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Publicité sur les sites P2P : complicité de contrefaçon écartée pour les annonceurs

les choristes

Dans un arrêt du 11 janvier 2011, la Cour de cassation rejette le pourvoi des ayants droits du film « Les Choristes » qui sollicitaient la condamnation d’annonceurs pour complicité de contrefaçon en raison de la présence de leurs publicités sur des sites de Peer to Peer.

En l’espèce, les parties civiles, reprochaient à Neuf Telecom, Telecom Italia France, Aol France et Voyages-Sncf.com de faire de la publicité sur les sites de téléchargement illégal de films tout en sachant qu’ils étaient visités par des millions d’internautes et donc d’être complices d’actes de contrefaçon.

Pour prononcer leur débouté, les premiers juges avaient notamment relevé que si ces annonceurs font effectivement un usage massif de la publicité sur internet et que cet usage rendrait surprenant qu’ils ignorent tout de la présence de leurs annonces sur des sites de téléchargement illégal, il n’a pas été apporté la preuve de cette connaissance.

Motivations des juges

La motivation des premiers juges pouvant paraître contradictoire sur plusieurs aspects, il est utile de la préciser :

Premier argument : « que les prévenus » restant en procédure « ne sont aucunement des professionnels de la publicité sur internet, contrairement aux affirmations des parties civiles, et ont dû, bien au contraire, faire appel à des régies publicitaires qui, elles-mêmes, ont eu recours à des sous-traitants »,

Malgré l’usage massif de la publicité sur internet, la Cour d’Appel observait que les prévenus ne pouvaient être qualifiés de professionnels de la publicité sur internet et qu’ils utilisaient à ce titre des sous-traitants.

Deuxième argument : « que la société Voyages-Sncf. com a, ainsi, mandaté l’Agence média pour l’achat d’espace sur internet et cette agence a contracté avec des régies publicitaires et que la société Voyages-Sncf. com affirme, sans pouvoir être contredite, qu’à aucun moment les sites Bittorent.com et Isohunt.com ne sont apparus dans les plans médias proposés, et qu’elle n’a pas effectué le moindre règlement à destination desdits sites;

que la société Aol France avait donné des instructions précises à […] son mandataire d’achat d’espaces publicitaires, afin que ces bannières ne figurent jamais sur des sites ayant trait au peer to peer; que Aol France rappelle qu’elle a toujours fait valoir que sa bannière publicitaire avait fait l’objet d’un détournement;

que la société Neuf Cegetel a contracté avec la régie publicitaire Cydoor qui disposait d’une liberté totale quant aux éventuels achats d’espaces et des bouquets de sites supports et, plus généralement quant aux modalités de diffusion;

que la société Telecom Italia, en tant qu’annonceur, a confié à la société Mediatop, agence de publicité, la mission d’achats d’espaces publicitaires ; que la société Telecom Italia n’a fourni aucune rémunération aux sites litigieux, qui ne faisaient pas partie de son plan média.

Pour écarter la responsabilité des annonceurs, les premiers juges requièrent que ces derniers attestent avoir confié leur campagne à un sous-traitant professionnel qui disposait d’une liberté totale en ayant expressément prévu une exclusion des sites de P2P. Les juges du fond recherchent également si une rémunération a été versées auxdits sites litigieux et si ces derniers apparaissaient d’une manière ou d’une autre dans les plans média établis par les régies.

Ainsi, est-il utile de prévoir, pour les annonceurs, un audit de leurs contrats de régie afin de vérifier que ces éléments y figurent ? Le but étant de pouvoir limiter les risques d’engagement de responsabilité en cas de diffusion de leurs annonces sur des sites litigieux.

Troisième argument : « que la cour relève qu’une agence média qui fait appel à une régie multi supports achète  » un volume d’espace  » sur des dizaines ou des centaines de sites constituant un bouquet mais que l’annonceur n’est jamais informé de la liste des sites sur lesquels ses publicités apparaissent ; qu’au surplus, il ne peut être exclu l’usage d’un logiciel  » adware  » qui permet l’affichage des messages publicitaires et de manière aléatoire et automatique en fonction du profil de l’internaute connecté, sans intervention ni, a fortiori, volonté humaine et indépendamment du site sur lequel ils apparaissent ;  »

La motivation s’appuie ici sur le fonctionnement même de la publicité sur internet qui, selon la Cour d’Appel ne permet pas à l’annonceur de connaître la liste des sites diffusant ses annonces. Cela implique l’absence de volonté et de connaissance de la commission d’une infraction ou de la complicité.

Quatrième argument : – « que la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993, dite  » loi Sapin « , invoquée par les parties civiles, qui a pour objectif de garantir l’annonceur de la parfaite transparence des transactions, ne permet pas, pour autant d’affirmer qu’une aide ou assistance a été apportée par les prévenus en connaissance de cause ; que cette loi, en effet, ne crée en rien une quelconque présomption de mauvaise foi et ne permet d’ailleurs qu’un contrôle a posteriori ; qu’au demeurant, l’hypothèse d’un  » détournement de bannière  » ne peut aucunement être exclue ;

L’invocation de la loi Sapin et de l’obligation de transparence des transactions visait, pour les parties civiles, à démontrer qu’en application de ce texte, les annonceurs étaient forcément au courant de la diffusion de leurs publicités sur des sites de P2P. Cet argument est balayé par les juges du fond au motif que l’obligation de transparence n’implique pas de facto une aide ou une assistance à la commission de l’infraction. Il est précisé que l’obligation de transparence induit un contrôle qui n’est qu’à posteriori et qui ne saurait être assimilé à une présomption de mauvaise foi. En tout état de cause, cet argument doit être rapproché des constats effectués quant à l’absence de rémunération des sites litigieux et à l’absence de leur présence dans les plans médias présentés aux annonceurs.

Conclusion

En effet, en application de l’article 121-7 du Code pénal : « Est complice d’un crime ou d’un délit la personne qui sciemment, par aide ou assistance, en a facilité la préparation ou la consommation.

Est également complice la personne qui par don, promesse, menace, ordre, abus d’autorité ou de pouvoir aura provoqué à une infraction ou donné des instructions pour la commettre. »

Ainsi, malgré l’importance de la publicité sur internet dans les activités des différentes sociétés attaquées, il est jugé qu’aucune participation personnelle et active dans la commission du délit reproché n’a été démontrée à l’encontre des prévenus.

C’est en application de cet article que les parties civiles ont été déboutées, les juges du fond considérant que faute de preuve de l’existence de l’élément intentionnel, le délit de complicité de contrefaçon ne pouvait être constitué.

La Cour de Cassation rejette le pourvoi, précisant que « la cour d’appel a, sans insuffisance ni contradiction, et en répondant aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, exposé les motifs pour lesquels elle a estimé que la preuve des infractions reprochées n’était pas rapportée à la charge des prévenus, en l’état des éléments soumis à son examen, et a ainsi justifié sa décision déboutant les parties civiles de leurs prétentions ».

Ainsi, faute d’obligation légale de vigilance renforcée ou de présomption de mauvaise foi à la charge des annonceurs, ces derniers ont pu, ainsi, bénéficier d’une visibilité sur des sites pirates attirant des millions d’internautes… en toute impunité.

Source :

Arrêt de la Cour de cassation du 11 janvier 2011, Pourvois n° 09-83072 diponible sur le site de legifrance.gouv.fr

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