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Les ventes « One Shot » dans la tourmente judiciaire – Épisode 1

site internet6

Plusieurs Sociétés commercialisant des sites internet ont récemment défrayé la chronique suite à une avalanche d’actions judiciaires et de plaintes concernant une pratique aujourd’hui connue sous le nom de vente « One Shot ».

Que recouvre cette pratique ? Est-elle légale ? Comment sortir de ce type de relation avant qu’il ne soit trop tard ? Autant de questions posées justifiant un tour d’horizon.

Pour consulter la dernière actualisation de cet article en date du 9 Mars 2015, cliquez ICI

La vente « one shot » de sites internet – de quoi parle-t-on vraiment ?

La vente « one-shot » est une technique commerciale utilisée par certaines Sociétés du Web proposant la création de sites « clé en main ». Elle désigne une méthode visant à obtenir la signature d’un client lors de la première et unique rencontre. Ainsi, à l’aide d’une argumentation commerciale agressive, le client certes professionnel mais généralement novice en la matière est poussé à signer le contrat sur-le-champ, trop souvent sans avoir pris connaissance des différentes modalités de l’engagement qu’il contracte.

Généralement, cela débouche sur la situation suivante :

  • Le client n’est finalement ni propriétaire de son site web, ni titulaire du nom de domaine alors qu’il croyait l’être.
  • Le coût de l’opération et des redevances mensuelles demandées sur une période longue s’avèrent généralement au dessus des prix du marché.

Pour décrypter cette méthode et en appréhender différents éclairages juridiques possibles, il est utile de revenir sur les étapes successives qui la composent.

Ainsi, dans un premier temps, le commercial de l’agence web contacte le prospect en lui présentant une offre particulièrement attractive. Gain à un concours fictif, création de références commerciales dans le cadre d’un lancement d’activité, les arguments sont nombreux pour justifier des prix d’appel défiant toute concurrence. Il arrive même que l’argumentation commerciale soit poussée jusqu’à la proposition d’un site gratuit…

En cas d’approche réussie, rendez-vous est rapidement pris dans les locaux du client. Dans ce deuxième temps, le commercial va parfois être tenté de profiter de l’ignorance du prospect en matière informatique pour l’inviter à signer le contrat proposé, sans réelle étude des engagements prévus.

Le réveil peut alors s’avérer particulièrement dur pour le client qui dans un troisième temps s’aperçoit qu’il est engagé pour une durée d’abonnement de 48 mois avec une redevance mensuelle particulièrement élevée, le tout pour un site qui ne lui appartient pas et dont les fonctionnalités s’avèrent rapidement inadaptées à sa situation. Le client se trouve alors dans une situation captive : simple locataire de son site et du nom de domaine qui y est attaché, il ne peut résilier le contrat sous peine de se voir totalement dépossédé de ce qu’il pensait à tors être sa propriété outre le versement des mensualités restant à payer jusqu’à la fin de l’abonnement.

Le stratagème ne s’arrête pas là : pour éviter le « désagrément » de la gestion de clients mécontents, l’agence Web à l’origine de la vente « one shot » décide bien souvent de céder le contrat à des Sociétés de crédit-bail qui deviennent le seul interlocuteur de clients impuissants.

Une jurisprudence protectrice des contrats et de leur force obligatoire

Les tribunaux français n’ont pas tardé à être saisi de demandes visant à voir annuler ces ventes « one shot ». Le tableau synthétique figurant ci-dessous permet de visualiser plusieurs contentieux ayant défrayé les chroniques du Web ces trois dernières années :

