Rythmée par la conclusion de contrats d’exploitation, la vie d’un brevet n’est pas toujours de tout repos…encore plus lorsqu’il est tiraillé entre ses deux copropriétaires…C’est ce que rappelle un intéressant arrêt de la Cour d’Appel de Paris du 09 septembre 2009 ((Cour d’Appel de Paris, Pôle 5 Chambre 1, 09 septembre 2009 RG 07/19139)) .
En 1998, un brevet est déposé en copropriété au nom d’une personne physique et d’un Institut Scientifique très renommé. Or, ce dernier signe une concession de licence exclusive au bénéfice d’une société tierce sans l’accord préalable du copropriétaire.
S’estimant lésé dans ses droits, celui-ci assigne l’Institut Scientifique ainsi que la société tierce aux fins de voir suspendre l’exécution de la licence, et percevoir des dommages et intérêts à titre de réparation des préjudices subis.
L’ensemble de ces prétentions a été légitimement accueilli par les juges de première ((Tribunal de Grande Instance de Paris, Jugement du 26 septembre 2007 RG No 04/06023)) et seconde instances, en faisant une parfaite application de l’article L.613.29 du Code de la Propriété Intellectuelle ((L’article L.613-29 d du Code de la Propriété Intellectuelle énonce en des termes dénués de toute ambiguïté qu’«une licence d’exploitation exclusive ne peut être accordée qu’avec l’accord de tous les copropriétaires ou par autorisation de justice.»)) qui prévoit l’inopposabilité de la licence exclusive à défaut d’unanimité des deux propriétaires sur la conclusion de la concession.
En effet, alors même que la commercialisation d’un brevet peut être le fait de son ou ses propriétaire(s), son exploitation peut également être confiée à des tiers par l’octroi d’un contrat de licence.
Contrairement à l’hypothèse d’une concession non exclusive, ((L’article L613-29 c du Code de la Propriété Intellectuelle «Chacun des copropriétaires peut concéder à un tiers une licence d’exploitation non exclusive à son profit, sauf à indemniser équitablement les autres copropriétaires qui n’exploitent pas personnellement l’invention ou qui n’ont pas concédé de licence d’exploitation. A défaut d’accord amiable, cette indemnité est fixée par le tribunal de grande instance.»)) conclure une licence au profit exclusif d’un tiers impose que soit recueillie l’unanimité au sein de la copropriété. Cette disposition a été mise en place pour parer à deux inconvénients majeurs : d’une part, permettre l’exploitation d’un brevet que les copropriétaires seraient dans l’impossibilité d’assurer ; d’autre part, éviter la concurrence d’exploitations multiples perçues comme préjudiciables.
En l’espèce, la concession ayant été conclue sans accord préalable de l’un des copropriétaires, elle lui est nécessairement inopposable. Dès lors, c’est à juste titre que la Cour d’Appel a estimé que l’ensemble des actes commis par le licencié était constitutif d’actes de contrefaçon au titre de l’article L.615-1 ((L’article L615-1 du Code de la Propriété Intellectuelle «Toute atteinte portée aux droits du propriétaire du brevet, tels qu’ils sont définis aux articles L. 613-3 à L. 613-6, constitue une contrefaçon.
La contrefaçon engage la responsabilité civile de son auteur.
Toutefois, l’offre, la mise dans le commerce, l’utilisation, la détention en vue de l’utilisation ou la mise dans le commerce d’un produit contrefaisant, lorsque ces faits sont commis par une autre personne que le fabricant du produit contrefaisant, n’engagent la responsabilité de leur auteur que si les faits ont été commis en connaissance de cause.»)) et suivants du Code de la Propriété Intellectuelle.
Reste donc sans effet, le moyen selon lequel l’Institut avait un mandat apparent pour engager la copropriété, le licencié évincé ayant eu connaissance, par le fait du courrier d’un tiers, de l’existence d’un autre copropriétaire antérieurement à la conclusion de la licence litigieuse
De même, l’Institut ne peut utilement invoquer la clause d’éviction prévue au contrat, le vice provenant de l’irrégularité intrinsèque de la concession et non de l’action du copropriétaire tendant à faire respecter ses droits.
En conséquence, le copropriétaire mal intentionné devra garantir le licencié des conséquences résultant pour elle de l’impossibilité d’exploiter la licence concédée.
Sources :
-Cour d’Appel de Paris, Pôle 5 Chambre 1, 09 septembre 2009 RG 07/19139
-Tribunal de Grande Instance de Paris, Jugement du 26 septembre 2007 RG No 04/06023