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Application de l'article 145 du Code de procédure civile : le respect de la vie privée du salarié et le secret des affaires ne sont pas des obstacles

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Dans un arrêt en date du 19 décembre 2012, la chambre sociale de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par un employeur à l’encontre de la décision d’une Cour d’appel lui ordonnant de communiquer des éléments d’information portant sur certains de ses salariés sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure Civile (CPC).

Rappelons que cet article permet aux magistrats de prescrire des mesures d’instruction visant la conservation ou l’établissement de toute preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige. Elles sont dites in futurum puisqu’elles sont ordonnées « avant tout procès », c’est-à-dire avant qu’une action judiciaire au fond ne soit introduite.

Dans notre cas, deux salariées, chargées de réalisation audio, vont se fonder sur l’article 145 du CPC pour demander communication par leur employeur de documents à même de prouver la discrimination salariale dont elles s’estimaient victimes. Elles soutenaient que certains collègues placés dans une situation identique percevaient une rémunération plus importante et étaient placés dans une catégorie supérieure.

Le conflit est porté jusqu’en appel où la Cour d’appel de Paris, dans deux arrêts en date du 20 mai 2010, enjoint l’employeur de communiquer aux salariées :

  • les contrats de travail,
  • les bulletins de salaire,
  • le montant des primes de douze salariés de la société,
  • les tableaux d’avancement et de promotion des chargés de réalisation.

L’employeur conteste l’arrêt d’appel et invoque les deux moyens suivants:

– le premier, il est reproché à l’arrêt d’avoir ordonné des mesures non pas pour établir une preuve dont pourrait dépendre la solution du litige, comme énoncé par l’article 145 du CPC, mais pour établir « une preuve nécessaire à l’introduction même de l’instance » ;

– le second, l’employeur soutenait que toute mesure ordonnant, avant toute procédure au fond, la communication des documents précités porte atteinte à la vie privée des salariés et au secret des affaires.

Toutefois, la Cour de cassation rejette le pourvoi rappelant que la procédure prévue à l’article 145 du CPC n’est pas limitée à la conservation de preuve. Elle peut aussi tendre à leur établissement.

Cette notion renvoie à la recherche de preuves et peut prendre différents formes comme par exemple une mesure d’expertise (la plus courante) ou la production de documents détenus par des tiers. Or, le raisonnement tenu ici par l’employeur aurait eu pour conséquence de mettre les salariés dans l’impossibilité de faire établir des preuves. Il était donc contraire à l’article 145 CPC. Enfin signalons que sur ce point, la jurisprudence de la Cour est uniforme puisque la deuxième chambre civile s’était déjà prononcée dans le même sens dans un arrêt du 6 novembre 2008.

Cependant, les mesures ne peuvent être ordonnées que si :

– elles permettent de protéger les droits de la partie qui les sollicitent ;

– il est rapporté un motif légitime.

En l’espèce, les conditions étaient rassemblées. En effet, seul l’employeur était en possession de documents permettant d’établir une éventuelle discrimination, documents qui étaient nécessaires à la protection des droits des demanderesses.
Sur le deuxième moyen du pourvoi, les juges énoncent que « le respect de la vie personnelle des salariés et le secret des affaires ne constituent pas en eux-mêmes un obstacle à l’application des dispositions de l’article 145 du CPC ».

Concernant le secret des affaires, la Cour avait déjà considéré que ce principe ne s’opposait pas en lui-même à l’application de l’article 145 du CPC (Civ. 2e, 7 janvier 1999, n° 95-21.934).

Sur le respect de la vie privée, la jurisprudence est moins tranchée. La chambre sociale considère que le respect de la vie personnelle du salarié ne constitue pas un obstacle à l’application des dispositions de l’article 145 du CPC depuis un arrêt de 2007 (Soc., 23 mai 2007, n° 05-17.818). La deuxième chambre civile de la Cour de cassation a quant à elle décidé que «nul ne peut être contraint à produire en justice des documents relatifs à des faits dont il a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions et touchant à l’intimité de la personne » (Civ. 2, 29 mars 1989, n° 88-10.336). Cette apparente contradiction pourrait pousser la Cour de cassation à se réunir en chambre mixte afin d’harmoniser sa jurisprudence.

En tout état de cause, cet arrêt vient rappeler que l’article 145 du Code de procédure civile est un puissant outil de protection et de conservation de la preuve et ce, avant même l’introduction au fond de toute instance. Il convient donc de ne pas négliger cet article pour renforcer un dossier et ainsi légitimer son action en justice par la suite. Sa mise en œuvre reste cependant délicate et nécessite l’appréhension d’un professionnel du droit avant toute action.

Sources :

Civ. 2e, 7 janvier 1999 n° 95-21.934;
Soc., 23 mai 2007, n° 05-17.818 ;
Civ. 2, 6 nov. 2008, n° 07-17.398 ;
Civ. 2, 29 mars 1989, n° 88-10.336 ;
Soc. 19 dec. 2012, pourvois n° 10-20.526 et 10-20.528 ;

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