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De l'abus notoire constitué par la lenteur de l'exécuteur testamentaire

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Par jugement rendu le 30 mars 2007, le tribunal de grande instance de Paris a énoncé que le droit de divulgation post mortem doit s’exercer au service de l’oeuvre, en accord avec la volonté de l’auteur telle que révélée et exprimée de son vivant.

Par conséquent, le tribunal a condamné l’association des amis de Jacques Lacan pour avoir assigné l’exécuteur testamentaire de l’oeuvre du psychanalyste pour non-usage des droits d’exploitation, au motif qu’il n’avait pas publié dans un délai raisonnable les séminaires de Lacan.

Le tribunal estime que l’exécuteur testamentaire a pour seule obligation celle de « protéger l’oeuvre dont il a la charge contre toute atteinte ».

En l’espèce, le fait que Lacan ait accepté la publication de son enseignement sous une forme écrite et désigné un exécuteur testamentaire chargé de la totalité de son oeuvre publiée ou non ne permet aucunement d’en inférer que l’auteur a imposé à son exécuteur de divulguer son oeuvre dans son intégralité et a fortiori dans un délai rapide ou seulement déterminé.

 

Références :

Tribunal de grande instance de Paris, 3e chambre, 2e section, 30 mars 2007, association des amis de Jacques Lacan c/ Miller –

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS

3ème chambre 2ème section
N°RG: 05/05082
N° MINUTE :
Assignation du : 23 Février 2005

JUGEMENT
rendu le 30 Mars 2007

DEMANDERESSE

ASSOCIATION DES AMIS DE JACQUES LACAN
16 rue Sainte-Croix de la Bretonnerie
75004 PARIS

représentée par Me Francine WAGNER avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire C1233 et Me Bernard EDELMAN plaidant Vestiaire 0097

DÉFENDEUR
Monsieur Jacques Alain MILLER
74 rue d’Assas
75006 PARIS

représenté par Me Christian CHARRIÈRE-BOURNAZEL, avocat au barreau de PARIS, vestiaire C 1357

COMPOSITION DU TRIBUNAL
Claude VALLET, Vice-Président, signataire de la décision
Véronique RENARD, Vice-Président
Sophie CANAS, Juge
assistée de Marie-Aline PIGNOLET, Greffier, signataire de la décision

DÉBATS
À l’audience du 26 Janvier 2007
tenue publiquement

JUGEMENT
Prononcé publiquement
Contradictoire
en premier ressort

Faits et procédure

Par acte en date du 23 février 2005, Association des Amis de Jacques LACAN a saisi ce tribunal d’une demande tendant à voir juger que Monsieur MILLER, qui ne peut exciper de la qualité de co-auteur, a commis un abus notoire dans le non-usage de son droit de divulgation en ce que, depuis le décès de Jacques LACAN survenu le 9 septembre 1981, il n’a fait publier que sept séminaires sur vingt et un. Elle demande en conséquence d’ordonner, sous le bénéfice de l’exécution provisoire, soit la divulgation des séminaires déjà mis au point par l’Association Lacanienne Internationale (ALI) précédée d’un avertissement mentionnant qu’elle n’a pas reçu l’aval de Monsieur MILLER, soit la création d’un comité éditorial, composé au moins de Monsieur MILLER et d’un membre de l’association, avec pour mission d’établir dans les trois ans une version autorisée des séminaires posthumes, soit encore la publication des séminaires dans un délai de trois ans sous la seu1e autorité de Monsieur MILLER à défaut de quoi le tribunal ordonnerait l’une des deux précédentes solutions préconisées.

Dans ses écritures récapitulatives signifiées le 12 septembre 2006, Monsieur MILLER conclut à l’irrecevabilité à agir de l’association demanderesse et subsidiairement au débouté.

Reconventionnellement, il demande de juger que l’action engagée procède d’un abus fautif, sollicite à ce titre l’allocation de la somme de un euros à titre de dommages et intérêts ainsi que la publication du jugement dans les huit jours de sa notification sous astreinte de 1500 euros par jour de retard et demande de condamner l’Association des Amis de Jacques LACAN à lui payer la somme de 15 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Nouveau code de procédure civile, le tout sous le bénéfice de l’exécution provisoire.

