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Internet à l’épreuve de la distribution sélective

distribution sélective

Les précisions de l’Avocat Général de la CJUE dans l’Affaire « Pierre Fabre ».

L’e-commerce étant devenu un canal de distribution incontournable pour les fabricants (et ce quelque soit leur domaine d’activité), on assiste aujourd’hui à des grandes manœuvres de la part des acteurs économiques de différents secteurs (c’est particulièrement vrai depuis plusieurs dans le domaine de l’électroménager) pour tenter de contrôler les parts de marchés de leurs « distributeurs » historiques et de profiter de cette nouvelle économie.

Ainsi, de nouveaux réseaux de distribution sélective fleurissent tous azimuts et les critères de sélection imposés tendent souvent à rendre la vie difficile aux pure players, voire aux bricks and clicks (cf. cas d’espèce).

L’affaire soumise à l’examen de la CJUE et de son avocat général remonte à 2008 ; date à laquelle la société Pierre Fabre s’était fait condamnée par le Conseil de la Concurrence sur le fondement de l’article L. 420-1 du Code de commerce et de l’article 81 CE pour avoir inséré dans ses contrats de distribution sélective une obligation imposant à ces distributeurs de ne vendre ses gammes de produits cosmétiques et d’hygiène corporelle que dans des lieux de vente physique en présence d’un pharmacien diplômé, excluant de facto toute possibilité de vente sur Internet.

La cour d’appel saisie d’un recours en annulation

La Cour d’appel de Paris, saisie par la société Pierre Fabre d’un recours en annulation de la décision du Conseil de la Concurrence, a à son tour saisi la CJCE (devenue depuis CJUE) de la question préjudicielle suivante :

« L’interdiction générale et absolue de vendre sur Internet les produits contractuels aux utilisateurs finals imposée aux distributeurs agréés dans le cadre d’un réseau de distribution sélective constitue-t-elle effectivement une restriction caractérisée de la concurrence par objet au sens de l’article 81, paragraphe 1, du traité CE échappant à l’exemption par catégorie prévue par le règlement n° 2790/1999, mais pouvant éventuellement bénéficier d’une exemption individuelle en application de l’article 81, paragraphe 3, du traité CE ? »

L’Avocat Général qui vient de rendre ses conclusions considère qu’une telle interdiction générale et absolue de vendre sur Internet imposée dans le cadre d’un réseau de distribution sélective, qui prévient ou restreint le commerce parallèle de façon plus extensive que les restrictions inhérentes à tout accord de distribution sélective et qui va au-delà de ce qui est objectivement nécessaire pour distribuer ces produits d’une manière appropriée au regard non seulement de leurs qualités matérielles mais aussi de leur aura ou image, a pour objet de restreindre la concurrence et tombe sous le coup de l’article 81 §1 CE (devenu article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’UE).

Au cas d’espèce, il estime que cette interdiction générale et absolue est disproportionnée eu égard aux caractéristiques des produits de cosmétique et d’hygiène corporelle, à leur aura et à leur image ; aucune disposition légale ou réglementaire ne justifiant de restreindre la vente de tels produits aux seuls espaces physiques en présence d’un pharmacien diplômé.

Les arguments de santé et de sécurité publique sont jugés sans fondement

Les arguments de santé et de sécurité publique invoqués par la société Pierre Fabre pour justifier son interdiction de vendre ce type de produit sur Internet sont jugés « sans fondement » par l’Avocat Général.

Les conclusions de l’Avocat Général sont également intéressantes en ce qu’elles offrent un condensé des règles générales applicables en matière de distribution sélective et de critères de sélection.

A ce titre, il est rappelé que les « systèmes de distribution sélective sont admissibles à la condition que le choix des revendeurs s’opère en fonction de critères objectifs à caractère qualitatif, relatifs à la qualification professionnelle du revendeur, de son personnel et de ses installations, que ces conditions soient fixées d’une manière uniforme à l’égard de tous les revendeurs potentiels et appliquées de façon non discriminatoire. Un fabricant ne pourrait refuser l’admission de distributeurs qui remplissent les conditions qualitatives du système de distribution ».

