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« Le plagiat est à l’origine de toutes les littératures, à l’exception de la première, qui d’ailleurs est inconnue »

Giraudoux

Selon le dictionnaire Larousse, le plagiat consiste « à piller les œuvres d’autrui en donnant pour siennes les parties copiées » et, si nous plongeons dans les entrailles du Robert il s’agit « de copier (un auteur) en s’attribuant indument des passages de son œuvre ». Diantre, est-ce à dire que le plagiaire est un mythomane qui n’existe que dans la peau de l’autre ? Ou encore un corsaire de l’art prêt à piller ou copier son prochain ? On respire un grand coup et on s’attache à la définition juridique.

Si on remonte le cours du temps on trouve un premier indice dans l’Antiquité et le Moyen Âge qui dénoncent le plagiat comme un vol mais, faute de sanction, la réprobation reste d’ordre déontologique. Avant la diffusion de l’imprimerie, il n’était pas question de respect du texte original et le copiste se révélait coauteur, apportant des modifications aux textes qui lui étaient dictés. A cette époque où l’œuvre n’était pas figée, la signature était une réalité mouvante. Il faudra donc patienter jusqu’à la naissance du texte imprimé pour entendre parler de la notion de propriété d’une œuvre.
En poursuivant nos investigations on se rend compte que même si deux termes sont indifféremment utilisés dans le langage courant, le plagiat n’est pas une contrefaçon et vice-versa. La contrefaçon est constituée de toute atteinte, sous quelque forme que ce soit, à un droit privatif sur un bien immatériel. Pour le bon droit d’auteur, la contrefaçon est le seul terme juridique à retenir pour désigner une atteinte illicite à un droit de propriété littéraire et artistique. Le plagiat, que l’on peut trouver contestable d’un point de vue moral, intellectuel voir, soyons fous, artistique, est distinct de la contrefaçon et ne fait l’objet d’aucune des sanctions spécifiques prévues par le Code de la propriété intellectuelle (CPI). En droit, le plagiaire est celui qui s’est seulement inspiré du style ou qui n’a repris que des idées, sans reproduire ni imiter les éléments de formes caractéristiques d’une œuvre, ce qui le fait échapper aux griefs de la contrefaçon. Le droit aurait donc la bonne idée de nous prévoir deux niveaux différents dans l’indélicatesse voir la malhonnêteté littéraire ou artistique, la contrefaçon apparaissant comme un plagiat aggravé, parce qu’elle a débordé sur la forme originale. En tout état de cause le terme de plagiat n’est pas employé par le CPI et très rarement par la jurisprudence. La jurisprudence ne fait pas toujours la différence et énonce parfois que le plagiat est une « forme particulière de contrefaçon » ((C.A. Paris, 4è ch, 25 septembre 1987, RIDA 3/1988, p107)) Mais aussitôt, la doctrine traditionnelle enseigne, dans sa grande sagesse, que le plagiat n’enfreint les droits de l’auteur que s’il constitue une contrefaçon. Ainsi Renouard relevait en 1839 ((Renouard, Traité, T.2 p.22)) que : « Le plagiat tout répréhensible qu’il est, ne tombe pas sous le coup de la répression de la loi ; il ne motive légalement une action judiciaire que lorsqu’il devient assez grave pour changer de nom et encourir celui de contrefaçon ». Blanc allait dans le même sens en 1855 ((E. Blanc, Traité de la contrefaçon, p.155-156)) en affirmant que : « le plagiat n’est justiciable que du bon goût ; la contrefaçon est punie par la loi » au motif que la première catégorie de « larcins littéraires » ne cause pas de préjudice… voir !
Pour certains auteurs ((Pierre-Yves Gautier in « propriété Littéraire et artistique », ed. PUF, Christophe Caron in « Manuel de Droit d’auteur et droits voisins », ed.Litec )) la distinction est sans intérêt car le plagiat n’est qu’une sous-catégorie de la contrefaçon et s’il est illicite, les sanctions de la contrefaçon s’appliquent alors que dans le cas contraire ce terme péjoratif ne se justifiera pas. Dont acte !
Notons toutefois que le fait que le plagiat ne puisse être juridiquement qualifié de contrefaçon, ne signifie pas l’immunité systématique du plagiaire car il pourra, le cas échéant, être attaqué en justice sur le fondement de la concurrence déloyale si l’auteur plagié démontre que le plagiaire a agi de façon déloyale et préjudiciable, en particulier en créant un risque de confusion entre deux œuvres ou en parasitant la renommée d’un artiste. On respire le plagiat n’est donc pas le pays des Bisounours…

La vie des autres !

