Par Gérard HAAS & Anne-Charlotte ANDRIEUX
Ces dernières années, l’ubérisation a connu un succès retentissant. Ce phénomène de rupture qui challenge les modes de concurrence traditionnels s’illustre dans le domaine du transport de personnes avec Uber, Blablacar, Drivy, etc. Mais aussi dans le domaine de l’hôtellerie avec AirBnb ou Booking. En matière d’hébergement comme dans bien d’autres domaines, l’ubérisation est venue répondre à une transformation des usages et des modes de consommation. Désormais, le consommateur recherche la désintermédiation, la facilitation administrative, l’emploi du numérique, autant de caractéristiques qui définissent l’ubérisation.
Airbnb a su répondre aux attentes des consommateurs en leur proposant des prestations de location, voire de colocation, innovantes pour leurs séjours touristiques. Néanmoins, on observe une volonté des grandes villes occidentales à vouloir réguler ces nouvelles pratiques afin de préserver les acteurs traditionnels de l’économie de tourisme. C’est ainsi que depuis 2010, New York interdit la location de moins de 30 jours d’un appartement dans les immeubles comprenant trois appartements ou plus si le propriétaire n’est pas présent pendant toute la durée du séjour. Par conséquent, louer un appartement indépendant y est devenu illégal dans la majorité des cas. A l’instar de la mégapole américaine, Londres a limité à 90 jours par an la location de tel logements, tandis qu’Amsterdam l’a réduit à 60 jours. La municipalité de Paris a quant à elle développé une régulation innovante en soumettant la location de meublés de tourisme à un régime d’enregistrement et d’autorisation préalable.
Les effets à plus ou moins long terme du modèle Airbnb soulèvent désormais de nombreux questionnements auxquels les chercheurs de l’université canadienne Mac Gill ont tenté d’apporter des réponses dans un rapport publié le 30 janvier 2018 [1]. Evaluant l’impact du modèle commercial de locations de meublés touristiques entre particuliers dans une grande ville, ils soulignent que la plateforme aurait non seulement pour effet de déséquilibrer le marché locatif et de pousser à l’inflation sur les petites surfaces, mais encore de conduire à des locations au mépris de la règlementation en vigueur faisant courir un risque tant aux propriétaires qu’aux locataires initiaux. A cet égard, le 13 février 2014, le Tribunal de Grande Instance de Paris condamnait pour la première fois un utilisateur de la plateforme pour sous-location illégale [2].
S’il existe des risques juridiques à louer un logement meublé, une question se pose… qui est responsable ? le locataire négligent ou la plateforme qui met en relation les parties sans entreprendre un minimum de vérification ou sans informer l’utilisateur ?
C’est à cette question que les juges ont récemment répondu. Si la justice française s’était jusqu’ici limitée à condamner les propriétaires et locataires pour non-respect des formalités applicables au régime de la sous-location [3], le 6 février dernier le Tribunal d’instance du 6ème arrondissement de Paris fut la première juridiction française à condamner le leader des plateformes de réservation de logement en ligne Airbnb [4] lequel jouissait jusqu’alors d’une relative impunité.
- 1/ Quelles sont les démarches à suivre pour louer un meublé via Airbnb en toute légalité ?
A Paris, depuis le 1er décembre, tout loueur de meublé touristique est tenu de s’enregistrer auprès de la Mairie afin de se voir délivrer un numéro d’enregistrement devant figurer sur l’annonce en ligne.
Le régime applicable à la location de meublé touristique varie selon qu’il s’agit d’une résidence principale ou d’une résidence secondaire.
A cet égard, la loi du 6 juillet 1989 [5] tendant à améliorer les rapports locatifs définit la résidence principale comme le logement occupé à minima 8 mois dans l’année. En application du code de la construction et de l’habitation, il est loisible à un propriétaire de louer sa résidence principale à des touristes de type Airbnb jusqu’à 120 jours par an[6].
A l’inverse, la résidence secondaire est le logement occupé moins de 4 mois par an. Si transformé en meublé touristique, il est assimilé à un local commercial. Il devient alors nécessaire de procéder à un changement d’usage assorti d’une compensation, soumis à l’autorisation de la municipalité de Paris. Autrement dit, la Ville de Paris impose une solution couteuse au propriétaire, destinée à préserver l’équilibre entre l’habitat et les activités économiques, en achetant une surface équivalente d’un local commercial pour le transformer en local d’habitation.