En l’espèce, les deux critères de sélectionné incriminés portent sur :

  • l’obligation de vendre les produits dans un espace physique
  • la nécessité de justifier de la présence d’un pharmacien diplômé dans cet espace de vente

La légalité de ces critères impose d’analyser s’ils sont nécessaires et proportionnés eu égard aux caractéristiques des produits de cosmétique et d’hygiène corporelle concernés, pour en préserver leur qualité et leur image et surtout pour assurer leur usage correct par le consommateur final.

Si l’image positive apportée par la présence d’un pharmacien et la proximité de la vente de médicaments soumis à prescription n’est pas contestée, l’interdiction de vendre sur Internet doit néanmoins être proportionnée et donc relative. A cet égard, l’Avocat Général de la CJUE estime qu’un fabricant peut parfaitement imposer des conditions appropriées, raisonnables et non discriminatoires en ce qui concerne les ventes sur Internet, et ainsi protéger l’image de son produit, de sorte qu’une interdiction générale et absolue de vendre sur Internet imposée ne saurait être proportionnée que dans des cas très exceptionnels.

Au cas des produits cosmétiques et d’hygiène corporelle, l’absence de présence physique du pharmacien pourrait être par exemple compensée par la possibilité pour les internautes de soumettre des questions pertinentes sur les produits et d’échanger à distance avec des personnes qualifiées à même de leur délivrer par mail ou par tout autre moyen de communication électronique une information et un avis individualisés sur les produits correspondant à leurs besoins.

L’Avocat Général conclut son argumentation en considérant que l’accord de distribution sélective qui contient une interdiction générale et absolue de vendre sur Internet ne peut pas bénéficier de l’exemption par catégorie prévue par le règlement n° 2790/1999, dès lors qu’elle constitue une limitation des ventes actives et passives au sens de l’article 4, sous c), dudit règlement. En effet, selon l’Avocat Général, « Internet ne doit pas être considéré dans ce contexte comme un établissement (virtuel) mais plutôt comme un moyen moderne de communication et de commercialisation de produits et services ».

Il laisse néanmoins la porte ouverte aux fabricants pour bénéficier de l’exemption individuelle de l’article 81, paragraphe 3, CE à condition de justifier que les quatre conditions cumulatives posées par ce texte soient remplies (la charge de la preuve incombant à celui qui en demande le bénéfice) :

  • l’accord de distribution sélective doit contribuer à améliorer la production ou la distribution des produits concernés, ou à promouvoir un progrès technique ou économique,
  • une partie équitable du profit qui en résulte doit être réservée aux consommateurs,
  • l’accord de distribution doit n’imposer aucune restriction non indispensable aux entreprises participantes et,
  • l’accord ne doit pas donner la possibilité aux entreprises participantes d’éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause

En attendant l’arrêt de la CJUE dans cette affaire, les conclusions de l’Avocat Général rendues le 3 mars 2011 s’inscrivent donc dans un climat de forte tension entre fabricants, distributeurs historiques, pure players et bricks and clicks, tendant à s’accaparer et à contrôler les parts de marchés de plus en plus fortes que représente l’e-commerce.

L’e-commerce à l’épreuve des réseaux de distribution sélective risque encore d’alimenter l’actualité juridico-judiciaire dans les prochains mois. Affaire(s) à suivre…

 Source :

 Conclusions de l’Avocat Général M.J. Mazak, présentées le 3 mars 2011 dans l’Affaire C-439/09 Pierre Fabre Dermo-Cosmétique SAS c/ Président de l’Autorité de la Concurrence et Ministre de l’Economie, de l’Industrie et de l’Emploi, disponibles sur le site curia.europa.eu.

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