En février 1998, Marie Darrieussecq publiait son second roman « Naissance des fantômes » et voyait Marie NDiaye crier à la « singerie » avec une rare violence.
En septembre 2007, l’écrivain Camille Laurens déclarait avoir détecté dans le roman de Marie Darrieussecq, « Tom est mort », des ressemblances troublantes avec son propre récit, « Philippe » écrit en 1995, autour de la mort de son enfant et parle de « plagiat psychique ». Il a été considéré que le sujet de la mort d’un enfant est douloureux sans être singulier et que lorsque deux écrivains traitent de ce thème, des passages obligés se dessinent dans le style comme dans l’intrigue. Toute la question est alors de savoir si l’auteur parvient à dépasser l’imitation pour faire œuvre originale ? La réponse de l’écrivain fut un gros essai sur … le plagiat et la « plagiomanie » qui serait la dénonciation calomnieuse de plagiat.
Exemple plus marqué de Kleptomanie littéraire fut celui de Calixthe Beyala qui, il y a une douzaine d’années, vit ses curieuses pratiques dévoilées par Pierre Assouline, dans le magazine Lire qui plaçait face à face les passages de la romancière et les originaux. On se rendit compte qu’elle avait fait son marché auprès de Howard Buten, Gary, Charles Williams, Alice Walker, Ben Okri et Paule Constant… Elle se ridiculisa aux yeux des lecteurs avant que d’être condamnée pour « contrefaçon partielle ».
Les cas d’emprunts, plus ou moins importants sont nombreux et l’on a vu notamment Irène Frain, Jean Vautrin ou Thierry Ardisson pris la main dans le livre. Plus douloureux fut le cas d’Henri Troyat qui, en 1942, avait écrit un roman sur un plagiaire et se retrouva cinquante cinq ans plus tard dans la même situation pour sa biographie de « Juliette Drouet » inspirée du « Juliette Drouet ou la dépaysée » de Gérard Pouchain et Robert Sabourin, publiée cinq ans avant la sienne. Déboutés dans un premier temps, les deux biographes se pourvoient en appel et obtiennent gain de cause montrant à quel point les critères d’analyse de l’œuvre sont complexes. Finalement la Cour d’appel ordonnera le retrait du livre de Troyat et plus de 500.000 euros de dommages et intérêts.
Autre grand abonné du plagiat pris régulièrement la main dans le pot de confiture c’est l’inénarrable PPDA. Dernières aventures en date la parution d’une biographie d’Ernest Hemingway qui a « purement et simplement recopié des passages entiers » d’un livre paru en 1985 aux Etats-Unis. Démonstration faite par Jérôme Dupuis, journaliste à l’Express.
Imparable et néanmoins expliqué par une erreur de l’éditeur qui aurait envoyé chez l’imprimeur une « version de travail » non définitive. Outre cette défense malhabile c’est ensuite le « collaborateur » de PPDA, Bernard Marck, unanimement soupçonné d’être son nègre qui s’est confondu en explications… S’agissant de tout autre auteur la publication du livre aurait été ajournée et le plagiaire se serait vu sommer de disparaître sous terre, voir de rembourser l’avance perçue sous peine de procès immédiat. Récidiviste, PPDA est soupçonné d’un précédent plagiat pour un roman « Fragments d’une femme perdue » où il met en scène son histoire sentimentale avec la compagne dont il est séparé. Cette dernière l’attaque pour atteinte à la vie privée et contrefaçon car le roman reprendrait des pages et des pages de correspondances écrites par sa compagne. Or le droit est formel, si une lettre appartient physiquement à son destinataire, la décision de la publier – ce qu’on appelle le droit moral – relève, elle, uniquement de son auteur et nécessite une autorisation dûment signée. Nouveau problème juridique soulevé : l’utilisation dans une fiction, sans autorisation, de lettres d’amour réelles d’un tiers, relève-t-elle de la contrefaçon ? Ou commence la vengeance et où s’arrête le plagiat ?
