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Le droit moral et la liberté de création : où situer le point d’équilibre ?

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Deux décisions concernant des personnages de fiction ont été rendues en 2007 et  illustrent la difficulté de situer le juste milieu entre le respect du droit moral et la liberté de création. Explications
1er cas – Société Plon et autres c/ Hugo et autres
Cette affaire trouve son origine dans la publication par les éditions Plon de deux romans, écrits par François Cérésa, donnant des suites à l’œuvre de Victor Hugo, « Les Misérables ».
Pierre Hugo, héritier du célèbre écrivain, considérait que ces deux romans constituaient une atteinte à son droit moral dès lors que Victor Hugo n’avait pas entendu donner une suite à son œuvre. Aussi, il engagea, conjointement avec la Société des Gens de Lettres, une action en justice pour voir sanctionner cette atteinte.
Si cette action fut jugée irrecevable en première instance (TGI de Paris 12 septembre 2001), la cour d’appel de Paris considéra au contraire le 31 mars 2004 « aucune suite ne pourrait être donnée à une œuvre telle que « Les Misérables » sans porter atteinte au droit moral de Victor Hugo, dès lors que cette œuvre, véritable monument de la littérature mondiale, d’une part, n’était pas un simple roman en ce qu’elle procédait d’une démarche philosophique et politique, ainsi que l’affirmait son auteur, et d’autre part, était achevée ».
Finalement, par son arrêt du 30 janvier 2007, la Cour de cassation vient casser l’arrêt d’appel au motif que « la « suite » d’une œuvre littéraire se rattache au droit d’adaptation ; que sous réserve du respect du droit au nom et à l’intégrité de l’œuvre adaptée, la liberté de création s’oppose à ce que l’auteur de l’œuvre ou ses héritiers interdisent qu’une suite lui soit donnée à l’expiration du monopole d’exploitation dont ils ont bénéficié ».
La Haute juridiction souligne que, conformément à l’article L113-4 du code de propriété intellectuelle, la nécessité d’obtenir l’autorisation de l’auteur de l’œuvre originaire avant d’incorporer celle-ci dans une œuvre seconde relève de l’exercice des droits patrimoniaux ; Observons toutefois que la Cour de cassation qualifie les deux romans publiés par les éditions Plon « d’adaptation » de l’œuvre de Victor Hugo. Pourtant, il semble qu’il s’agisse plutôt d’une suite, ou plus exactement  d’un « sequel » selon la dénomination anglo-saxonne. En effet, l’adaptation consiste à accommoder l’œuvre première aux contraintes de la seconde, tout en conservant un lien tangible à la création adaptée : il peut donc s’agir de la transformation d’une œuvre d’un auteur par un autre ou bien d’une transposition caractérisée par un changement de genre, le plus souvent à l’occasion du passage d’une œuvre littéraire à la scène ou à l’écran. Certes dans ces cas, il s’agit d’une réappropriation de l’œuvre première via une métamorphose, une modernisation, une révision, un remaniement, une réinterprétation laissant demeurer une certaine contiguïté entre l’œuvre d’origine et son adaptation. En revanche, force est de constater qu’une suite suppose par définition l’écriture d’un texte ou d’un scénario introduisant de nouveaux éléments et des situations distinctes, en y plaçant les personnages d’une œuvre préexistante ou en reprenant quelques éléments essentiels de celle-ci , ce qui correspond plutôt aux faits de l’espèce.
En tout état de cause, en qualifiant les deux romans écrits par François Céséra d’œuvre dérivée, la Haute juridiction a rappelé que le régime applicable était celui des droits patrimoniaux. Or, ceux-ci s’éteignent 70 ans après le décès de l’auteur, ce qui privait Pierre Hugo de la possibilité de s’opposer à une suite au terme des monopoles fixés par la loi.
Pourquoi alors invoquer la liberté de création? La Cour de cassation énonce dans son attendu que « la liberté de création s’oppose à ce que l’auteur de l’œuvre ou ses héritiers interdisent qu’une suite lui soit donnée à l’expiration du monopole d’exploitation dont ils ont bénéficié ». Par ces termes, elle jette le trouble quant au fondement qui permet de considérer que l’atteinte au droit moral n’est pas constituée. En effet, soit elle considère que la liberté de création permet de disposer de l’œuvre mais il s’agit d’une erreur car en fait c’est le fait que l’œuvre est dans le domaine public qui permet d’en disposer, soit elle considère que le fait qu’une œuvre est dans le domaine public n’autorise pas, par principe, la réalisation d’une œuvre dérivée et qu’il faudrait faire appel à une liberté fondamentale pour empêcher l’héritier de l’interdire. Quoi qu’il en soit, le droit moral ne semble venir limiter, que dans un second temps seulement, la liberté offerte par le fait que l’œuvre soit dans le domaine public.
Mais alors en quoi une suite, ou une adaptation, peut-elle porter atteinte au droit moral de l’auteur ? En estimant que cette atteinte était constituée au motif que l’œuvre de Hugo était « un véritable monument de la littérature mondiale », la cour d’appel de Paris avait transgressé la règle selon laquelle le mérite accordé à une œuvre n’entre pas dans les critères de sa protection par le droit d’auteur. L’affaire sera donc à nouveau jugée par une cour de renvoi et cette fois, les juges devront rechercher en quoi la suite porte atteinte à l’intégrité de l’œuvre première et notamment, ce qui dans les deux romans de François Céséra s’écarte de l’esprit des Misérables et qu’ils apprécient l’interprétation des volontés de l’auteur au vu des éléments fournis de son vivant pour assurer l’exercice posthume du droit d’auteur.
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