Les 4 étapes à suivre pour louer en toute légalité
Si vous êtes propriétaire
Etape 1 : déterminer le régime applicable selon qu’il s’agit de votre résidence principale ou secondaire
Etape 2 : vérifier que votre règlement de copropriété n’interdit pas la location de meublés touristiques
Etape 3 : s’enregistrer auprès de la Mairie de Paris pour vous voir délivrer un numéro d’enregistrement
Etape 4 : mentionner le numéro d’enregistrement sur l’annonce en ligne
Si vous êtes locataire
Etape 1 : vérifier si les termes de votre contrat de bail n’interdisent pas la sous-location
Etape 2 : solliciter l’autorisation de votre propriétaire
Etape 3 : s’enregistrer auprès de la Mairie de Paris pour vous voir délivrer un numéro d’enregistrement
Etape 4 : mentionner le numéro d’enregistrement sur l’annonce en ligne
- 2/ L’affirmation du devoir d’information et de contrôle incombant aux sites d’hébergement
Le locataire d’un appartement a perçu plus de 49 301 euros pour 119 sous-locations illicites réalisées au mépris du désaccord express du propriétaire des lieux. Ce dernier a échoué à faire cesser les sous-locations illégales. L’insolvabilité du locataire faisant obstacle à tout espoir de récupérer les sommes indûment perçues, le propriétaire a assigné la célèbre société et sa filiale française en justice.
Si Airbnb invoquait pour sa défense les manquements du locataire initial malgré les avertissements dont il avait été le destinataire, le Tribunal a estimé que le site avait l’obligation de vérifier que celui-ci disposait d’une autorisation valable. En outre, Airbnb a manqué à son obligation d’information en ce qu’il n’a pas informé l’utilisateur de ses obligations de déclaration ou d’autorisation préalable et enfin, que la plateforme aurait dû vérifier que le seuil des 120 jours de location par an n’avait pas été dépassé et suspendre promptement le compte de l’utilisateur une fois alerté du dépassement.
Pour condamner la société au versement de plus de 8000 euros au propriétaire lésé, le tribunal considère que le site d’hébergement a engagé sa responsabilité civile en manquant à deux obligations essentielles :
- L’information du loueur sur la règlementation en vigueur
- La durée maximale de location de 120 jours par an
Si, les juges du fond ont estimé que le propriétaire avait subi un préjudice matériel et un préjudice moral réparables, celui-ci n’est néanmoins pas fondé à se voir restituer l’ensemble des sommes indûment perçues.
Force est de constater un certain parallélisme entre la motivation de cette décision et le traitement réservé à la plateforme LeBonCoin par le TGI de Paris 2015 [7]. Le site de petites annonces s’était alors vu refuser la qualification d’hébergeur en ce qu’il mettait en œuvre une assistance personnalisée des ventes. S’il n’est pas ici question de déterminer la qualité du prestataire d’hébergement en ligne, notons qu’Airbnb procède également à une forme d’assistance de ses utilisateurs par la pratique de récompenses à la location via l’attribution d’un label mettant en avant les hôtes les plus actifs sur la plateforme. A cet égard, les juges observent que si le site a été négligent, il a également encouragé la pratique illicite par le versement au locataire de la récompense « Superhost » attribuée aux meilleurs utilisateurs alors même que celui-ci avait déjà épuisé son quota de jours de location.
Il semblerait que la plateforme ait néanmoins anticipé les risques liés aux dépassements des durées de location. En effet, depuis janvier 2018, Airbnb a mis en place un outil automatique permettant de contrôler le respect de la durée maximale de location par ses utilisateurs. Cette récente condamnation ne semble pas perturber outre mesure le leader de la location de meublés touristiques lequel annonçait dès la semaine suivante à ses utilisateurs la possibilité d’échelonner sur deux paiements le règlement de leur séjour [8].
Pour tout renseignement complémentaire, contactez-nous ici.
[1] http://www.mcgil.ca/newsroom/channel/news/high-cost-short-term-rental-new-york-city-2843310
[2] TI Paris 9ème, 13 février 2014
[3] Ancien article 1717 du code civil
[4] TI Paris 6ème, 6 février 2018, RG n°11-17-000190
[5] Loi du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs, art. 2
[6] Article. 631-7-1 al. 5 du Code de la construction et de l’habitation
[7] Cass. com, 3 mai 2012, eBay Inc., eBay International / LVMH et autres.
[8] https://www.numerama.com/business/321680-airbnb-vous-permet-de-payer-une-reservation-en-deux-fois.html