Domaines de prédisposition au plagiat que sont les essais et les biographies qui comptent parmi leurs fidèles adhérents Alain Minc ou Jacques Attali. Ce dernier pour ses « Histoires du temps » avait emprunté des paragraphes à Jean-Pierre Vernant, Ernst Jünger et Jacques le Goff. Pris sur le fait, il prétexta que la faute en revenait à l’éditeur qui avait … oublié les guillemets. Dans « Spinoza, un roman juif », de Minc, le philosophe Patrick Rödel recensa trente six emprunts à son Spinoza, « le masque de la sagesse » mais le plus indéfendable fut la reprise d’une anecdote inventée par Rödel. Minc fut condamné, avec sa maison d’édition, à des dommages intérêts et évita prudemment de faire appel.
Le plagiat se loge dans tous les cieux et Mgr Gaillot accusé d’avoir plagié l’universitaire Paul Ariès pour écrire sa « Dernière tentation du diable » se défendit en accusant ses documentalistes. Se disculper en dénonçant ses « nègres » laisse présager que le « ghost writer » est l’avenir du plagiat !
Ce d’autant que la jurisprudence a, depuis cent cinquante ans, fortement évolué en faveur de ces écrivains de l’ombre. Elle n’admet plus la validité des clauses par lesquelles ils renoncent à voir leur nom figurer sur le livre en application du CPI qui rappelle le droit au respect du nom, c’est-à-dire cet attribut moral de l’auteur qui lui permet de faire apposer son nom et sa qualité sur chaque reproduction de son œuvre, droit qui est  incessible à l’exception de la Belgique mais c’est une autre histoire. En conséquence le « rewriter » en mal de reconnaissance pourra remettre en cause tous les arrangements et revendiquer la mention de son nom en tant qu’auteur ou coauteur ainsi que le versement d’une rémunération appropriée au succès du livre. Reste un obstacle de taille, selon l’article L.113-1 du CPI la « qualité d’auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l’œuvre est divulguée ». L’auteur de l’ombre devra donc prouver son rôle dans le processus de création. Pas simple.
Si la littérature est le terreau fertile d’où sort la bête immonde du plagiat, elle n’est pas la seule concernée. Il en va ainsi du film Séraphine jugé contrefaisant d’un roman biographique antérieur. En l’espèce, un historien d’art auteur d’une biographie romancée d’un peintre objet d’un film récompensé estimait que le scénario contenait de nombreux passages reproduisant son livre. La société de production du film ainsi que l’auteur du scénario furent assignés pour contrefaçon. Le tribunal considère que si les faits historiques ou purement biographiques ne peuvent, en tant que tel, subir la moindre appropriation, il en va autrement lorsque le récit qui les décrit porte à la connaissance du public des événements ou situations auparavant restées dans l’ombre, et les traite d’une manière propre à son auteur. En conséquence, l’éditeur (en réparation de l’atteinte à ses droits patrimoniaux née de l’absence d’achat des droits du livre qu’il a édité) et l’auteur recevront chacun 25.000 euros, le producteur et le scénariste ayant été condamné pour plagiat.
Autre illustration avec Pierre Perret qui s’est vu accusé par le Nouvel Observateur de mentir sur ses relations avec Paul Léautaud et de recycler le texte de certains auteurs pour mieux se les approprier. Affaire en cours suite à la plainte déposée par le chanteur.
Chanson encore avec Kanye West qui pourrait être poursuivi en justice pour avoir plagié le réalisateur Gaspard Noé. Le clip « all of the lights » du rappeur rappelle singulièrement le générique du dernier film de Noé « Enter the void ».
Spectacle avec les gagnants d’un chef d’œuvre de l’art télévisuel qu’est « incroyable talent », accusés d’avoir plagié un groupe de danseurs au profil similaire. Ces derniers estiment que le groupe les Echos-Liés ont copié leurs sketchs, leur concept et leur bande-son mais pas de procès en vue si ce n’est la rumeur …
Le milieu universitaire n’est pas épargné par le plagiat qui voit le copier-coller s’insinuer avec plus ou moins d’habilité dans les thèses et mémoires. En croisade contre ce plagiat du troisième type l’Universitaire Jean-Noël Darde a lancé son blog « Archéologie-copier-coller .com».  Il mentionne notamment des logiciels anti-plagiat (Compilatio.net, copytracker.ec-lille.fr) qui est une ébauche pour repérer les copier-coller abusif. Si le plagiat n’est pas nouveau, on en trouve la trace dans des thèses du XIX, c’est son ampleur qui est nouvelle. La facilité d’accès aux sources grâce à internet et la multiplication des outils numériques ont démultiplié le phénomène qui, pour être endigué, doit passer par une sensibilisation dès le secondaire en rappelant la nécessité de référencer ses sources. Car collège et lycée sont habités par les « pompeurs du net » qui n’ont pas l’impression de tricher en utilisant le réseau pour préparer un exposé, améliorer une fiche de lecture ou illustrer un texte.