Juridiction et dateArticles visésFondement de l’actionRésultat
CA Bordeaux 08.03.2011Article 1109 du code civilGriefLa société X userait de manœuvres dolosives afin de pousser ses clients à contracter.Concernant le dol:l’argumentaire de la société X (recherche de développement de X dans l’ouest de la France ; site témoin ; gratuité du site) caractéristique des manoeuvres dolosives sans lesquelles, à l’évidence, le demandeur n’aurait pas contracté.Le dol commis par la société X a pour conséquences la nullité du contrat de location et la résolution du contrat de financement. »Cet arrêt récapitule le procédé de la vente one-shot et illustre le caractère systématique du démarchage opéré par les Web agencies
CA Bordeaux 08.03.2011Article 1184 du Code civil :GriefManquement justifiant la résolution judiciaire du contrat : La Société x a fait signer un bon de réception alors même qu’aucune prestation n’avait commencé.Concernant le manquement à l’obligation contractuelle de X :« le loueur ne peut sans déloyauté faire réceptionner par le client un espace d’hébergement dont le bon fonctionnement aurait été contrôlé avant d’avoir, comme au cas de l’espèce, pu fournir la moindre prestation ».« Ce comportement fautif, qui signe la façon dont la société X entend exécuter ses obligations sans avoir à rendre compte à sa cliente de la nature et de la qualité de ses prestations, est suffisamment grave pour entraîner la résolution du contrat. »
CA Lyon 10.02.2011Article 1109 du Code civilLe client prétend que:Son consentement était vicié (Méthodes commerciales douteuses)Une procédure pénale est en cours contre Z pour escroquerie en conséquence demande de sursis à statuer.Concernant le dol :« le démarchage envers un professionnel agissant dans le cadre de son activité étant exclu de la protection légale réservée au consommateur, les manœuvres dolosives ne sont pas caractérisés en l’espèce par le seul fait que le démarcheur aurait pressé M. M. de signer en lui faisant miroiter l’urgence à profiter de conditions commerciales prétendument exceptionnelles et précaires ».
CA Lyon 21.10. 2010Article 1690 du Code civil :La cession du contrat ne respecte pas les formalités de l’article 1690 du code civil relatif aux cessions de créances. Cette cession doit, pour cette raison, être annulée.Concernant le respect des formalités spécifiques de la cession de créance« Aux termes de l’article 1 des dites conditions générales, le client reconnaît le droit à la société Y de céder le contrat et accepte d’ores et déjà ce transfert. En outre, le même article mentionne parmi les cessionnaires possibles la société Z. Les dispositions de l’article 1690 du code civil sur la cession de créance n’avaient donc pas lieu de s’appliquer. La société Z est en conséquence bien fondée à se prévaloir du contrat qui lui a été cédé le 23/04/2008 selon facture du même jour ».
CA Angers 19.01.2010Article 1108, 1109 du code civil ;Article L313-7 code monétaire et financier ;Article 1127 du code civil;Le client prétend que:Le commercial a usé de manœuvres dolosives pour me forcer à signer.Le contrat de location de site internet est dépourvu d’objet.Le contrat de cession du site au crédit bailleur est nul car insusceptible de crédit bail.

Concernant le dol :

« Quant au dol, il implique la preuve de manœuvres destinées à tromper le contractant ; que l’insistance manifestée par le démarcheur de la société X ne suffit pas à caractériser une telle manœuvre alors même que M. reconnaît avoir accepté de rencontrer le démarcheur sur son lieu de travail, ce qui démontre qu’elle était intéressée par les services qu’il proposait, et qu’elle a signé le contrat de location à l’issue de cette seule et unique rencontre ce qui est peu compatible avec le harcèlement dont elle dit avoir été victime »

Concernant l’absence de cause du contrat :

« Attendu M affirme que le contrat de location cédé à la société Z serait nul en application de l’article 1108 du Code civil, comme dépourvu d’objet, ou de cause licite ;

Mais attendu que le contrat de location avait pour objet l’usage et la possession d’un site web, destiné à assurer la promotion de l’activité d’agent immobilier de M ; qu’un tel objet est licite en regard des dispositions des articles 1127 et suivants du Code civil ;

Que, de même, ce contrat a une cause licite, à savoir la conception, l’hébergement et la maintenance d’un site web »

Concernant l’impossibilité de transférer le contrat à un crédit bailleur (L313-7 CMF)

« la location financière de ces services[…] ne s’analyse pas en une opération de crédit bail qui se caractérise par la possibilité donnée au locataire d’acquérir tout ou partie des biens loués ; que le contrat de location ne comportant pas une telle faculté pour M, le moyen pris d’une violation des dispositions de l’article L. 313-7 du Code monétaire et financier est inopérant »;

CA Bordeaux 25.11.2009Article 1147 du code civil ;Le client prétend que:Inexécution contractuelle tirée de la piètre qualité de la réalisation du site Web (fautes, aspect repoussant)Concernant l’inexécution contractuelle :« attendu qu’ainsi que l’ont justement retenu les premiers juges il est normal que dans le cadre d’une création de site internet des aménagements interviennent ce qui doit se faire dans le cadre d’un échange entre les parties et dans un délai raisonnable ;qu’en procédant de cette manière à la résiliation du contrat, monsieur D a manqué à ses obligations contractuelles et cette résiliation, qu’il y a lieu de constater comme le demande l’intimée dès lors qu’elle est effective à la date du 22 septembre 2006, est intervenue à ses torts et il en est de même pour le second contrat ».
CA Bordeaux 23.09.2009Article 1116 du code de procédure civileLe client prétend que:Le client a été trompé par le représentant de la société X qui lui aurait fait croire :

  • à la gratuité du matériel laissé à sa disposition et du site internet
  • et lui aurait présenté l’opération comme une opération de marketing.