Dans le dernier état de ses écritures en date du 26 avril 2006, l’Association des Amis de Jacques LACAN, répliquant à l’exception d’irrecevabilité et demandant de constater qu’à défaut d’une action en dissolution judiciaire, tant sa dénomination que son objet sont licites, maintient ses prétentions initiales et à titre subsidiaire demande de donner acte à Monsieur MILLER de ce qu’il s’est engagé publiquement à publier avant 2010 l’ensemble des séminaires et de dire qu’à défaut de respect de cet engagement le tribunal ordonnera l’une des deux autres mesures sollicitées. Elle conclut au débouté de la demande reconventionnelle, demande d’ordonner la publication du jugement sous astreinte, de condamner le défendeur à lui payer la somme de 15 000 euros au titre de ses frais non taxables et d’assortir le jugement du bénéfice de l’exécution provisoire.

Motifs de la décision

Sur la recevabilité à agir

Attendu que conformément aux dispositions de l’article 31 du Nouveau Code de procédure civile, toute personne qui justifie d’un intérêt personnel peut exercer l’action instituée par l’article L 121-3 du Code de la propriété intellectuelle dès lors que ce texte ne la dédie pas expressément à certaines personnes ou catégories de personnes mais se borne à préciser que le tribunal peut être saisi notamment par le ministre chargé de la culture;

Qu’il s’en suit qu’un groupement dénommé « Association des Amis de Jacques Lacan » dont l’objet statutairement défini est de « favoriser par tous moyens la publication de l’oeuvre de Jacques LACAN et sa connaissance par un large public », dispose d’un intérêt à agir en justice en vue de faire constater un abus dans le non-usage du droit de divulgation, s’agissant d’une association régulièrement déclarée et qui ne fait l’objet d’aucune décision ni même de demande de dissolution pour une prétendue illicéité de son objet;

Que l’exception d’irrecevabilité sera donc écartée;

Sur le fond

Attendu que selon les dispositions de l’article L 121-2 du Code de la propriété intellectuelle « L’auteur a seul le droit de divulguer son oeuvre. Sous réserve des dispositions de l’article L 132-24, il détermine le procédé de divulgation et fixe les conditions de celle-ci.

Après sa mort, le droit de divulgation de ses oeuvres posthumes est exercé leur vie durant par le ou les exécuteurs testamentaires désignés par l’auteur… »;

Attendu que les Séminaires de Jacques LACAN ont été divulgués par lui-même de son vivant sous la forme d’un enseignement oral qui n’a donné lieu à aucun support écrit à l’exception des Quatre Concepts Fondamentaux édités par les Éditions du Seuil, sous la signature conjointe de Jacques-Alain MILLER, auteur de l’adaptation écrite;

Attendu que Jacques LACAN a institué Monsieur Jacques-Alain MILLER comme exécuteur testamentaire « en ce qui concerne la totalité de son oeuvre publiée ou non publiée »;

At
tendu qu’il n’est pas discuté que LACAN, qui était opposé à toute publication de son enseignement, n’a accepté la transcription de celui-ci qu’à la condition qu’elle soit réalisée par Monsieur MILLER;

Attendu que les demandes sont fondées sur les dispositions de l’article L 121-3 du Code de la propriété intellectuelle selon lesquelles le tribunal de grande instance peut ordonner toute mesure appropriée en cas d’abus notoire dans l’usage ou le non-usage du droit de divulgation de la part des représentants de l’auteur décédé;

Attendu que la demanderesse estime que l’abus notoire réside en l’espèce dans le fait de ne pas avoir divulgué dans un délai raisonnable des séminaires posthumes; qu’elle considère que le rythme adopté par Monsieur MILLER est contraire à la volonté de Jacques LACAN lui-même en ce qu’il aboutit à un défaut de publication d’une partie de l’oeuvre, quinze séminaires restant à éditer alors que l’auteur est décédé depuis 25 ans;

