L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 25 septembre 2012 confirme le revirement de jurisprudence opéré par les juridictions françaises dans les contentieux relatifs au référencement payant de sites Web utilisant des marques, dénominations sociales et autres signes distinctifs appartenant à des concurrents pour assurer une visibilité optimale à sa boutique en ligne ; revirement déclenché par les arrêts de la CJUE du 23 mars 2010 estimant que les sociétés Google ne font pas un usage à titre de marques lorsqu’elles proposent à des annonceurs de réserver ces marques via son système de régie publicitaire Adwords®.
Dans cet espèce, l’usage de la marque et de la dénomination sociale d’une société spécialisée dans le domaine automobile par son concurrent était établi, ou à tout le moins présumé établi ; la cour d’appel considérant que ce concurrent n’apportait pas la preuve contraire de ce que son référencement serait dû à la réservation desdites marque et dénomination sociale mais d’une requête large sur le terme générique « AUTO » contenu dans ces signes distinctifs.
L’utilisation d’une marque ou de la dénomination sociale d’un concurrent comme mot clé dans le système de référencement Adwords® n’est pas fautif en soi
La CJUE a dit pour droit que :
« le titulaire d’une marque est habilité à interdire à un annonceur de faire, à partir d’un mot clé identique à ladite marque que cet annonceur a sans le consentement dudit titulaire sélectionné dans le cadre d’un service de référencement sur Internet, de la publicité pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels ladite marque est enregistrée, lorsque ladite publicité ne permet pas ou permet seulement difficilement à l’internaute moyen de savoir si les produits ou les services visés par l’annonce proviennent du titulaire de la marque ou d’une entreprise économiquement liée à celui-ci ou, au contraire, d’un tiers » (Voir les arrêts sur le portail juridique de l’UE disponible sur le site eur-lex.europa.eu).
La Cour de Cassation approuve le raisonnement de la Cour d’appel de Paris qui a déduit de ces arrêts de la CJUE que le choix d’un signe identique à une marque en tant que mot-clé appelé à déclencher l’affichage d’un lien commercial pointant vers un site internet, s’il constitue manifestement un usage de la marque dans la vie des affaires, n’est pas illicite dès lors qu’il n’y a pas atteinte à la fonction essentielle de la marque qui est de garantir l’identité d’origine des produits et services qu’elle est destinée à distinguer.
En l’espèce, la Cour d’appel considère que les annonces litigieuses, qui sont classées sous la rubrique « liens commerciaux » dans une colonne nettement séparée de celle afférente aux résultats naturels de la recherche effectuée et « qui comportent des messages qui, en eux-mêmes, se limitent à désigner le produit promu en des termes génériques ou à promettre des remises, sans référence implicite ou explicite aux marques, et sont chacune suivies de l’indication, en couleur, d’un nom de domaine ne présentant aucun rattachement avec la société X » (…) « sont suffisamment précises pour permettre à un internaute moyen de savoir que les produits ou services visés par ces annonces ne provenaient pas de la société X ou d’une entreprise qui lui était liée économiquement mais, au contraire, d’un tiers » (sic).
Elle confirme donc l’arrêt de la Cour d’appel qui a jugé que les dites annonces ne portaient aucunement atteinte à la fonction d’identification d’origine de la marque ; en conséquence de quoi, la société X, titulaire de la marque prétendument contrefaite devait être déboutée de ses demandes au titre de la contrefaçon de marque.
La réservation du nom commercial et de la dénomination sociale de la société X par son concurrent à titre de mots clés dans le système de référencement Adwords® ne caractérise pas plus aux yeux de la Cour un acte de concurrence déloyale et/ou de parasitisme économique dès lors que cet usage n’engendre pas un risque de confusion dans l’esprit des internautes sur l’origine des produits ou services et sur l’identité du site Web pour lequel l’annonce est générée.
Faut-il généraliser cette solution au point d’affirmer que l’usage de toute marque est désormais totalement libre dans le système de référencement Adwords® , dès lors que le corps de l’annonce marquera clairement l’absence de tout lien entre le titulaire de la marque utilisée aux fins de référencement et l’éditeur du site de l’annonceur ?
Il est encore trop tôt pour le dire, mais il semble que ce soit la solution jurisprudentielle du moment, avant que les Tribunaux ne décident peut-être d’atténuer cette solution pour préserver la valeur des marques et le droit de propriété de leur titulaire contre toute utilisation abusive.
S’il peut être légitime, dans l’exercice du libre jeu de la concurrence, de proposer des alternatives aux internautes à la recherche d’une marque ou d’une société, il n’en demeure pas moins que des limites doivent être fixées dans l’utilisation de la marque appartenant à autrui, notamment lorsque cette marque jouit d’une certaine notoriété et/ou renommée.
Les stratégies de référencement doivent savoir s’adapter aux évolutions jurisprudentielles pour savoir en tirer profit au maximum, tout en prenant soin d’éviter une condamnation judiciaire pour une stratégie un peu trop agressive.
Le référencement, enjeu majeur des acteurs de l’e-commerce, sera encore au cœur de l’activité judiciaire des prochains mois.
Source :
Arrêt de la Cour de cassation du 25 septembre 2012