(cf CA Bordeaux 08.03.2011)

Son consentement ayant été vicié, le contrat passé avec X est nul et sa cession à F l’est également car il s’agit d’un ensemble contractuel indivisible.

Concernant l’annulation du contrat de crédit-bail au motif que le contrat de location de site à été conclu grâce à des manœuvres dolosives :« Mais s’il existe entre les deux conventions une interdépendance économique celle-ci n’est pas suffisante pour conclure à une indivisibilité juridique et les contrats de maintenance avec X et de location, et non de crédit-bail, avec F, sont autonomes, les exceptions d’inexécution soulevées par l’appelante à l’encontre de la première n’étant pas opposables à la seconde ».
CA Rennes 3.07.2009Article 1110 du code civilArticle 1116 du code civilLe client prétend que:Les méthodes commerciales du représentant étaient déloyales et oppressantes.Son consentement était erroné : il n’avait aucun bénéfice à retirer de la création de ce site car il en avait déjà un.Le site est repoussant et truffé d’erreur, donc le contrat n’a pas été valablement exécuté.Concernant le dol :« Aucune preuve n’est apportée par lui de son allégation selon laquelle des manœuvres dolosives telles qu’une fausse promesse de gratuité des services ou une mise en condition pour lui faire signer dans l’empressement l’ont poussé à contracter ». Concernant l’erreur :« la demande ne saurait pas plus aboutir sur le fondement de l’erreur commise sur la substance du contrat, dans la mesure où il n’apporte aucune preuve de son allégation – qui porte d’ailleurs plutôt sur les motifs du contrat – selon laquelle il n’avait aucun bénéfice à retirer de la création d’un site internet aux motifs que sa clientèle, composée d’habitués et de touristes, pouvait trouver sa crêperie référencée sur un autre site internet ».Concernant l’inexécution contractuelle :

Enfin, le client ne saurait obtenir la résolution du contrat pour inexécution au motif que le site créé serait repoussant et truffé d’erreurs. En effet, si le site créé ne comporte aucun élément de personnalisation propre à son établissement, il reste qu’il n’a pas communiqué au prestataire le logo qu’il était prévu de faire apparaître. Par ailleurs, au lieu de fournir comme il en avait la possibilité un cahier des charges, il lui a laissé le choix de la disposition des photos et textes, des couleurs et du graphisme du site, étant en outre prévu que faute de disposer de photographies, il « pourrait en utiliser des génériques ». […]

CA Toulouse 21.04.2009Article 1116 du code civilLe client prétend que :Le bailleur n’a pas prévenu son client du délai restant à courir avant que le site loué puisse être référencé. Il n’aurait pas conclu en ayant eu cette information.Concernant la réticence dolosive :« un tel site n’était susceptible d’apporter une clientèle nouvelle qu’à partir du moment où il était inscrit sur les moteurs de recherche.Il est donc évident que s’il avait su que son entreprise allait devoir supporter une charge financière non négligeable pendant au moins 5 mois sur les 48 mois de la location avant de pouvoir espérer un surcroît de clientèle, Monsieur R n’aurait pas contracté.Cette réticence dolosive justifie donc que soit prononcée la nullité du contrat passé avec la société X puis cédé en tout ou partie à la société F».
CA Poitiers 9 .09.2008Article L121-1 Code de la consommationLe client prétend que:Le client voulait se fonder sur la réglementation relative au démarchage.Concernant l’application des dispositions du code de la consommation:« Le client qui a conclu un contrat de location de matériel informatique et de prestations sur la création et le référencement d’un site internet, ne peut invoquer le bénéfice des dispositions de l’article L.121-21 du code de la consommation »;
CA Bordeaux 25.06.2008Article 1147 du code civilLe client prétend que :« le site ne correspondait pas à ses attentes, ne reflétait pas son activité et ses demandes de modifications n’avaient pas abouti »Concernant l’inexécution contractuelle:« la SA X lui a demandé son accord ou de lui faire connaître les modifications à apporter (au site) et précisant qu’à défaut de réponse sous quinze jours le site serait considéré comme validé C ne s’est manifestée que le 4 juillet 2005 en énumérant les défauts dont elle estimait qu’il était affecté mais sans demander de modifications, sa démarche étant alors clairement de voir le contrat annulé et la première traite remboursée ».
CA Paris 12.10.2007Le client prétend que :Le « consentement a été extorqué par le commercial qui au bout de 3H est parvenu à lui faire signer les contrats litigieux ».Concernant le vice du consentement :« le vice du consentement n’est pas caractérisé dès lors qu’un commerçant avisé doit être en mesure de résister aux sollicitations d’un délégué commercial et qu’aucune pression ou contrainte n’a été mise en évidence ».