Attendu que le droit de divulgation post-mortem doit s’exercer au service de l’oeuvre, en accord avec la volonté de l’ auteur telle que révélée et exprimée de son vivant;

Attendu que le fait que LACAN ait accepté la publication de son enseignement sous une forme écrite et désigné un exécuteur testamentaire chargé de la totalité de son oeuvre publiée ou non ne permet aucunement d’en inférer que l’auteur a imposé à Monsieur MILLER de divulguer son oeuvre dans son intégralité et a fortiori dans un délai rapide ou seulement déterminé; qu’aucune des pièces produites n’autorise une telle analyse;

Que force est de constater que si Monsieur MILLER a décidé de consacrer une part importante de sa vie à la transcription de la pensée de LACAN en vue de la publication des séminaires, ce choix procède, en l’état des éléments communiqués, de sa seule volonté personnelle et non de l’exécution d’une charge testamentaire exprimée ou à tout le moins implicitement certaine;

Que la seule ob1igation du défendeur est de protéger l’oeuvre dont il a la charge contre toute atteinte;
Que l’importance considérable de l’apport oeuvre en cause à la psychanalyse et l’intérêt majeur qu’elle représente pour la communauté scientifique, qui n’est pas en question, ne saurait être utilement invoquée par la demanderesse, ses membres, qui ont a plusieurs reprises publiquement critiqué le travail de Monsieur MILLER, ne pouvant prétendre qu’il lui est indispensable pour la poursuite de leurs travaux alors même que leur demande tend à titre principal, selon une contradiction évidente, à voir ordonner la divulgation des séminaires dans la version rédigée par l’Association Lacanienne Internationale, documentation qui, pour n’être pas publiée est néanmoins à la disposition des chercheurs; qu’il n’est pas permis de comprendre en quoi une telle injonction serait de nature à permettre une évaluation plus précise de la pensée de LACAN;

Attendu que Monsieur MILLER ne se prévalant pas ici d’une qualité de co-auteur des oeuvres en cause, les développements consacrés à ce sujet par la demanderesse sont dépourvus d’objet;

Attendu qu’en l’absence de tout abus notoire caractérisé à l’encontre de Monsieur MILLER, la demande doit être rejetée;

Sur la demande reconventionnelle:

Attendu que le caractère manifestement mal fondé de l’action engagée révèle une intention de nuire constitutive d’une faute qui sera réparée par l’allocation de la somme de un euro réclamée à titre de dommages et intérêts;

Attendu que la publication du dispositif de la présente décision sera autorisée selon les modalités précisées ci-dessous et ce à titre de complément d’indemnisation;

Attendu qu’il serait inéquitable que le défendeur supporte la charge de ses frais non compris dans les dépens; qu’il lui sera alloué à ce titre la somme de 10 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Nouveau code de procédure civile; Que cette seule disposition sera affectée de l’exécution provisoire;

Attendu que l’Association des Amis de Jacques LACAN sera condamnée aux entiers dépens de l’instance qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du Nouveau Code de procédure civile.

Par ces motifs

Le tribunal, statuant en audience publique, par décision contradictoire et en premier ressort,
Rejette l’exception d’irrecevabilité,

Dit que Monsieur Jacques-Alain MILLER n’a commis aucun abus notoire dans le non-exercice de son droit de divulgation de l’oeuvre écrite de Jacques LACAN,

En conséquence,

Déboute l’Association des Amis de Jacques LACAN de ses demandes,

La condamne à payer à Monsieur MILLER la somme de 1 euro à titre de dommages et intérêts, pour procédure abusive,

Autorise la publication du dispositif du présent jugement dans trois journaux au choix de Monsieur MILLER et aux frais avancés de l’Association des Amis de Jacques LACAN dans la limite de 3500 euros hors taxes par insertion à titre de complément de dommages et intérêts,

Condamne l’Association des Amis de Jacques LACAN à payer à Monsieur MILLER sous le bénéfice de l’exécution provisoire, la somme de 10 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Nouveau code de procédure civile,

La condamne aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du même code.

Fait et jugé à Paris le 30 Mars 2007

Le Greffier Le Président

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