Encore faut-il que l’exemple vienne d’en haut à l’instar de Louise Peltzer, Présidente de l’Université de Polynésie, accusée d’avoir plagié Umberto Eco et qui a reçu pour toute sanction de passages extrêmement ressemblants cités sans guillemets, qu’un timide rappel de la ministre de l’enseignement supérieur, Valérie Pecresse, aux règles régissant le droit d’auteur, à savoir que « la divulgation d’une œuvre sans autorisation préalable de son auteur constitue une atteinte aux droits moraux dont ils disposent en vertu du droit d’auteur ».
A situation similaire réponse plus drastique en Allemagne où face aux accusations de plagiat concernant sa thèse, le ministre de la Défense Karl-Theodor zu Guttenberg a été immédiatement convoqué par la Chancelière Angéla Merkel et a dû renoncer, du moins temporairement, à son titre de docteur avant que de devoir démissionner. Même pas seul, lui a répondu Silvana Koch-Mehrin, chef de file des libéraux allemands au Parlement européen accusée d’avoir emprunté de nombreux passages de sa thèse de doctorat à d’autres auteurs.
Autre réponse en attente, celle de la London School of Economics pour savoir si Seif Al-Islam, fils de Kadhafi, a ou non pompé sa thèse au sujet bucolique : « Le rôle de la société civile dans la démocratisation des institutions de gouvernance internationale ».
Autre source de plagiat avec les emprunts faits par Michel Houellebecq à l’encyclopédie en ligne Wikipédia dans son ouvrage Goncourisé « La carte et le territoire ». Oui mais voilà, peut-on plagier Wikipédia car est-ce un auteur ? Au sens de la loi, wikipédia n’est ni un auteur ni un éditeur et la fondation wikimedia qui assure la gestion du site ne demande aucun transfert de copyright et ne s’approprie pas les droits d’auteur de ceux qui l’alimentent. L’auteur doit seulement accepter la reproduction de son document selon des conditions fixées dans une licence de créative commons, laquelle permet à toute personne de reprendre les articles de wikipédia à condition d’en respecter les règles. Cette licence autorise bien la « réutilisation des articles à titre gratuit ou commercial » ce qui explique la réaction modérée des dirigeants du site face à la polémique dont Houllebecq a fait l’objet. Il n’y eut pas de débat si l’écrivain avait indiqué le nom de l’auteur et la source, mention obligatoire dès lors que la reprise du contenu dépasse le cadre de la courte citation.
Conséquence de la modernité encore avec l’écrivain allemand de 18 ans, Helene Hegemann qui a reconnu avoir copié un blog pour son roman phénomène « Axoloti Roadkill » en expliquant que « l’authenticité n’existe pas, seule la sincérité existe. Je me sers partout où je peux trouver de l’inspiration et des choses qui me stimulent (…) Peu importe où je prends les choses. Ce qui importe c’est où je l es porte ».
Piquer, copier, voler, imiter, mélanger, emprunter… quel pied ! Les affaires se bousculent à la barre des tribunaux alors que le développement des technologies en favorisant le « copier-coller » démultiplie l’ampleur du plagiat. Plagier relève le plus souvent de la condamnation morale et laisse le plagiaire seul face à lui même. Obsédé par la vie des autres ou incapable de création le plagiaire est finalement bien souvent un malade des apparences. ((A lire pour aller plus loin:
Rapport de police. Accusations de plagiat et autres modes de surveillance de la fiction de Marie Darrieussecq (édition POL)
Plagiats, les coulisses de l’écriture et Du Plagiat d’Hélène Maurel-Indart (édition de la Différence et Folio Essais)
Les plagiaires, nouveau dictionnaire de Roland Chaudeney (éditions Perrin)
Le droit d’auteur et l’édition d’Emmanuel Pierrat (édition du Cercle de la librairie)
Sites internet : leplagiat.net / livreshebdo.fr / archéologie-copier-coller.com))

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