Il ressort de ces décisions, des griefs avancés et de la motivation des Cours et Tribunaux les éléments suivants :

→ arguments juridiques inopérants pour assurer la sortie des relations :

Inapplicabilité du Code de la consommation : Les agences Web ne s’adressent qu’aux professionnels. Recourir aux dispositions relatives au démarchage est donc vain puisque les dispositions du Code de la consommation ne s’appliquent pas en l’espèce (Cf. CA Poitiers, 9/09/2008).

De plus, cette qualité de « professionnel » fragilise le client car, il est présumé capable de résister aux sollicitations du vendeur (Cf. CA Paris, 12/10/2007).

Licéité et force obligatoire du montage contractuel : Céder le contrat de louage de site à un crédit bailleur est licite (Cf. CA Lyon 21/10/2010).

→ arguments juridiques susceptibles de fonder une annulation du contrat de vente « One Shot »

La démonstration de l’existence de manœuvre dolosive : Cette démonstration factuelle impose de rapporter la preuve de l’existence d’un discours commercial systématique au contenu trompeur (Cf. CA Bordeaux 8/03/2011).

La preuve du dol peut également être rapportée suite à la non communication d’information. Ainsi, par exemple, le fait de ne pas informer le client sur le délai d’attente avant de pouvoir être référencé, pourra caractériser une réticence dolosive (Cf. CA Toulouse 21/04/2009).

Le dol, sanctionné par l’article 1116 du Code civil, pourra enfin être retenu dès lors que sont démontrées des pressions et contraintes sans lesquelles le client n’aurait pas signé le contrat. La jurisprudence est toutefois particulièrement exigeante en la matière dans la mesure où les clients professionnels ne bénéficient pas de la protection des consommateurs (Cf. CA Poitier 9/09/2008). L’insistance du démarcheur ne suffira pas à permettre l’annulation du contrat (Cf. CA Anger 19/01/2010).

En effet, les magistrats considèrent que le vice du consentement ne sera pas caractérisé dès lors qu’un commerçant avisé doit être en mesure de résister aux sollicitations d’un délégué commercial et qu’aucune pression ou contrainte n’a été mise en évidence (Cf. CA Paris 12/10/2007).

La résolution judiciaire pour inexécution contractuelle : En droit, la résolution judiciaire pour inexécution est régie par les dispositions de l’article 1184 du Code civil.

Elle consiste à demander au juge la résolution du contrat pour inexécution des obligations de la partie cocontractante et peut être accompagnée de dommages-intérêts.

Les jurisprudences intervenues en matière de vente « one shot » sont toutefois particulièrement restrictives en ce domaine.

Ainsi a-t-il été refusé la résolution judiciaire du contrat lorsqu’était simplement invoqué le « piètre aspect » du site internet (Cf. CA Bordeaux 25/11/2009) ou encore lorsqu’était avancé le fait que le site litigieux était « repoussant et truffé d’erreurs » (Cf. CA Rennes 3/07/2009).

Pour justifier la résolution judiciaire les victimes des ventes « one shot » devront donc veiller à démontrer une inexécution tenant aux caractéristiques essentielles du site pour le client.

Et pour déterminer quels aspects ont ce caractère, il n’existe qu’un moyen : spécifier les besoins de son activités, tant au niveau fonctionnel que visuel, à l’agence. Cela peut passer par la rédaction d’un cahier des charges (Cf. CA Rennes 3/07/2009) ou encore par la demande de modifications spécifiques.

Il ressort de la présente étude que les victimes des ventes « one shot » disposent de plusieurs fondements juridiques pour tenter d’obtenir en justice l’annulation ou la résolution de leur contrat et limiter ainsi les frais engagés à perte dans un projet nauséabond.

Les nombreuses jurisprudences intervenues en la matière concernent des litiges portés au civil. Elles pourraient se développer à l’avenir en multipliant les fondements juridiques à chaque nouveau cas d’espèce. Résiliation unilatérale pour violation de l’obligation générale de conseil, notification de fautes grave après un audit détaillé des conditions générales de location, actions concertées en vue de sortie amiables… les voies ne manquent pas pour accentuer la pression sur une pratique aujourd’hui placée dans la tourmente judiciaire.

Suivant ce même objectif, pourrait enfin être envisagé de porter des actions devant le juge pénal. En effet, dès lors qu’il y a tromperie, le délit d’escroquerie n’est pas loin… Rappelons ainsi pour mémoire que l’escroquerie est punie de cinq ans d’emprisonnement et de 375000 euros d’amende.

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