du renforcement de la lutte contre la contrefaçon. En outre, cette solution n’est pas spécifique au droit d’auteur. En effet, la formulation de l’article L331-1-3 précité est reprise à propos d’autres droits de propriété intellectuelle, notamment en matière de marques à  l’article L716-14 du CPI.

Il n’en demeure pas moins que l’évaluation du préjudice représente un enjeu stratégique capital à l’occasion d’un litige, en particulier en matière de contrefaçon, qui nécessite d’être accompagné par des spécialistes.

Vous souhaitez en savoir plus ?

Cliquez ICI

ENVELOPPE NEWSLETTER copie

L'actu juridique numérique
du mardi matin.

Inscrivez-vous pour recevoir nos derniers articles, podcasts, vidéos et invitations aux webinars juridiques.

*Champs requis. Le cabinet HAAS Avocats traite votre adresse e-mail pour vous envoyer ses newsletters.

Vous pouvez accéder aux données vous concernant, les rectifier, demander leur effacement ou exercer votre droit à la limitation du traitement de vos données en nous contact à l’adresse mail suivante : dpo@haas-avocats.com